Pas tous les jours dimanche

11 ans après avoir quitté Liège, le milieu de terrain nigérian revient jouer en Belgique.

Onze ans après avoir quitté le FC Liège, SundayOliseh (qui fêtera ses 31 ans le 14 septembre) est de retour dans notre pays. Un pays qu’il n’a jamais vraiment quitté, puisque même lorsqu’il évoluait en Allemagne (à Cologne, Bochum ou Dortmund), il habitait à Baelen, près d’Eupen.  » Et pas uniquement pour des raisons fiscales « , prétend-il.  » Je me sens bien en Belgique, qui est un peu devenu ma deuxième patrie. J’ai un passeport belge depuis près de huit ans. Ma femme est originaire de Houthalen (tiens, près de Genk, cela tombe bien), mon fils est né ici « .

Pendant ces onze années, le petit Sunday qui avait débarqué en pleine adolescence sur les hauteurs de Rocourt a grandi et beaucoup bourlingué.  » A chaque changement de club, j’ai écrit un nouveau chapitre de ma carrière. J’ai progressé à chaque étape. Footballistiquement et humainement. Car le football, c’est aussi une école de vie « . Un parcours qu’il nous raconte. En commençant par le début.

Liège (90-94)

 » J’avais 15 ans lorsque j’ai débarqué à Liège et j’avais encore tout à apprendre, dans tous les domaines. Sur le plan footballistique, je devais apprendre à jouer à l’européenne, acquérir des bases tactiques, différencier la défense de zone de la défense individuelle. Sur le plan humain, je devais m’habituer à une autre culture, à un autre type de nourriture. La première fois que je me suis rendu dans un restaurant en Belgique, c’était un restaurant… chinois. Parce que j’étais certain de pouvoir y manger du riz ! Depuis, je me suis habitué à la cuisine belge et j’ai appris à apprécier les frites ( ilrit). Avec des moules, pourquoi pas ? A Liège, j’ai vu la neige pour la première fois. Une épaisse couche, pas quelques simples petits flocons. Je dois tout aux Sang et Marine. A des gens comme RobertWaseige ou André Marchandise, par exemple. Sans eux, je n’aurais jamais vécu tout ce qui a suivi. Waseige s’est comporté comme un père envers moi. Il était parfois dur, comme avec tous les jeunes, mais c’était pour mon bien. J’ai aussi côtoyé EricGerets. Je ne l’ai encore raconté à personne, mais au départ, il voyait en moi un nouveau PhilippeAlbert. Il voulait faire de moi un défenseur central. S’il avait mis son projet à exécution, je crois que je n’aurais jamais réalisé la carrière que j’ai faite. Ma vraie place se situe en milieu de terrain « .

Reggiana (94-95)

 » J’ai livré une assez bonne saison là-bas, même si les résultats de l’équipe ont laissé à désirer. J’ai joué 29 matches et j’ai découvert un autre type de football, très orienté vers le résultat. En Belgique, et encore davantage aux Pays-Bas, lorsqu’il n’y a pas de spectacle, les gens font la moue. En Italie, ils se fichent du spectacle, pourvu que leur équipe gagne. Si on s’impose 1-0, ils font la fête jusqu’au petit matin. Peut-être ont-ils raison, car après tout, lorsqu’on regarde le classement, seul le résultat compte. C’est une autre mentalité. J’ai dû adapter mon jeu au style très défensif du Calcio, et ce fut une nouvelle étape dans mon évolution. En Italie, on me surnommait Domenico. Cela signifie dimanche en italien. Ou Sunday en anglais, si vous préférez « .

Cologne (95-97)

Sur les bords du Rhin, j’ai vécu l’une des meilleures périodes de ma carrière. Les six premiers mois furent difficiles, car j’ai encore dû m’adapter à un autre style de football, très physique et basé sur des courses incessantes. J’ai aussi dû me réhabituer à un climat plus froid et apprendre une autre langue. Le début fut mouvementé : après deux ou trois matches à peine, l’entraîneur MortenOlsen a été limogé. Il a été remplacé par StephanEngels et on a terminé la saison avec PeterNeururer. On a dû cravacher pour se maintenir, mais ma deuxième saison fut magnifique. On a échoué aux portes de l’Europe. Si l’on n’avait pas connu quelques problèmes avec l’entraîneur, je pense qu’on se serait qualifiés. La direction lui a régulièrement reproché d’arriver en retard et d’être parfois trop porté sur la boisson. Il était sur le point d’être licencié. Je l’ai défendu. J’estimais qu’à trois ou quatre mois de la fin de la compétition, il valait mieux fermer les yeux et retenir prioritairement les résultats, qui étaient excellents. J’ai été entendu : Peter Neururer a pu rester. Mais cela n’a pas suffi. Je n’oublierai jamais le dernier match que

j’ai disputé sous les couleurs de Cologne. C’était contre Leverkusen, on a gagné 1-0 et j’ai dû faire mes adieux aux supporters. C’était très émouvant. Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse réserver une telle ovation à un homme de couleur. J’aurais pu rester, mais lorsqu’on a la possibilité de signer à l’Ajax ou à l’AC Milan, c’est difficile de résister. Comme je l’ai dit, à chaque étape de ma carrière, j’ai essayé de franchir un palier. Et ce n’est pas l’argent qui a motivé mes choix, sinon je serais parti en Angleterre. Il faut aussi que la famille soit heureuse, que l’on éprouve un sentiment d’accomplissement « .

Ajax (97-99)

 » Je n’ai jamais regretté d’avoir opté pour l’Ajax. C’était un plaisir d’évoluer dans une telle formation. En deux ans, j’ai remporté trois trophées, avec une équipe qui pratiquait un football très spectaculaire. J’ai retrouvé Morten Olsen, que j’avais connu à Cologne. C’est lui qui m’a appris à travailler les phases arrêtées. J’ai toujours eu une frappe très puissante, mais la précision laissait parfois à désirer. Morten Olsen m’a fait comprendre qu’en m’exerçant régulièrement après l’entraînement, je pourrais grandement améliorer mes performances dans ce domaine. J’ai gardé cette habitude, et si je suis devenu un bon spécialiste des phases arrêtées, c’est sans doute grâce à lui. Certains, à l’Ajax, étaient surpris que je n’avais pas été transféré par l’intermédiaire d’un manager. J’ai souvent procédé de la sorte. A partir du moment où les clubs m’appellent, pourquoi devrais-je avoir recours à un manager ? Je me sens plus à l’aise pour négocier lorsque j’ai les mains libres « .

Juventus (99-00)

 » Je suis devenu le premier joueur africain à porter le maillot de la VieilleDame. La concurrence était rude dans l’entrejeu, avec des joueurs comme Edgar Davids et Zinédine Zidane, mais d’un autre côté, c’était un honneur de côtoyer des personnalités pareilles. Ce que je retiens de Zizou ? D’abord, qu’il est sans conteste le meilleur footballeur avec lequel j’ai eu la chance de jouer. Ensuite, et peut-être surtout, qu’il est un être humain particulièrement attachant. Il est resté d’une humilité incroyable malgré son statut de star mondiale. Je l’ai retrouvé en décembre de l’an passé, à l’occasion d’un match de charité à Madrid. Il n’avait pas changé. Toujours aussi disponible. Toujours prêt à donner un autographe à un fan qui l’attend. On peut apprendre beaucoup en côtoyant un footballeur et un homme comme lui. A tous les niveaux. Je n’ai joué que huit matches avec la Juventus, mais la concurrence qui y régnait n’était pas l’unique raison. J’ai été victime d’une fracture de la cheville. J’ai aussi été fort pris par mes obligations en équipe nationale, et c’est d’ailleurs pourquoi j’ai décidé après cela de mettre un terme à ma carrière internationale. J’étais toujours parti, soit pour les éliminatoires de la Coupe du Monde, soit pour la Coupe d’Afrique des Nations. J’aurais pu refuser de me rendre à la CAN ? Sans doute, mais c’est un choix difficile. C’est comme si vous demandiez à un Européen de renoncer au Championnat d’Europe. Il y a le prestige, l’honneur de défendre les couleurs de son pays. Aujourd’hui, le calendrier international a tendance à s’harmoniser sur tous les continents, en tout cas pour les éliminatoires de la Coupe du Monde, mais à l’époque, ce n’était pas encore le cas. Je n’ai qu’un souhait : que cette tendance à l’harmonisation se poursuive et que l’on organise la CAN en juin. Les problèmes se régleront d’eux-mêmes « .

Dortmund (00-03)

 » Ce qui me reste en mémoire de Dortmund, c’est d’abord et avant tout ce stade fabuleux. La ferveur des 83.000 spectateurs qui, à chaque match, créent une ambiance incroyable. Le titre remporté en 2002 restera à jamais gravé dans ma mémoire. C’était un délire collectif, une gigantesque fête populaire. Après, sont arrivés des temps plus difficiles. Les problèmes financiers ont surgi. Des joueurs ont dû quitter le club, d’autres sont arrivés, la belle harmonie a disparu. Mais on apprend aussi dans ces moments difficiles « .

Bochum (03-04)

 » Pour faire face aux problèmes financiers, Dortmund aurait voulu vendre certains joueurs, mais les clubs qui étaient intéressés par mes services ne me convenaient pas. J’ai donc été prêté à Bochum, alors que le Borussia continuait à payer une partie de mon salaire. J’ai retrouvé là-bas l’entraîneur Peter Neururer, que j’avais d’une certaine manière contribué à sauver de la destitution à Cologne. Sportivement, j’ai trouvé chaussure à mon pied là-bas. On a battu toutes les grosses équipes de la Bundesliga : le Bayern, le Werder Brême, Dortmund, Schalke 04, Leverkusen. Tout se déroulait merveilleusement bien. Jusqu’à un match au Hansa Rostock, où l’un de mes coéquipiers iraniens a tenu des propos plutôt impolis (et c’est un euphémisme) envers l’homme de couleur que je suis. J’ai réagi. Violemment, je le concède. Cela m’a coûté cher. Je ne tiens pas à m’étendre sur cet épisode. Simplement, je voudrais dire ceci : pour un joueur africain aussi, il y a des limites à ce que l’on peut dire et supporter. Je veux bien être traité de Noir, car j’en suis un. Mais je ne suis pas un singe. Vous me comprenez ? »

Dortmund (04-05)

 » Après cet épisode malheureux, je suis retourné à Dortmund, où j’étais toujours sous contrat. L’entraîneur MatthiasSammer était parti, des joueurs étaient sur le départ. Ce n’était pas la joie, je le reconnais. Lorsqu’on milite dans un club secoué par une grave crise financière, on a rarement le sourire aux lèvres. En décembre, j’ai été relégué dans le noyau B. Le club était toujours englué dans les problèmes financiers, et les joueurs qui arrivaient en fin de contrat et ne voulaient pas re-signer ont été écartés. Je n’étais pas le seul dans le cas. L’entraîneur a été prié de n’utiliser que les joueurs qu’il aurait encore sous la main la saison suivante, ou qui devaient être mis en vitrine dans le but d’être vendus « .

Et si c’était à refaire ?

 » Je suis fier de la carrière que j’ai accomplie. J’ai remporté des trophées, joué dans des clubs prestigieux, parcouru l’Europe, découvert d’autres cultures et d’autres mentalités. Il faut profiter de tous ces avantages qu’offre une carrière de footballeur. Après, passés les 35 ans, on aura tout le temps de s’établir définitivement quelque part et de songer à la famille. Il n’y a qu’un club où j’ai regretté d’avoir signé, je vous laisse deviner lequel. Si vous me dites que tout n’a pas toujours été rose partout, je veux bien le concéder. Mais connaître des moments difficiles peut être enrichissant aussi. Il y a eu cet incident à Bochum, c’est vrai. Mais je vous demande : connaissez-vous beaucoup de joueurs qui, en 15 ans de carrière, n’ont pété les plombs qu’une seule fois ? Je vous ai parlé de Zinédine Zidane, que je considère comme un exemple sur un plan humain. Combien de cartons rouges a-t-il reçus, à votre avis ? Je n’ai pas le chiffre exact en tête, mais c’est plus que moi. Souvenez-vous, déjà, du premier tour de la Coupe du Monde 1998. J’ai aussi eu des problèmes avec mon vieil ami VictorIkpeba, que j’avais connu à Liège ? Je n’appelle pas cela des problèmes. Lors d’un stage avec l’équipe nationale, il avait critiqué certains de ses coéquipiers dans la presse et en tant que capitaine, je lui ai signalé que je n’avais pas apprécié et que, s’il avait des reproches à formuler, il aurait dû le dire en face aux personnes concernées. C’est tout. Victor est toujours mon ami, même si, en raison de l’éloignement, on ne s’est plus parlé depuis un certain temps. Si je devais choisir un style de football qui m’a particulièrement plu, j’opterais pour les Pays-Bas. Là-bas, on apprécie le beau geste, le football spectacle. Le plus grand moment de ma carrière ? Probablement la médaille d’or aux Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. On a battu l’Argentine en finale. Ce jour-là, on est entré dans l’histoire du football nigérian. On en parle toujours, au pays. L’avenir ? Mon contrat à Genk court jusqu’en juin 2007. J’ignore encore ce que je ferai après. Si je me sens bien, et si le club veut toujours de moi, pourquoi ne prolongerais-je pas ? Ce que je sais, c’est que je ne pourrais pas vivre sans football. C’est toute ma vie. Ce sport m’a tout donné : le confort matériel, le fait d’avoir pu rencontrer ma femme en Belgique. Il risque d’y avoir un grand vide après, mais on verra : j’ai encore le temps d’y penser « .

Daniel Devos

 » A Liège, Eric Gerets avait vu en moi UN NOUVEAU PHILIPPE ALBERT  »

 » A Bochum, j’ai éclaté. JE SUIS UN NOIR, d’accord. Mais pas un singe  »

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