Pas si fou ce Roumain !

L’entraîneur du Standard a fait monter la pression au fur et à mesure des mois. Analyse d’une stratégie bien maîtrisée.

Le regard est pétillant, le sourire en coin, l’entraîneur du Standard a les expressions d’un homme heureux. Ce n’est pas tant la victoire de son équipe (2-0) sur Courtrai qui le comble que l’annonce des trois renforts, quelques heures plus tôt dans la journée. Ses messages ont été entendus par son président, Roland Duchâtelet, qui lui a offert trois des joueurs de sa liste. Après plus de deux mois de bras de fer, Mircea Rednic en sort grandi et renforcé. Du moins aux yeux de l’opinion publique. Analyse d’un plan com’ particulièrement réussi.

Tout débute quasiment dès son arrivée. Le 10 novembre, à l’issue du deuxième match, marqué par une défaite à Lokeren, Rednic lance :  » Dans ce groupe, il y a peu de solutions pour calmer le jeu et garder le contrôle du match.  » A peine un mois plus tard, le 3 décembre, il en remet une couche, au sortir d’une victoire à Waasland-Beveren (0-2).  » Je n’avais pas trop de solutions de rechange « , lâche-t-il. Et une fois ses marques trouvées, renforcé par un bon bilan de départ, il place ses pions, juste après une large victoire contre Charleroi (6-1).  » Il faudra penser à étoffer qualitativement le groupe « , dit-il dans une interview au Soir.  » Je suis venu pour faire des résultats et cela nécessite des renforts. Il faut de la concurrence (…) à chaque poste. Je discute chaque semaine avec Duchâtelet et il doit comprendre qu’on doit se renforcer.  »

La course à l’influence est lancée. Le 21 décembre, il provoque une piqûre de rappel.  » Je le répète, on ne peut pas s’appuyer toute une saison sur deux jeunes attaquants de 19 ans. On m’a demandé d’atteindre le top-6 mais si on veut obtenir plus, il faut des renforts.  » Il annonce la couleur : si le club se satisfait du top-6, c’est de la faute de la politique présidentielle. Lui, il est ambitieux ! Deux jours plus tard, suite à la défaite concédée face au Club Bruges, il enfonce le clou :  » La différence entre Bruges et le Standard, c’est que les changements apportés par Juan Carlos Garrido ont fait basculer le match. Les miens n’ont pas apporté plus que les joueurs qu’ils ont remplacés. On manque de qualité dans ce groupe.  » Façon donc de mettre la pression sur l’entraîneur juste avant l’ouverture du mercato.

Lors du stage, Rednic boude. Pas de point-presse lors du départ. Il faudra attendre la fin du stage, le 12 janvier, avant qu’il ne réitère son message.  » Les supporters doivent le savoir : j’ai tout fait pour convaincre le président. Quand je dis qu’il faut, dans l’ordre, un attaquant, un médian et un défenseur central, ce n’est pas de la provocation mais la réalité. L’entraîneur sait mieux que personne ce dont il a besoin pour atteindre l’objectif demandé.  » Cette mise au point est plus virulente que les précédentes. Il trace sa zone d’influence et se met du côté des supporters. Quelques jours plus tard, après le partage à Gand (0-0), il reconnaîtra être inquiet, obligeant finalement les dirigeants du Standard à sortir du bois et à lui offrir les trois joueurs demandés.  » Il est adepte d’un parler vrai. Au niveau du mercato, il a adopté une stratégie dangereuse : celle d’étaler publiquement le bras de fer avec la direction « , analyse le journaliste de la RTBF, Thierry Luthers.  » On peut se demander pourquoi il agit de la sorte. N’arrivait-il pas à faire passer ses idées en privé ?  »

 » Il dit ce qu’il pense même si, en boutade, il ajoute qu’il ne faut jamais croire un Roumain « , corrobore Frédéric Bleus, journaliste à L’Avenir,  » Il ne cache pas ce qu’il a sur le coeur et est assez direct. Quand il dit qu’il a besoin de transferts, il le pense vraiment. Après, on peut se poser des questions. Déborde-t-il de sa fonction ou est-il dans son rôle ? Ne met-il pas trop de pression sur ses dirigeants ? Cependant, on ne peut pas lui reprocher une incohérence. Son discours est allé crescendo, pointant de plus en plus fort la faiblesse du noyau. Sa stratégie a fonctionné mais cela lui met la pression sur les épaules. A lui, désormais, de faire des résultats.  »

 » Il veut contrôler les transferts pour avoir les moyens de ses ambitions  »

Un entraîneur qui s’oppose, dans les médias, à une direction qui lui a permis de réaliser son rêve (entraîner le Standard) et alors que les résultats suivent, c’est une façon de se mettre en danger soi-même. Cocasse dans un métier où savoir louvoyer afin de chercher les bonnes grâces présidentielles et éviter le licenciement est tout un art. Alors, fou ce Rednic ? Certains ont même cru qu’il était capable de claquer la porte s’il n’obtenait pas ses renforts. Son parcours ne plaidait en tout cas pas pour la stabilité. En neuf ans, le Roumain a connu dix clubs. Lors de la saison 2007-2008, il démissionna même à deux reprises. La première fois, en octobre, alors qu’il avait remporté le titre avec le Dinamo Bucarest quelques mois plus tôt. La deuxième fois en mars, alors qu’il avait rejoint le Rapid Bucarest ! Les deux fois pour divergences de vues avec sa direction.  » En Roumanie, il fait clairement partie des meilleurs entraîneurs de sa génération, un disciple de Mircea Lucescu « , explique Florin Marian, journaliste à Prosport qui l’a côtoyé lorsqu’il entraînait le Rapid.  » S’il a connu tant de clubs en Roumanie, c’est avant tout parce qu’il veut travailler dans des conditions parfaites. Il veut contrôler les transferts – d’ailleurs, dans chaque club où il a travaillé, il a effectué beaucoup de transferts et il dispose d’un énorme carnet d’adresses – de manière à avoir les moyens de ses ambitions. Cependant, je ne crois pas qu’il aurait pris le risque d’une rupture au Standard. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il désirait ce poste en Belgique. A chaque fois, il racontait qu’il avait des touches en Belgique et que c’était son rêve. Cela revenait tellement souvent qu’on commençait à douter de ces propositions belges… jusqu’au moment où il a signé au Standard. Je ne le vois donc pas abandonner sur un coup de tête quelque chose qu’il a autant recherché. Par contre, je pense qu’il y a chez lui un réel désir de réussite. S’il met autant la pression sur sa direction, c’est parce qu’il veut aboutir à quelque chose avec le Standard.  »

Rednic est donc un expert en communication.  » Pour tout journaliste, c’est un excellent interlocuteur « , continue Marian,  » Il a toujours quelque chose à dire et il s’ouvre facilement. Il sait comment parler avec les médias. Il soigne son image et est très communicatif. Il a tout compris !  »

Vue de Roumanie, la situation n’est donc pas exceptionnelle. Ni préoccupante.  » Il a toujours bien aimé apporter les joueurs qu’il connaissait « , ajoute Amir Kiarash, journaliste à Adevarul.  » Cela lui permet de jouer comme il l’entend mais également d’avoir sous ses ordres des éléments qui savent exactement comment il fonctionne. Cela évite toute mauvaise surprise. D’un côté comme de l’autre. Les joueurs vont se défoncer sur le terrain pour leur entraîneur puisque c’est lui qui leur permet de quitter la Roumanie.  »

 » On peut voir cela comme un jeu mais c’est un jeu dangereux  » (Olivier Smeets)

Reste que dans le milieu aseptisé du football, on n’a pas l’habitude de voir un coach interpeller sa direction, à travers les médias. Au Standard, on n’avait plus vu cela depuis Johan Boskamp en 2006. Son tempérament n’avait d’ailleurs pas plu à la direction de l’époque, le bouillant Hollandais volant dehors moins de deux mois après son arrivée. Autre temps, autre direction. Le président Duchâtelet aime à rappeler qu’il ne dirige pas le Standard sous le coup des émotions. Cependant comment le club liégeois a-t-il pris les harangues de Rednic ?  » Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du foot qu’un entraîneur dit qu’il a besoin de renforts « , explique Olivier Smeets, responsable de la communication du club liégeois,  » mais c’est vrai qu’il l’a fait avec une certaine insistance et répétition. Au départ, nous ne l’avons pas perçu comme un moyen de pression mais, avec l’écho médiatique, et vu que tout le monde analysait la chose comme telle, on ne pouvait pas rester sur notre planète. On peut voir cela comme un jeu mais c’est alors un jeu dangereux. Nous lui avons fait la remarque mais Mircea n’est pas un entraîneur comme les autres. Il est très communicatif et répète les choses. On ne peut pas le brider, cela fait partie de son caractère et il faut faire avec. Il parle parfois à des médias roumains et je ne le sais même pas ! Au moins, cela démontre que la com’ du Standard n’est pas verrouillée. Je ne pense pas que son but était de créer des problèmes, ni de foutre le bordel mais quand il désire quelque chose, il est prêt à tout pour voir ses souhaits exaucés. Ce qui est dommage, c’est qu’il donne à l’extérieur l’image d’une division au sein du club alors qu’en interne, ce n’est pas du tout le cas. Cela devient alors problématique car cela a des conséquences sur l’opinion publique et que donc, là, Mircea finit par ne plus atteindre son premier objectif qui est de rappeler qu’il faut travailler tous ensemble vite et bien car le mercato hivernal passe très rapidement. Mircea n’avait pas comme objectif de faire peur aux gens mais certaines interprétations de son discours ont certainement créé un sentiment de peur ou de doute chez certains.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – photos: imageglobe

 » Quand je dis qu’il faut un attaquant, un médian et un défenseur, ce n’est pas de la provocation mais la réalité.  » Mircea Rednic

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