« Pas mal de gars font la fine bouche »

L’élégant défenseur revient dans sa Wallonie natale.

Daniel Leclercq ne doit pas se faire de souci: c’est un Olivier Suray en pleine forme qui devrait se présenter à la reprise des entraînements le 7 juillet. Un peu par la force des choses (sa compagne doit donner naissance à un garçon dans un bon mois), la nouvelle recrue louviéroise a opté pour des vacances sportives en Belgique. Au programme: tennis, squash, mini-foot avec les copains et, chaque jour, musculation en compagnie de son vieux pote Philippe Albert.

« Je n’ai presque rien fait pendant quinze jours puis l’envie de taquiner à nouveau le ballon m’a repris », dit-il. « C’est d’ailleurs comme ça chaque année mais il est vrai qu’en restant en Belgique, les possibilités et les tentations sont moins nombreuses. Quand on part, c’est grand déjeuner le matin, grand dîner à midi, resto le soir… Sans compter que si on est entre amis, on se laisse parfois aller. Ici, je ne déjeune pas, je me contente d’une salade ou de pâtes à midi et cette heure et demie de musculation avec Philippe me fait le plus grand bien. A lui aussi, d’ailleurs. C’est pratiquement tout ce qu’il peut encore faire sans que son genou ne se mette à gonfler, mais il vient de perdre 12 kilos. Quant à moi, je me pèserai à quinze jours de la reprise. Si j’ai un peu grossi malgré tout, je ferai un petit régime d’une semaine pour arriver pratiquement à mon poids de forme à la reprise. »

Votre transfert de Beveren à La Louvière fut l’une des premières transactions du marché.

Olivier Suray: Les négociations ont été conclues entre février et mars mais il y avait tout de même deux conditions: La Louvière devait se sauver, ce qui ne s’est réalisé que lors de l’avant-dernière journée; et il fallait qu’Adana, mon club turc, me libère gratuitement. Je suis allé trouvé Maître Dupont, qui a l’expérience d’une vingtaine de cas comme le mien et qui m’a très vite rassuré: j’étais en fin de contrat et, à partir du 5 juillet, l’arrêt Bosman sera effectif dans le monde entier. De plus, Adana me doit encore de l’argent.

Vous auriez déjà pu vous retrouver bien plus tôt à La Louvière puisque votre nom y fut cité en cours de saison.

J’aurais déjà pu y entamer le dernier championnat mais je pense que Marc Grosjean n’a finalement pas voulu de moi et je me suis retrouvé à Beveren. Par la suite, on a évoqué la possibilité que j’accompagne Benoît Thans mais le président venait déjà de consentir un gros effort et le club avait surtout besoin d’un buteur. C’est Simundza qui est venu et les faits prouvent que le club a fait le bon choix.

N’aviez-vous pas d’autres possibilités?

A vrai dire, je n’ai pas cherché car j’étais satisfait. A un certain moment, on m’a parlé d’un club allemand de D2 mais ma priorité était de rester en Belgique car je suis déjà parti deux ans en Turquie, loin de ma fille. Je ne pouvais pas rêver mieux qu’un club à cinq minutes de chez moi. Cela va me changer des 2h15 de trajet pour aller à Beveren.

Est-ce cela qui vous a séduit?

Pas seulement mais c’est vrai que, quand on a connu une saison pleine de tracas, les déplacements, ça pèse. Quand La Louvière m’a contacté, j’ai pris mes renseignements par l’intermédiaire de Pierrot Alata, un ami, qui m’a dit qu’il s’agissait d’un club très stable et sain à tous les niveaux. Et puis, il s’agit d’une région qui vit pour le football alors qu’à Beveren, le club était très dispersé. Enfin, je suppose qu’après la saison difficile qu’il a connue, le club prendra moins de risques au moment de constituer son noyau.

Alors que d’autres joueurs se retrouvent sur la touche lorsque le championnat commence, vous trouvez toujours facilement de l’embauche.

Je pense que pas mal de gars font la fine bouche. J’ai connu cela à Charleroi mais je pense qu’avant de dire non, il faut être sûr de trouver ailleurs, sans quoi on finit par accepter des offres en D3 ou en Promotion. Plusieurs journalistes m’ont déjà dit que je manquais d’ambition mais, pour moi, l’ambition, c’est de prester chaque semaine à un bon niveau. C’est ma treizième saison en D1 et je n’ai jamais été très gourmand. Beaucoup auraient dit non à Beveren, j’ai dit oui sans hésiter. Il faut être réaliste: avec l’arrêt Bosman, les joueurs étrangers viennent ici pour rien. Pour les clubs, c’est tentant. En ce qui me concerne, j’ai toujours eu pour principe de signer avant début juin car, après, on n’est plus en position de force et les clubs le savent. Tandis qu’en discutant dès janvier-février, on a le temps de se retourner. Il m’est même déjà arrivé de signer en décembre. Les clubs savent également à quoi s’en tenir avec moi: si je n’ai pas de pépins (et sans les suspensions!), je joue 30 à 32 matches par an. Je ne marque pas dix buts comme Van Meir mais je suis une sorte de bonne à tout faire derrière.

Un signe ne trompe pas: vous êtes désormais un gage de stabilité alors que, par le passé, on craignait plutôt de ne pas pouvoir compter tout le temps sur vous.

C’est surtout à Anderlecht et au Standard que cela s’est mal passé. Mais chaque fois, j’ai dû faire face à de sérieux ennuis physiques. Au Sporting, j’ai été blessé six ou sept fois en trois ans. Et à Liège, une pubalgie m’a empêché de jouer avant décembre. Dans ces moments-là, il est difficile de prendre confiance en soi au sein d’un groupe composé de joueurs aussi forts. Par contre, à Charleroi, j’ai pratiquement tout joué pendant cinq ans et, à ce moment-là, il était plus facile pour moi de m’imposer, y compris dans le vestiaire.

Vous menez aussi une vie plus rangée.

Je dis toujours qu’on ne peut pas savoir à vingt ans ce qu’on sait à trente. Moi aussi, je sens bien que j’ai évolué au point de vue du caractère et qu’aujourd’hui, je peux guider les plus jeunes tandis que tant à Anderlecht qu’au Standard, je pensais avant tout à mon propre jeu. Comme Roch Gérard, Marco Casto ou, plus tard, Philippe Albert, j’avais une réputation de guindailleur mais il faut savoir que, dans les autres pays, les jeunes apprennent le professionnalisme dès l’age de 12 ans. Quand ils arrivent en équipe Première à 17 ans, ils sont déjà presque mûrs. Ici, on est livré à soi-même du jour au lendemain, dans une ville où on n’a pas grandi et où on a plus d’argent que les autres. Alors, on n’a plus de barrières.

Au Lierse, Herman Van Holsbeeck se bat pour obtenir l’engagement d’un psychologue. Etes-vous favorable à ce genre de méthodes?

A Charleroi, nous avons eu un sophrologue mais, en ce qui me concerne, son utilité se résumait aux séances de groupe pendant lesquelles nous rigolions énormément, ce qui raffermissait encore un peu plus les liens. Par contre, je ne suis pas favorable aux thérapies individuelles. A Anderlecht, lorsque j’étais blessé, j’avais plus besoin de famille que d’un psy. J’habite seul depuis l’âge de 15 ans et j’ai parfois envié ceux qui vivaient toujours chez leurs parents. A force de toujours me débrouiller seul, j’ai appris à dire merde aux autres et cela ne m’a pas toujours servi. Mais je n’en suis pas mort et c’est la preuve d’une certaine forme de caractère. Je n’ai jamais fumé et je ne me suis jamais drogué. J’ai peut-être un peu trop profité de la vie mais sans jamais me cacher parce que je déteste les faux-culs.

Quels objectifs vous fixez-vous avec La Louvière?

Nous n’en avons pas véritablement discuté mais j’imagine que le but est de vivre une saison tranquille. J’ai pu discuter quelques minutes avec l’entraîneur lors du drink de fin de saison, auquel j’avais été invité. Il a dit que nos ambitions ne devaient pas être démesurées mais que si tout le monde tirait à la même corde, nous devrions pouvoir vivre beaucoup de bons moments. En ce qui me concerne, j’espère retrouver le même type d’ambiance que celle que j’ai connue à Charleroi, où tout le monde mouillait son maillot. Cela nous a permis de disputer une Coupe d’Europe et de jouer une finale de Coupe de Belgique. Le Sporting de cette époque est celui auquel je m’identifie le plus. Aujourd’hui, c’est différent, l’identité régionale a disparu: très peu de jeunes, beaucoup d’étrangers qui n’apportent pas un plus… Même au stade, je ne retrouve plus cette mentalité familiale qui faisait la force de notre groupe.

Vous allez travailler avec Daniel Leclercq, un entraîneur de top niveau. Vous en réjouissez-vous?

Je ne connais pas ses méthodes de travail. Les chiffres parlent en sa faveur et c’est généralement tout ce qu’on retient. On m’a dit qu’il était très exigeant envers tout le monde, qu’il lui était même arrivé de quitter l’entraînement parce qu’on n’appliquait pas ses consignes mais c’est tout à fait normal car un club comme La Louvière ne peut pas se reposer sur trois ou quatre joueurs. Un entraîneur fort, cela soulage toujours les leaders, ceux sur qui on tape toujours en cas de coup dur. Cela me convient car, même à trente ans, j’ai encore besoin d’une bonne claque de temps en temps.

Qu’espérez-vous apporter?

Je ne pourrai véritablement répondre que lorsque je saurai ce que l’entraîneur attend de moi. Je ne peux pas dire que je vais apporter de la stabilité à la défense car elle en avait trouvé une en fin de championnat. Peut-être mon expérience sera-t-elle utile aux joueurs qui n’ont pas toujours le même rendement lorsque l’hiver approche. Je veux leur montrer qu’un championnat, ce n’est pas seulement cinq ou six matches au début et à la fin. J’espère aussi prendre moins de cartes jaunes que cette année – NDLA: 13. Il faut dire que j’ai souvent dû commettre la faute nécessaire parce que tout le monde ne se replaçait pas toujours. Et j’avais beau crier, on aurait dit que je parlais à un mur.

N’avez-vous jamais regretté d’avoir quitté la Turquie?

Je suis content d’y être allé mais aussi d’être revenu. Ma compagne me disait récemment qu’elle retournerait bien une saison à Altay mais je pense qu’elle se rappelle surtout les bons moments tandis que je retiens avant tout les mauvais…

Ce que je regrette surtout, c’est d’avoir quitté Altay pour Adanaspor. Mais j’en avais ras-le-bol des mises au vert: à un certain moment, c’était trois jours avant le match et un après. Je ne voyais ma famille que cinq jours sur sept tandis que la plupart des joueurs ne se comportaient pas comme des professionnels. Un jour, j’ai pété les plombs et jeté mon maillot sur la tête de l’entraîneur. Cela m’a valu 500.000 francs d’amende et une grosse engueulade de mon père qui aurait préféré que je lui offre ma vareuse.

Mais bon: j’avais opté pour l’argent et, pendant deux ans, j’ai très bien gagné ma vie. De plus, je ne crois pas que j’aurais pu faire une carrière à la Dante Brogno et rester toute ma vie dans le même club.

Patrice Sintzen

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