Pas des pantins

Rencontre avec ceux qui mènent un combat difficile : allumer un stade anderlechtois plus fanatique du tout.

Le décor : une cave plutôt désordonnée, copieusement inondée par endroits, en pleins travaux de rafraîchissement, à quelques dizaines de mètres du Stade Constant Vanden Stock. Ils sont potes, Bruxellois pur jus ou presque, fous du Sporting d’Anderlecht et ont une demande collective :  » Merci de ne pas mettre nos déclarations dans la bouche d’untel et untel « . Pour éviter les problèmes, les jalousies, les remarques désobligeantes…

Bienvenue dans l’antre de la Mauves Army. Partons à la découverte de ceux qui se sont juré de transformer en enfer un stade qui a régulièrement des allures de chambre mortuaire et de repère petit bourgeois. C’est derrière un but, dans la tribune 04, que ça se passe. Tifos, chants d’encouragement, refus de reddition, allergie aux VIP et aux supporters de la victoire, amour du beau jeu : la Mauves Army abat ses cartes avant le triptyque face à cet ennemi juré et ancestral qu’est le Standard.  » Si on perd contre eux, je ne dormirai pas de la nuit. Et si le Standard est champion, je me tue. N’importe qui mais pas eux « .

200 membres

Au départ, la Mauves Army qualifiait l’ensemble des supporters d’Anderlecht. En janvier 2003, quelques fans du Sporting ont créé la Mauves Army 03, groupe d’animation reconnu par le club. Quelques mois plus tard, une nouvelle vague a pris le relais et c’est elle qui représente aujourd’hui ce  » groupe d’ambiance  » qui n’est pas un club de supporters officiel.

 » Nous avons près de 200 affiliés et les membres actifs ont 18-25 ans. Il faut du temps et de l’énergie pour se consacrer à une organisation comme la nôtre, et si vous avez une femme, des enfants, un boulot et une maison, c’est difficile de venir travailler pendant des journées entières pour préparer des tifos ou d’autres activités. Il y a surtout des étudiants. Quand nous nous retrouvons, c’est chaque fois une réunion d’amis. Notre devise est d’ailleurs – More than a group, a family. S’il n’y avait pas des liens aussi forts, nous aurions laissé tomber depuis longtemps car notre projet n’aurait eu aucune chance d’aboutir « .

Pas d’impro

L’improvisation ne fait pas partie du vocabulaire de la Mauves Army. Le groupe d’ambiance du Sporting a toutes les allures d’une… armée :  » Nous avons trois types de membres : une dizaine de responsables, une trentaine de personnes actives et environ 160 sympathisants simples. Chaque responsable a une tâche bien définie : recrutement, perception des cotisations ( » cartage « ), accueil des nouveaux membres, entretien du local, achat de matériel, fabrication de gadgets (pulls, écharpes, casquettes,…), confection des tifos, entretien du site internet, relations avec la direction, organisation des activités visant à faire rentrer de l’argent dans nos caisses (soirées, récoltes de fonds auprès des supporters), relations publiques, graphisme, gestion de la section féminine (20 membres), etc « .

Allumer le stade

Il faut prouver son envie d’allumer le Stade Constant Vanden Stock pour pénétrer dans la Mauves Army :  » Ce qui nous distingue de la majorité des spectateurs des matches du Sporting, c’est notre fanatisme. Nous voulons montrer que nous sommes différents. Celui qui imagine assister à une rencontre à domicile en restant sagement sur son siège n’a pas sa place chez nous. Dans le temps, il y avait le O-Side au Sporting. Mais depuis une dizaine d’années, l’ambiance a fort changé, elle est méchamment retombée. Près de 85 % des habitués disent : -J’ai payé mon abonnement, je vais voir les matches, point. Ce n’est pas comme ça que nous envisageons le rôle du supporter. Venir au stade simplement sous prétexte qu’on n’aime pas regarder le match à la télé, ce n’est pas dans notre philosophie. Il faut bouger, s’enthousiasmer, crier, chanter. Le Sporting est en manque de fanatiques, et quand nous en repérons un, nous essayons de l’attirer vers nous « .

Toujours surprendre

Dans la cave où se déroule l’interview, près de 1.500 petits drapeaux faits main attendent un prochain grand moment. Le secret est de rigueur (une logique dans l’organisation de n’importe quel tifo) mais il semble qu’ils soient réservés aux célébrations du titre ou à la finale de la Coupe de Belgique. Leur fabrication a représenté cinq mois de travail.

 » Nous voulons innover et surprendre en permanence. Ressortir deux fois le même tifo, c’est nul. Nous ne sommes jamais tombés dans ce piège. Chaque match a sa vérité et mérite son animation. Nous essayons constamment de trouver des nouveautés. Nos bâches ont déjà représenté le logo de Bruxelles, celui de Saint-Michel, de la commune d’Anderlecht, de Saint-Guidon, de la Mauves Army,… Notre record, c’est une bâche de 800 mètres carrés que nous avons dévoilée la saison passée contre le Standard. Bruges a eu droit à une peinture de 600 mètres carrés, et Pär Zetterberg à une £uvre de 400 mètres carrés quand il a fait ses adieux de joueur. Pour des questions de temps et de finances, nous ne pouvons pas prévoir un tifo à chaque match. Un tifo normal, c’est entre 1.000 et 1.500 euros. Nous devons cibler. Tous les chocs y passent, en plus de quelques rencontres moins importantes. Au total, cela représente une dépense comprise entre 10.000 et 15.000 euros par an en voiles, feuilles plastiques, peintures, mâts, cordes, tape, etc « .

 » On marche seul  »

 » Au début du mouvement, la direction du club a souhaité nous aider financièrement dans la préparation de nos activités. Cela se fait ailleurs, c’est toujours le cas au Club Bruges par exemple. On s’excite parfois devant les tifos brugeois et on en a plein la bouche quand on parle de la Blue Army. Désolé, mais il faut remettre les choses à leur place. C’est le club qui paye, ce n’est donc pas compliqué de faire de belles choses. Chez nous, rien de tout cela. La direction souhaite toujours financer une partie de nos activités mais nous refusons. Parce que nous voulons rester totalement indépendants et conserver notre liberté d’expression. Nous n’avons pas envie de devoir rendre des comptes. Nous avons notre fierté. Les beaux tifos viennent de nous et de personne d’autre. C’est comme si nous jouions au Monopoly : nous sommes partis de rien et nous devons faire en sorte d’acquérir progressivement de nouvelles maisons. Nos maisons, ce sont nos tifos. Si nous acceptions l’aide de la direction, nous serions peut-être obligés d’obéir à certaines consignes. De montrer aux joueurs que nous serions contents d’eux, par exemple, alors que ce ne serait pas le cas. Nous ne buvons pas de cette eau-là. Les activités des supporters du Standard ont longtemps été subsidiées par la Famille des Rouches, qui est une branche de la direction. Très peu pour nous. Entendre -On vous donne 1.000 euros et vous faites ce qu’on vous demande, ça serait insupportable. La Mauves Army ne veut pas devenir une armée de pantins « .

Voile anti-feu

Cette indépendance par rapport à la direction ne veut toutefois pas dire que la Mauves Army peut tout se permettre :  » Quand nous prévoyons un tifo, nous devons remettre notre projet au club une quinzaine de jours à l’avance. Le chef de la sécurité du Sporting le transmet alors à la police et aux pompiers, qui font éventuellement des remarques. Le cahier des charges est très précis et il y a surtout un refus qui nous reste toujours en travers de la gorge. C’était notre tout premier tifo, nous avions investi 4.000 euros dans un grand voile mais le chef de la sécurité l’a refusé la veille du match sous prétexte que ce n’était pas un voile anti-feu. Comme si un con allait prendre son briquet et mettre le feu ! Les voiles normaux sont acceptés partout mais pas chez nous. A Bruges, la Blue Army a un voile anti-feu de 600 mètres carrés qui a coûté 20.000 euros. C’est facile quand tout est payé par la direction « …

Dure répression

Si vous voulez fâcher un membre de la Mauves Army, parlez-lui simplement de la police d’Anderlecht !

 » Une honte. On nous réprime, on nous persécute en permanence. Que peut-on encore faire dans un stade sans risque de se faire coffrer et punir sévèrement ? Un de nos membres a reçu une amende de 250 euros, une interdiction de stade de 3 mois et un casier judiciaire pour s’être accroché au grillage après le but de la victoire du Sporting dans un match contre Mouscron. L’année dernière, nous avons allumé un feu de Bengale contre Genk. La police a pris un de nos membres au hasard, évidemment un petit jeune de 17 ans et 1m60. On lui a dit : -Donne-nous le nom du coupable ou c’est toi qui vas tout prendre. Il n’a pas lâché le morceau mais l’a payé : 350 euros et 6 mois d’interdiction. C’est scandaleux. Les policiers chassent les petits parce qu’ils ont peur des leaders de notre groupe. La Loi Football est une aberration. Priver quelqu’un de stade pendant 3 mois et lui coller une amende de 250 euros parce qu’il a fait un doigt d’honneur, vous trouvez ça normal ? Le tarif pour un feu de Bengale, c’est 1.000 euros en Belgique et 2.500 euros en Ligue des Champions. Nous avons exprimé notre ras-le-bol pendant le match contre Roulers. Nous avons chanté -Gestapo pour dénoncer les caméras de surveillance et les spotters planqués dans notre tribune. La sanction n’a pas traîné : on nous a interdit de sortir notre matériel pendant trois mois. Après tout cela, on s’étonne qu’il n’y ait plus d’ambiance dans les stades. La police ne comprend rien et fait des généralités du style : -En Italie, ils ont réussi à balancer un scooter du premier étage du stade de Milan, donc il faut faire attention ici aussi. Elle n’aime pas les groupes et a peur que le hooliganisme des années 80 refasse surface. Alors, elle réprime durement. La direction n’a pas le choix, elle doit se conformer aux sanctions de la police. Nous avons une très bonne relation avec la direction du Sporting mais aucune relation avec les policiers. Ils font tout pour nous casser « .

Les ultras

Sur le site internet de la Mauves Army (www.mauves-army.be), on lit :  » Nous cherchons un mélange entre le style british (propre au public anderlechtois) et le style ultras que nous approuvons totalement « . C’est-à-dire ?

 » Il n’y a pas de définition qui tienne la route pour les ultras. Chaque groupe a sa mentalité. Pour résumer, on peut dire que les ultras sont de vrais fanatiques, des gars qui vont au stade pour supporter leur équipe pendant 90 minutes et ne pensent à rien d’autre, qui continuent à chanter si leur club se prend une défaite 5-0. Si le Sporting n’est pas champion, nous serons toujours là. Idem s’il bascule en D2. A ce moment-là, il n’y aurait plus que 5.000 personnes au stade mais tous les membres de la Mauves Army en feraient toujours partie. On se fout à la limite du résultat, pourvu qu’on s’amuse et qu’on nous propose du beau football. L’ambiance et la manière priment, le résultat brut est bien moins important. Nous nous sommes parfois emmerdés à mourir dans des matches que le Sporting a gagnés les doigts dans le nez « .

Anti-bourgeois

La Mauves Army ne conteste pas l’étiquette coincée et bourgeoise du public anderlechtois.

 » Quoi de plus normal ? C’est le business qui tue l’ambiance dans ce club. Les abonnements et les tickets sont beaucoup trop chers. Qui peut se permettre de cracher 25 euros pour un match ou 400 euros pour un abonnement ? Surtout des hommes d’affaires, des gars qui débarquent en costume cravate pour être sagement assis pendant une heure et demie. Ils achètent une écharpe… et l’étendent sur leur siège pour ne pas salir leur belle culotte. Et une écharpe pour madame parce qu’il ne faut pas qu’elle abîme son nouveau tailleur. Ils disent carrément : -J’ai payé pour m’asseoir, pas pour me salir. Ce ne sont que des supporters de la victoire. Dès que le Sporting joue mal, ils sifflent puis se taillent à la 89e minute et grimpent dans leur BMW pour ne pas être coincés dans les files. Si de vrais supporters placés devant eux se lèvent, ils râlent, appellent les stewards et les menaces commencent : interdiction de stade, etc. Ces bourgeois voudraient qu’on chante assis et qu’on saute assis… Ça nous rend malade d’en voir partout autour de nous dans notre stade. On lit dans leurs yeux ce qu’ils pensent de nous : -Regardez ces cons, ces hooligans. Et on nous empêche d’accrocher une de nos banderoles sur le grillage devant notre tribune parce que ça cacherait un panneau d’un gros sponsor. Il y en a 40 dans le stade ; vous imaginez, si on n’en voit plus que 39 ! Quelle catastrophe. Nous avons déjà pensé à des actions de grève pour nous opposer au prix trop élevé des places mais nous partirions battus d’avance. Comme le stade est presque toujours plein, il y aurait vite des candidats pour acheter nos abonnements et nous serions perdants au bout du compte parce que nous serions privés de notre passion. Si un nouveau stade, plus grand, est construit dans les prochaines années, la situation risque de ne pas s’améliorer. On augmenterait encore le prix des places pour financer les travaux et l’ambiance deviendrait encore plus pourrie « .

Complexité linguistique

Faut-il s’étonner que de nombreux chants entendus à Anderlecht soient en anglais ?

 » Chez nous, le problème linguistique est énorme. Si nous lançons un chant en français, le public ne suit pas et on entend immédiatement des remarques du style : -Retourne au Standard, sale Wallon. Pour avoir une chance que les tribunes participent un peu, il faut chanter en flamand ou en anglais. Il y a 65 % de supporters flamands à Anderlecht. Nous essayons de former une famille entre Flamands et Wallons mais la greffe ne prend pas. Nous sommes un groupe apolitique, nous n’avons aucune exclusive, il y a des Flamands dans la Mauves Army, mais l’union à l’échelle de tout le stade est impossible « .

La tenue

Les membres de la Mauves Army ne portent pas de maillot ou de training officiel du Sporting. Pourquoi ?

 » C’est dans notre mentalité. Nous ne portons que le matos du groupe. Acheter un maillot à 60 euros ou un training à 200 euros ? Non merci. Nous payons déjà assez pour notre abonnement. Le club nous a donné l’autorisation de commercialiser nos produits avec le logo de la Mauves Army autour du stade et dans son enceinte lors de la journée portes ouvertes. La seule restriction, c’est que nous ne pouvons pas y apposer le logo du club ou les lettres RSCA. Nous trimballer avec un grand logo Fortis sur la poitrine ne nous intéresse pas. De toute façon, les joueurs n’en ont rien à cirer. Ils préfèrent que nous soyons présents pour les encourager et ne se soucient pas des vêtements que nous portons. Sachez aussi que pour le prix d’un maillot officiel, on peut voir deux matches de l’équipe en déplacement « .

par pierre danvoye – photos : reporters

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