Pas de place pour lui?

Il se donne deux ans pour réussir quelque chose dans un bon club.

Etienne Delangre au Standard? Tout semblait l’indiquer. Avec le retour de Michel Preud’homme, Etienne s’est remis à fréquenter le Bois Saint-Jean. On l’y a vu souvent, ces derniers temps. Il n’en fallait pas davantage pour échafauder une théorie. Preud’homme directeur technique, Delangre entraîneur. Un plan qui tenait la route.

« Le raisonnement est logique. Il avait forcément de quoi me séduire. J’ai mon idée sur la manière dont les rumeurs ont vu le jour. Heureux de revoir Michel, je me suis régulièrement trouvé à ses côtés. D’où diverses extrapolations sans fondement », commente Delangre. « Entre le club et moi, il n’y a rien. Le staff technique est connu. Je ne fais pas partie de l’organigramme ».

La déception se voit au rictus qui ponctue ses fins de phrases. Lorsque le sujet est abordé, de longs silences suspendent les mots dans le vide vertigineux de la réflexion. « Clair qu’un tel poste m’aurait intéressé. Michel travaille dans le bon sens. Nous nous serions trouvés les yeux fermés en nous basant sur des idées, des conceptions identiques. Malheureusement, l’engagement d’une personne dépend d’énormément de paramètres. Aucun membre de la direction n’a cru utile de me rencontrer. J’ai quitté le Standard depuis bientôt neuf ans. Durant ce laps de temps, plus le moindre contact n’a été établi. Même pour envisager ma collaboration avec l’école des jeunes. Cela ne m’intéresse pas de toute manière. Mais ça permet de mieux situer mes rapports avec mon ancien employeur. J’ai l’impression que le Standard va à contre-courant de la philosophie développée par les grands clubs. Ceux-ci confient la formation des enfants à des gens qui connaissent l’esprit maison et se montrent capables de l’enseigner. Perpétrant ainsi une tradition. Au lieu de cela, Tahamata est parti. Czerniatynski suivra. Labarbe également ».

Derrière la belle vitrine constituée par tout ce qui touche au sportif, les autres secteurs sont cloisonnés. L’ambiance, jadis si chaleureuse, qui se dégageait des salles de réception, a disparu. Remplacée par des espaces modulaires réservés à différentes castes. Pas évident pour les anciens de s’identifier à ce nouvel assemblage. Glacial. Méthodique.

« Dans les faits, je suis redevenu supporter depuis quatre mois. Parce que Michel est là et que je lui souhaite tout le bien du monde. Je m’avoue très heureux de la qualification européenne. Le merveilleux public de Sclessin mérite de vivre de grandes épopées. Cette troisième place en championnat constitue sans doute la première marche d’un escalier qui doit conduire vers les sommets. J’ignore les perspectives réelles et concrètes sur le moyen, le long terme. Quels que soient les moyens, il faudra de la patience avant de concrétiser un objectif d’envergure. Six ans d’absence à un tel échelon, c’est long. Une véritable éternité compte tenu de la progression enregistrée par plusieurs pays. Aucun club belge ne rigole lors du tirage au sort déterminant le tour préliminaire. Il y a peu, le représentant de notre royaume n’aurait probablement fait qu’une bouchée de Maribor. Genk s’est incliné avec pertes et fracas. Même Anderlecht a bataillé ferme pour sortir des Chypriotes qui, jadis, se déplaçaient avec l’unique espoir de ne pas prendre dix buts. Cette qualification, acquise dans la crainte, a accouché d’un bien bel enfant. Du coup, le fossé s’est creusé entre Anderlecht et ses rivaux nationaux. Le Sporting vit désormais sur une autre planète. En négociant adroitement les transferts de divers joueurs, il va accroître sa puissance financière de manière considérable. Or, l’argent est devenu plus qu’auparavant le nerf de la guerre ».

Les budgets connaissent une courbe exponentielle. La masse salariale s’y taille la part du lion. « Cela devient délirant. Je me souviens du contrat que j’avais lorsque je suis devenu titulaire : 5.000 francs de fixe plus les primes. Malgré cela, j’étais heureux. Heureux et fier de porter cette vareuse rouge. De 17 à 23 ans, j’ai travaillé dur. J’ai presté plus qu’un autre. Améliorant modestement mes conditions financières chaque année. Que font les jeunes aujourd’hui? Ils perçoivent des sommes folles. Réalisent des transferts faramineux sans y être préparés. Puis, ils se plantent. Le plus bel exemple est apporté par Laurent Delorge. Après sept rencontres disputées en équipe Première à La Gantoise, départ pour Coventry. Il venait à peine de fêter ses 18 ans. Résultat: le voilà en plein doute. N’aurait-il pas été plus sain à son égard de lui laisser le temps de faire ses preuves? A 21 ans, il doit digérer un échec. Tant au plan sportif que psychologique ».

Cela dit, réjouissons-nous d’assister à l’éclosion de jeunes entraîneurs issus du terroir. Ils amènent des idées fraîches. Paradoxe étonnant, à l’école du Heysel, Etienne Delangre est le professeur de Preud’Homme, Scifo, Czerniatynski, Grün et Demol. Rien que des internationaux. Des vedettes confirmées. Néanmoins, quand Etienne parle, ils se taisent.

« Je pense être habité par la grande passion du jeu. J’aime, j’adore jouer. Frans Masson me disait dernièrement que sans cela, il était difficile de faire passer un message. Je ne suis doté d’aucune formation pédagogique. Je m’appuie sur une grande faculté d’analyse. Le fait d’avoir été un joueur polyvalent m’a, sans cesse, forcé à réfléchir. En me déplaçant sur l’échiquier, mes entraîneurs ont étoffé ma culture. Alors que, parfois, les séances tactiques embêtaient mes équipiers, je me passionnais pour cet aspect. Georg Kessler l’a bien compris. En compagnie de Léon Semmeling, il m’incluait dans ses réflexions. J’ai constaté qu’il tenait compte de mon avis lorsqu’il éprouvait un doute au moment de déterminer la sélection. C’était enrichissant au possible. Je déplorais pas mal de lacunes footballistiques pures. Mon seul moyen d’exister consistait à compenser ces manquements par une lecture du jeu au-dessus de la moyenne ».

Voilà pourquoi des élèves aux pieds d’or respectent celui qui, finalement, n’entraîne que Dison-Verviers en Promotion! Car là aussi, il y a décalage. Preud’homme et Scifo président aux destinées de clubs ambitieux. Demol réussit plutôt bien en D2 avec Turnhout. Quant à Grün et Czernia, ils devraient entrer en fonction prochainement au service de belles écuries.

Le parcours réalisé par Etienne Delangre n’est pas un succès global. De bons points peuvent lui être attribués pour ses passages à Sprimont et à Verviers. Par contre, tant à Walhain qu’à Seraing, c’est un bonnet d’âne qui lui est décerné. Lui est-il malaisé d’être crédible? « Le problème ne vient pas de moi. En Belgique, les dirigeants se montrent très conservateurs. Ils aiment travailler avec les copains des copains. Dans certains clubs, l’entraîneur est désigné par le sponsor principal.

Voici une anecdote qui situe assez bien le niveau des décideurs. Il y a deux ans, j’ai contacté un club néerlandophone. Je souhaitais fourbir mes armes de l’autre coté de la barrière linguistique. A la tête de ce club de D3, qui a connu un passé de D1, le patron n’avait jamais entendu prononcer mon nom. Je ne suis pas Maradona, mais après une décennie passée parmi l’élite, je croyais quand même être plus connu que cela! J’admets m’être planté à Walhain. J’ai commis des erreurs. Qui peut se targuer d’être infaillible? Pour le reste, pas de problème. Je sais ce que je vaux. La preuve en été apportée à Sprimont. A Verviers aussi. Sans éléments extérieurs, nous aurions été champions. Mon poste à l’Union Belge m’interdit d’entrer dans les détails. Je vous assure toutefois que des éléments extérieurs, je le répète, nous ont privés d’un titre que nous méritions. Je me contente juste de remarquer que Couillet a aligné contre nous un joueur non-qualifié sans être sanctionné. L’accumulation de petits détails de ce type ne me permettent pas de croire au malencontreux hasard. Indépendamment de cela, je pensais, naïvement sans doute, que notre campagne valeureuse attirait l’attention ».

Ceux qui ont un vécu de pro éprouvent toujours de grandes difficultés à réaliser des miracles à l’étage inférieur. Compréhensible, finalement. Habitués à un régime strict, ils parviennent difficilement à gérer un groupe pour qui le foot ne constitue nullement la préoccupation première. Les étages du bas peuvent devenir des passages obligés en forme de piège. Pas simple en effet d’intégrer la D1 après avoir effectué un détour par la campagne. Les places sont chères au top. Avant de tenter sa chance à l’étranger, le clan des Limbourgeois verrouillait les entrées. A croire qu’ils se réunissaient une fois par an pour jouer, entre eux, au jeu des chaises musicales.

« On a effectivement l’impression qu’il se passe quelque chose. Raison pour laquelle je me donne deux ans avant de prendre une décision définitive. Soit j’arrête, soit je continue à un bon niveau, soit je tente l’aventure en dehors de nos frontières. J’ai de l’ambition. J’exclus pourtant de m’obstiner en pure perte. Deux ans. Si rien ne se décante, je passe à autre chose ».

Daniel Renard

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