« Pas de complexe d’infériorité ! « 

Six mois après son arrivée à Bruges, le défenseur de 29 ans fait – modestement – le point sur tout ce qu’il a apporté.

Les autos font la file Avenue Lippens, l’artère la plus commerçante de Knokke-le Zoute, et la pluie tombe finement. On est à quelques dizaines de mètres de la mer du Nord et il fait doux par rapport au reste de la Belgique. En pleine rue, Carl Hoefkens est abordé par des supporters du Club, tout près de son domicile. Pourtant, quand Hoefkens fut cité à Bruges, certains avaient mis en garde le président contre ce footballeur rassasié, seulement avide d’argent.

Le défenseur avait déjà dit non au Club par le passé et les supporters ne l’avaient pas oublié. Mais six mois plus tard, il présente un bilan impressionnant. Quand il joue, le Club a gagné 9 points sur 10, et seulement la moitié en son absence. En août, il avait signifié qu’à 30 ans, il ne revenait pas en Belgique pour achever sa carrière en roue libre :  » Si l’argent constituait ma motivation principale, j’aurais signé pour n’importe quelle formation anglaise. J’ai toujours joué pour des clubs qui n’étaient pas obligés de gagner et je voulais ressentir la pression du succès. Aujourd’hui, je suis heureux que ces chiffres montrent que j’apporte quelque chose. Les gens ont avoué avoir changé d’avis à mon sujet. D’ailleurs, après mon premier match, le président m’a dit avoir été assiégé pour ne pas m’embaucher. « 

A peine arrivé, vous vous êtes perdu au Tillegembos, où vous effectuiez un jogging solitaire, alors qu’à midi, vous aviez un entraînement avec le Club.

Carl Hoefkens : Je trouvais normal de faire des heures sup’. J’en avais besoin. Quand on n’est pas en forme, il faut travailler. Les footballeurs le font trop peu. Ce n’est pas au club à organiser des séances de musculation pour ses joueurs par exemple. Ce sont des choses qu’on fait par soi-même. Je m’y suis toujours astreint. En Angleterre, j’étais servi ! Quand j’arrivais à huit heures du matin, je pouvais m’adresser au préparateur physique et lui dire ce que je voulais faire et comment. Tout professionnel veut progresser, non ?

Vous ne l’avez appris qu’en Angleterre ?

Au Lierse. Je me souviens de séances hivernales, en catégories d’âge. Les terrains étaient tellement mauvais que nous ne pouvions rien faire d’autre qu’un test de Cooper, abattre la plus grande distance possible en douze minutes, dans le vent et la neige. Nous donnions tout, nous voulions tous progresser. Plus tard, Eric Gerets nous a emmenés courir dans les bois et cela tournait vite à la compétition. Hans Somers était généralement le plus rapide. Pascal Bovri était bon, comme Jurgen Cavens quand il en avait envie. A la fin de l’entraînement, nous étions vannés.

Maintenant, on se fie aveuglément aux pulsomètres, ce qui facilite un peu trop la vie des footballeurs : dépasser ses limites de temps en temps vous trempe le caractère. Stoke avait un budget trois fois supérieur à celui d’Anderlecht mais je ne m’y suis jamais entraîné avec un pulsomètre. Nous nous appuyions sur notre instinct et pendant la préparation, notre devise était de tout donner. Il faut aller dans le rouge de temps en temps pour progresser. En Angleterre, j’ai vu de fins techniciens, des internationaux étrangers, qui se livraient à fond. C’est une question d’entourage. Là-bas, quand l’entraîneur demande, au début de la séance, d’effectuer cinq tours le plus vite possible, tout le monde s’exécute sans râler.

Regrettez-vous la Premier League ou l’ambiance anglaise ?

Non. J’ai effectué le bon choix au bon moment. Je veux gagner. J’en avais marre de perdre chaque semaine en ayant couru après le ballon pendant 90 minutes.

Vous n’étiez pas vraiment le bienvenu au Club…

J’ai pris ça comme un défi. Je savais ce qui m’attendait, je savais que 70 % des supporters étaient opposés à mon arrivée. Cela m’a motivé. Je savais que je devrais faire mes preuves et je me suis livré à 100 % dès la première minute. J’ai rapidement convaincu les gens que je n’étais pas une vedette rassasiée et démotivée. J’ai apporté une plus-value.

Jamais content

Comment est-ce de jouer pour un club obligé de gagner semaine après semaine ?

Agréable. Quand les supporters ne sont pas contents, ils nous aident à atteindre un niveau plus élevé. Sinon, c’est trop facile. Au Germinal Beerschot, après certaines défaites, je pensais qu’il faudrait plus de critiques car nous ne pouvions perdre avec cette équipe ; mais ces critiques ne venaient jamais alors qu’ici, on râle quand on réalise un nul contre Malines. C’est comme ça que ça doit marcher. Quand un match est mauvais, il est mauvais, c’est tout, et il faut le dire, comme le fait Adrie Koster. J’apprécie ça. Un entraîneur ne doit pas prétendre qu’il a quand même vu des bonnes choses. Il doit pouvoir trancher : -J’ai commis une erreur ou mes joueurs n’ont pas fait ce que je leur avais demandé. Trop souvent, en Belgique, on enjolive la situation, on cherche des excuses : le terrain était mauvais ou l’arbitre s’est trompé alors que c’est souvent la faute des joueurs ou de l’entraîneur.

Les arbitres sont-ils aussi mauvais qu’on le dit ?

Pas du tout. C’est dû à la mentalité des joueurs. Quand on ne siffle pas une faute, ils se lamentent pendant dix minutes et à la faute suivante, on rappelle ce qui s’est passé un quart d’heure plus tôt. En Angleterre, on continue.

La barre est élevée au Club ?

Oui, le public nous pousse vers le succès, il veut voir ce que j’admirais à la télévision gamin, en voyant le Club de Papin ou de Farina : leur équipe doit balayer les autres à domicile. Nous n’y parvenons pas toujours mais j’aime cette pression. Il faut que l’adversaire entame le match en perdant. Avant, quand le Lierse se déplaçait au Club, c’était en sachant qu’il n’y gagnerait rien. Mais nous pouvons faire mieux. Nous ne sommes pas encore un bastion imprenable.

Que manque-t-il encore ?

Le sentiment que rien ne peut aller de travers. Contre Toulouse, j’ai senti des doutes avant le coup d’envoi. Du genre -Aïe, l’année dernière, contre Copenhague, nous avons échoué.

Cette équipe peut-elle viser le titre ?

Certainement. Et ça en plus de la Coupe et de passer un tour de plus en coupe d’Europe, mais sans aucune certitude. Tout dépendra de détails.

Comment jugez-vous votre football ?

Nous pouvons être dominants contre les équipes qui jouent mais nous manquons de maturité et ne savons pas encore démanteler le jeu des formations qui bétonnent. Nous en avons fait l’expérience trois fois de suite mais Lokeren, Charleroi et Malines ont été les seuls à afficher une mentalité défensive. Globalement, nos adversaires veulent jouer.

Beaucoup d’équipes m’ont agréablement surpris. Zulte Waregem avait l’intention de développer son football. Ce qui m’a surpris à mon retour en Belgique, c’est qu’on ne bétonne plus automatiquement contre le Club.

Avez-vous affronté des équipes qui vous étaient supérieures ?

Non, mais des équipes qui méritaient mieux, comme Lokeren.

Quels joueurs du Club vous ont-ils agréablement surpris ?

Plusieurs peuvent aspirer à la Premier League. Dirar a notamment toutes les qualités requises mais il doit apprendre à les exploiter et vivre pour le football. En Angleterre, il serait un excellent ailier.

Dirigez-vous les autres ?

Bien sûr. On m’a enrôlé pour ça. Nous avons un chouette groupe mais trop de joueurs sont trop gentils envers eux-mêmes. Ils ne jouent pas tous les matches avec la même inspiration.

Vos coéquipiers vous trouvent-ils embêtant de les harceler ainsi ?

Je ne pense pas. Je m’entends bien avec chacun. Je ne m’isole pas.

C’est l’effet Koster ?

Combien de fois avez-vous passé l’hiver en coupe d’Europe ?

C’est la première fois mais l’Europe ne constitue pas une récompense pour le Club. Son objectif est de se qualifier pour le tour suivant. Ainsi, contre Donetsk, nous avons été trop respectueux. Certains ont rappelé qu’il était le tenant de la Coupe alors que nous nous sommes forgé des occasions en fin de match. Le Club ne doit craindre personne. Beaucoup de joueurs ne saisissent pas l’ampleur de leur talent faute d’avoir disputé assez de vraies affiches. Vadis déborde de talent. Il peut encore passer cinq ans au Club, sauf s’il voulait franchir un cap. Des joueurs d’autres équipes m’ont agréablement surpris, comme Jovanovic mais aussi Dequevy à Roulers ou Gueye dans l’entrejeu de Lokeren.

Les équipes belges ont-elles un complexe d’infériorité en coupes d’Europe ?

Oui et c’est grave. Le problème est que tout le monde doute : joueurs, clubs, presse, fédération. Tout le monde parle du football néerlandais mais l’AZ est au fond du trou et Anderlecht a battu l’Ajax. On surestime le football batave et on sous-estime notre championnat.

Les entraîneurs néerlandais sont-ils meilleurs ?

Koster facilite la vie des joueurs et des journalistes en étant lui-même. Son approche est un régal pour les Belges. Les Néerlandais sont plus ouverts, ils communiquent mieux, se sentent moins vite agressés. Koster peut être dur en réglant un conflit mais en même temps, il est apaisant. S’il critique, c’est pour nous faire progresser, pas pour nous casser. En Angleterre, quand un entraîneur demandait s’il y avait des remarques, après une discussion de groupe, tout le monde levait le doigt et les réactions s’enchaînaient. Pas en Belgique.

Osiez-vous ouvrir la bouche en Angleterre ?

J’ai toujours fait part de mes remarques.

Koster a-t-il une approche différente de Gerets ou de Brys ?

Gerets n’est pas typiquement belge. Au Beerschot, Marc Brys ne pouvait développer un football dominant car nous n’étions pas assez bons. Nous devions procéder avec cinq défenseurs. Koster dispose d’un groupe ambitieux et nous laisse généralement jouer franchement, sans trop de consignes.

Les assuétudes

Vous êtes heureux de devoir gagner chaque semaine. N’auriez-vous pas dû opter plus tôt pour un club de ce niveau ?

Si, mais je ne regrette rien, même pas d’avoir rejoint Lommel au lieu de Trabzonspor après le Lierse. Si c’était à refaire, j’opérerais le même choix. On ne joue pas avec mes pieds ! J’ai découvert un autre monde à Lommel. J’ai dû me battre avec des moyens limités, à un niveau inférieur, mais c’était avec enthousiasme. Je n’ai pas peur de choisir les voies les plus difficiles.

Conseilleriez-vous aux jeunes de ne pas trop attendre avant d’aller à l’étranger ?

Oui mais on peut échouer. On progresse ou on craque. La pression et la concurrence y sont fortes. Ici, avant le début de la saison, je peux vous donner le onze de base. Pas là-bas. Quand vous êtes écarté, vous devez être fort pour résister. Par frustration, vous pouvez sombrer dans l’alcoolisme ou vous lancer dans les paris car vous avez beaucoup d’argent. En quatre ans, j’ai vu une dizaine de joueurs sombrer. Là, nul ne vous encourage ni ne vous demande ce que vous faites alors qu’ici, si on vous voit au casino, on vous en parlera.

Que faisiez-vous quand vous ne jouiez pas ? Boire ou parier ?

Pêcher,… pour la première fois de ma vie. Il faut du bon sens quand on est un jeune transféré dans un grand championnat et porté aux nues. Financièrement aussi. Finalement, les matches avec l’équipe nationale constituaient de vraies vacances après des mois de pression au sein du club.

Pensez-vous encore aux Diables ?

Oui, même si les plus grands talents belges évoluent à mon poste.

Donc, le chapitre est clos ?

Certainement pas ! Je pense pouvoir lui apporter quelque chose, ne serait-ce qu’un peu de caractère mais je peux comprendre que d’autres, en lisant ceci, se demandent ce qui me passe par la tête. l

Par Geert Foutré – Photos: Jelle Vermeersch

« Si un match est mauvais, il est mauvais. Adrie Koster le dit et j’aime ça. »

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