» Pas d’opération foireuse ! «
Cela sent encore le roussi chez les Zèbres : le ministre-président de la Région Wallonne tient la lance d’incendie.
Boule et Bill tirent la tête des mauvais jours à deux pas du stade du Pays de Charleroi. Leur club préféré a été sauvé de la faillite mais n’en reste pas moins convalescent. Il ne suffira pas d’une aspirine pour le sortir du lit.
Le Docteur Jean-Claude Van Cauwenberghe devra lui administrer un remède de cheval. Personne d’autre que lui n’est capable de le faire pour le moment chez les Carolos. Les virus ont été identifiés : une dette globale de 12, 5 millions d’euros ; en ce compris les emprunts bancaires qu’il ne faudra rembourser qu’à partir de 2007. Mais bon, il y a 1,25 million d’euros à trouver pour la mi-juillet afin de payer des dettes urgentes sans quoi le tribunal du Commerce de Charleroi mettra le club en faillite. Et une fois cet écueil franchi, il restera à trouver 4 millions d’euros bien frais pour commencer et boucler la saison.
Comment faire ? Si rien ne bouge, si un bon plan de redressement n’est pas déposé sur la table, la faillite virtuelle du vieux club carolo se transformera en réalité, avant ou pendant le championnat.
C’est jouable
Comment résumeriez-vous votre action au profit des Zèbres ?
Jean-Claude Van Cauwenberghe : Le Sporting était dans une impasse sportive et financière. Les Zèbres ont finalement gardé leur place en D1 et obtenu leur licence mais l’horizon financier est, pour le moins, inquiétant. On m’a demandé d’essayer de résoudre ce problème car j’ai un pied dans la région, j’aime ce club, j’ai l’habitude des gros dossiers et je suis une référence, un repère, une légitimité carolo, pour ceux qui demain auront envie d’investir au Sporting. La Ville a des intérêts à protéger dans le club (elle est garante en premier rang d’un prêt de 5 millions d’euros), ne peut rien faire de plus et doit garder un certain recul. Avant que je ne me penche sur le problème, un scénario, soutenu par mon ami Claude Despiegeleer, échevin des Sports, avait prévu récemment un apport de 1,25 millions d’euros d’Abbas Bayat et le même montant grâce aux sponsors de Jean-Jacques Cloquet. Or, Abbas Bayat ne peut plus le faire car il s’est déjà suffisamment engagé. De son côté, Jean-Jacques Cloquet a rencontré beaucoup de réserve dans ses contacts car les gens se méfient et n’ont pas envie d’engager de l’argent dans un club à la dérive. J’ai bien mesuré la difficulté du boulot de Cloquet car on m’a posé les mêmes questions qu’à lui.
Pas évident…
Tout investisseur veut savoir à quoi son argent va servir, que restera-t-il comme dettes, quel sera le budget, quel plan de consolidation et de relance, quel sera le pouvoir de contrôle, etc. Aujourd’hui, le conseil d’administration, c’est Bayat, plus Bayat et un employé de Bayat. Je ne me suis pas imposé mais, et Abbas Bayat me l’a dit, il faut trouver des capitaux au plus vite. Dans la situation actuelle, on payera les dettes à court terme de juillet, mais pas celles de septembre et d’octobre avec, à la clef, l’alternative négative : la faillite. Nous sommes à la merci de tout créancier agressif comme l’ONSS le fut de manière excessive. Si je ne m’en sors pas, c’est la D3. Beaucoup de mes interlocuteurs me demandent même s’il ne serait pas plus sain économiquement de fusionner avec un voisin régional ou de nettoyer le passif par la faillite. La réalité impose de dire qu’une spirale positive en 2003-2004 (plus de pertes) relancerait le club qui, à partir de 2007, ne doit rembourser que 375.000 euros dans le cadre de ses emprunts.
Combien de nouveaux actionnaires avez-vous déjà dénichés ?
Je dois trouver 12 investisseurs-sauveurs, individuels ou en groupe, qui avancent chacun 125.000 euros. Je les unirai au sein d’une société coopérative car il serait insuffisant d’entrer de façon isolée dans le capital de la société. Ensemble, cela crée une force, et je négocierai en leur nom, avec des garanties. Chaque tranche de 25.000 euros équivaudra à une part de la SA, qui chapeaute le club, et celui qui investira 125.000 euros obtiendra un poste d’administrateur. Abbas Bayat a 100 parts. Mon objectif, c’est de récolter 1.500.000 euros pour recapitaliser et obtenir 60 % de ses parts. Je ne les ai pas encore mais j’avance dans un souci de protection de ceux qui me suivront. J’ai la conviction que c’est jouable avec notre scénario mais c’est plus compliqué que je ne l’avais imaginé. Tout tourne autour de la faisabilité et de crédibilité de l’opération de recapitalisation via la société coopérative : c’est ce que je m’efforce de faire. Il faut dynamiser le club, recréer la confiance. Il y a 200 business seats non loués.
La Ville a toujours été courageuse
Pourquoi le président Bayat a-t-il progressivement perdu la main ?
Abbas Bayat m’a enflammé, enthousiasmé quand il est arrivé mais il s’est heurté aux dures réalités du monde professionnel. On m’a souvent demandé comment il était possible d’en arriver là. Je n’en sais rien et le plus important est d’identifier le phénomène afin qu’il ne se reproduise plus grâce aux nouveaux administrateurs. La Ville est chaque fois amenée à réagir à la dernière minute ou c’est la catastrophe.
Quand on garantit un emprunt de 5 millions d’euros, ne faut-il pas surveiller le club de plus près ?
La Ville a toujours été courageuse en étant notamment garante en premier rang d’un prêt de 5 millions d’euros. Puis en deuxième rang, derrière Chaudfontaine, d’un prêt de 2,5 millions d’euros. Je ne jette pas la pierre à Abbas Bayat. Il s’est impliqué de façon plus importante que d’autres présidents ne l’avaient fait avant mais cela a conduit à une impasse. Abbas Bayat a représenté une période où il nous a sauvés de manière décisive. Mais, et c’est cyclique en football, me semble- t-il, le club doit prendre un nouvel aiguillage car l’endettement est trop important.
Nous n’avons de Monsieur X susceptible de déposer cinq millions d’euros sur la table et de gérer les emprunts. Pour le moment, le Monsieur X, c’est moi mais je ne représente aucune force, si ce n’est une force morale, politique. J’essaye de rassembler. Il faudra vivre et s’en sortir avec un budget serré, trouver des joueurs libres et de qualité comme Mogi Bayat a su le faire : ce sera ça ou la faillite. Pour les renforts, il faudra agir avec l’enveloppe stricte réservée aux salaires. On me laisse le pouvoir de tout réorganiser sur le plan financier car personne ne peut plus le faire. Sportivement, je ne m’occupe pas du travail de Dante Brogno et de son staff. J’aime mon club mais le volet sportif, c’est pas mon truc. Il y a une vérité économique qui ne peut pas être niée. L’opération Scifo n’a pas été une réussite car le club s’est alors offert un train de vie disproportionné par rapport à ses possibilités. Nous n’avons pas pu valoriser cette collaboration : je n’en dirai pas plus. Je ne désignerai pas les fautifs. C’est un constat. J’avais participé aux discussions et cautionné ce dossier. La mayonnaise n’a pas pris.
Où en êtes-vous dans le dossier Kadhafi ?
Il faudra gérer le club sagement avec un enracinement très prononcé dans son terroir. Cela passe par les jeunes mais aussi par des dirigeants du coin. La Louvière a été sauvée par des gens du cru et Mons vit en phase avec sa région. Il faut une administration de proximité. On ne gère pas ça de Tripoli ou d’ailleurs. Mais qui peut refuser un apport de 7,5 millions d’euros ? J’essaye de valider le mandat des interlocuteurs que je rencontrerai. Je suis dans une phase de contacts avec le gouvernement libyen. Cela va venir mais tout cela traîne à se confirmer. Je n’ai pas d’états d’âme. La Libye a rejoint le camp des pays qui luttent contre le terrorisme et se réinsère dans le concert international. En Italie, en Allemagne ou aux Etats-Unis, personne ne met les Droits de l’Homme sur les devants de la scène quand on signe de bons contrats avec les Libyens. Si des sociétés de ce pays veulent entrer dans le capital, ce serait intéressant. Mais les vérifications prennent du temps et je dois d’abord suivre la piste régionale via notre société coopérative. Je risquerais de tout perdre en songeant uniquement à un éventuel pactole libyen. Je progresse comme si la piste libyenne n’existait pas en tant que telle. Bien entendu, elle me soulagerait terriblement en cas de réalisation, ne fût-ce qu’autour de 1,25 million d’euros. Il n’est pas question que je lâche mon os actuel. La possibilité libyenne serait un plus, la cerise sur le gâteau. Voilà pourquoi, j’ai cloisonné cette éventualité pour le moment. Ce qui me pose problème, c’est de m’engager éventuellement dans une opération foireuse.
Synergies avec La Louvière, pas de fusion
Quid des rapprochement avec les Loups ?
Je suis en contact avec Filippo Gaone. Il a pris une décision que je peux comprendre : vivre sans fusion. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas un jour des synergies. Nos deux régions se touchent, une partie des communes de l’arrondissement de Charleroi compte beaucoup de supporters des Loups et alimente de fait les deux clubs. Il peut y avoir des synergies de marketing, d’utilisation d’infrastructures, de participations financières croisées. Nous pensons qu’il serait intéressant de faire des pas ensemble. Nous en sommes au plan des principes. Quand la Région investit 12,5 millions dans la construction d’un stade, cela doit aussi pouvoir aider un club voisin. J’ai un discours ferme à ce propos. Si les frais sont bien répartis, la solidarité peut aider d’un côté comme de l’autre. Le stade est une chose et les synergies commerciales une autre. Je vois bien toutes ces pistes, sauf la fusion. Chacun garde son club mais on se rapproche, c’est différent. C’est mon terrain de travail. Il faut laisser du temps au temps. La fusion serait inactuelle et n’aiderait ni l’un ni l’autre.
Et elle tomberait mal avant un grand anniversaire des Zèbres…
En 2004, le Sporting fêtera en effet son Centenaire. Notre échevin des Sports a préparé des tas de manifestations. Il serait pour le moins malheureux que cela se clôture par une chute en D3. Charleroi se bat afin de revaloriser son image via les nouvelles technologies, un redéploiement industriel, etc. Ce n’est pas facile et une chute en D3 des Zèbres scierait une des branches sur lesquelles nous sommes assis. Les autres sports rencontrent un vif succès chez nous. Charleroi est même un cas unique au niveau de l’Europe. C’est un belle palette, définie durant mon mayorat, mais il n’en reste pas moins que le football est emblématique. Même si les Spirous dominent le basket, on ne peut pas se permettre d’avoir un club de football dans la cave. Dès lors, je veux bien passer du temps, des soirées et des week-ends en soutien des efforts inouïs de la Ville et d’Abbas Bayat. Je suis le troisième homme et si cela marche, tant mieux.
Ne va-t-on pas vous reprocher avant le prochain scrutin électoral, en tant que ministre président de la Région Wallonne de vous occuper plus du Sporting de Charleroi que des autres clubs du sud de notre pays ?
En 2004, il y aura évidemment les élections régionales. Ce n’est pas un contexte idéal. Mais c’est loin par rapport à l’obligation de relancer le Sporting maintenant. Je suis le seul ministre-président à ne pas m’être présenté aux récentes élections législatives. Tout se tient. Je suis Wallon et mon action est permanente depuis des années au niveau de toute la Wallonie. Mais je suis aussi Carolo et je constate qu’Elio Di Rupo est sensible à tout ce qui se passe à Mons comme Jean-Pierre Detremmerie l’est à Moucron, les gens de Liège au Standard et d’autres ailleurs. Personne ne trouve anormal, il me semble, que je m’occupe de ce dossier. Quand on a fait appel à moi ailleurs, je me suis toujours retroussé les manches.
J’ai tout fait pour que la Wallonie ait deux stades lors de l’EURO 2000. J’ai veillé aux investissements à Mons et à Mouscron. On ne peut pas dire que je suis carolocentrique au point de ne pas être soucieux des problèmes sportifs et évidemment économiques des autres villes de notre région. Mais quand il y a problème grave chez vous, on ne demande pas à Elio Di Rupo ou à Didier Reynders d’intervenir. Je suis le principal élu du lieu et j’essaye d’agir en concertations avec les forces politiques que je représente.
» Aujourd’hui, le conseil d’administration, c’est Bayat, plus Bayat et un employé de Bayat «
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