» Pas BLINDE « 

Il avoue avoir une seule fois douté de sa vie d’entraîneur. Mais même le jour de l’enterrement de son frère, il a donné entraînement.

S ef Vergoossen :  » Ma famille m’a appris à envisager les choses de manière positive. A Genk, au sein du groupe, nous avons décidé que quand nous discutons en dehors, nous évoquons d’abord ce qui va bien, puis seulement ce qui ne marche pas. Le contenu est le même mais il produit un effet différent. Ça ne m’empêche pas d’être parfois très critique à l’égard d’un match gagné et de retirer des enseignements positifs d’une défaite qui fait paniquer tout le monde.

J’essaie de regarder au-delà de l’horizon. Il n’est pas intelligent de se focaliser sur le match suivant. Il faut atteindre son meilleur rendement sur l’ensemble d’une saison, en s’appuyant sur ses atouts. Récemment, j’ai donné une conférence à des jeunes qui veulent fonder une entreprise. Je leur ai conseillé d’observer les choses de très haut, comme s’ils étaient dans un hélicoptère, faute de quoi on ne parvient pas à démêler l’écheveau. Il y a des centaines de lignes qui s’enchevêtrent. Lorsqu’on dirige, il faut avoir une bonne vision de la situation, pour donner des directives valables. C’est comme ça qu’on conserve sa sérénité à un groupe.

Je ne suis pas de ceux qui grimpent sur le toit avec un drapeau quand tout va bien. Pas plus que je ne me défile quand ça va moins bien. J’aime donner l’exemple suivant. Si ça marche et qu’après l’entraînement, quand vous rentrez dans le vestiaire, vous trouvez un tronc d’arbre, tout le monde va dire : -Asseyons-nous dessus, ça change du banc. Si ça ne va pas et qu’il y a une allumette au même endroit, ça dérange certains, qui trouvent qu’on n’a pas bien nettoyé la pièce. S’ils s’énervent, ce n’est évidemment pas à cause du nettoyage. En considérant les choses avec une certaine distance, on parvient à conserver son calme au groupe.

Je pense cependant résoudre les problèmes autrement qu’il y a dix ans. A l’époque, j’étais plus rapide sur la balle, même trop, comme je l’ai appris à mes dépens, car ça provoque des frictions. Avec le temps, on devient plus philosophe, même s’il m’arrive de me demander : -Qu’est-ce qui ne va pas, au fond ? Au début, comme tout le monde, je m’inquiétais le lundi de ce qui allait se passer le samedi, alors qu’il ne faut être là que lorsqu’il y a des choses à régler « .

Le sens des responsabilités

 » Mon travail m’accapare mais je ne le remarquerais pas si mon entourage ne me le disait pas. Il semble que je fasse beaucoup d’heures. Je m’en aperçois quand, à la maison, on me dit que je devrais lever le pied car mon métier est envahissant. Récemment, j’en ai parlé avec un entraîneur des jeunes du PSV, lors d’une réunion locale des entraîneurs professionnels. Je lui ai dit : -Je m’énerve si je pars deux semaines en voyage sans avoir de contact avec mes adjoints ou avec quelqu’un du club. Je ne me sens pas bien dans ma peau. Ma femme le sait : qu’elle m’accorde une heure de téléphone par jour et mes vacances seront magnifiques. Ma famille s’y fait car je téléphone au moment où nous n’avons rien d’autre à faire. Mais vraiment, rester deux semaines sans le moindre contact m’inquiète. Ça prendrait même des allures de catastrophe, sans pourtant que je sois nostalgique. Deux semaines de vacances me suffisent amplement.

C’est également dû au sens très fort des responsabilités qui m’a été inculqué par ma famille et que je retrouve chez mon fils. J’ai l’impression de devoir être le premier au club et de ne pas pouvoir m’en aller le premier. C’est inné et je m’en sens très bien. La génération actuelle n’a pas la même mentalité. Ce n’était pas mieux avant, c’était différent. Cependant, sans me lamenter, je constate que certaines choses ont disparu, comme l’esprit d’initiative, le sens des valeurs. J’ai peut-être l’air vieux jeu mais je regrette ce changement.

Nous devions prendre des initiatives et des responsabilités pour nous amuser : organiser nous-mêmes des jeux, des fancy-fairs. Maintenant, il y a la TV, les jeux vidéo. C’est pareil en sport : il faut tout servir sur un plateau aux gens. J’accorde beaucoup de latitude aux joueurs afin qu’ils soient eux-mêmes. Je fragilise du même coup ma position car l’entraîneur reste le responsable. Mais j’ai appris que quand on n’accorde pas d’air aux gens, on obtient difficilement d’eux qu’ils se développent. Donc, je dois me fragiliser « .

L’amour des enfants

 » Je ne sais pas d’où ça vient mais où que j’aille, si des enfants sont présents, ils viennent vers moi. Un jour, j’étais chez une connaissance dont le chien était dans la pièce, en laisse. Il m’a expliqué : -Je ne le lâche pas avant une heure, le temps qu’il s’habitue. J’ai répondu : -Lâche-le. Dans cinq minutes, il sera assis à côté de moi. De fait, il s’est approché de moi. Cette bête et moi avions le même sentiment : il ne pouvait rien arriver.

Lorsque je regarde en arrière, je me rends compte que dans tant d’autres familles, la fonction du père lui permet d’être plus souvent avec ses enfants. J’ai une grande chance : ma femme a été joueuse de handball et elle connaît donc le monde du sport. J’aurais pu rester dans l’enseignement mais j’avais l’impression de pouvoir trouver mon épanouissement ailleurs. Ma femme et moi avons parlé de ce changement de cap et nous sommes tombés d’accord : s’il le fallait, nous déménagerions pour rester tous ensemble.

Elle participe à ma carrière. Avec notre fils, elle m’accompagnait quand je devais aller voir, disons, FC Amsterdam-Utrecht. Si j’étais à un match à Volendam, ils allaient à la mer. Nous entreprenons beaucoup de choses ensemble. Dans le cas contraire, ça irait mal, du moins compte tenu de la façon dont je vis mon travail : je n’aurais pas de temps pour ma famille. Une fois, de Venlo, après l’entraînement, ma femme et moi nous sommes précipités au match Groningue-Ajax. A la sortie de Venlo, je me suis endormi. Et je ne me suis réveillé qu’à Groningue.

En dehors du football, j’aime être au calme. Le dimanche soir, je feuillette des trucs à mon aise. Quand j’en ai le temps, je prends mon VTT et je pars faire une balade. Je peux très bien rouler trois heures. Je pars le matin à six heures, dans les Ardennes ou dans l’Eiffel, et je reviens le soir. J’adore ça. J’ai une prédilection pour l’Autriche et la Suisse, avec leurs superbes montagnes. Rouler en côte, passer des cols que les coureurs ont aussi gravi, à mon rythme. Je suis vidé au sommet car je n’arrive jamais à pédaler à l’aise. Je dois toujours me fixer une limite : encore quatre, trois, deux kilomètres. Combien de temps me faudra-t-il ? Je me prends au jeu « .

La mort

 » Dans notre quartier, qui comptait une douzaine de maisons, il y avait beaucoup de familles nombreuses comme la nôtre. Nous étions neuf. En face, ils étaient huit, et au coin, six, je crois. Grandir dans un tel environnement est fantastique. La liberté que vous avez… Evidemment, tous ces gens-là vieillissent. Donc, il y a des décès et, même s’ils sont plus faciles à vivre au sein d’une grande famille, ils vous touchent. Quand vous êtes enfant unique, vous ne pouvez évidemment pas perdre un frère ou une s£ur. Avec neuf, ça arrive. Vous y êtes plus ou moins préparé. Vous êtes théoriquement assez fort pour surmonter ce coup du sort. J’ai perdu un frère, une s£ur, ma mère et deux belles-s£urs. En plus, certains sont décédés dans un bref laps de temps.

J’avais 19 ans quand ma mère est partie. J’étais donc pleinement conscient de son décès, surtout qu’il n’est pas survenu brusquement. Elle a terriblement souffert, pendant des années, comme mon frère, ma s£ur et une de mes belles-s£urs, également atteints de longues maladies. C’est dur mais j’ai réussi à surmonter tout ça. Certains pensent que je suis blindé, notamment parce que le jour de l’enterrement de mon frère, j’ai dirigé un entraînement, mais ce n’est pas le cas. Je ne pense pas du tout : -Bon, il est enterré, c’estfini. Non, je ne me libère pas de mon chagrin. Je sais ce qu’en pense ma famille et ce qu’il aurait lui-même dit, car il était aussi entraîneur. C’est dû au sens du devoir. Je pense que je suis capable de me concentrer au moment où je me retrouve devant le groupe. Ensuite, les émotions reprennent le dessus mais, en général, je les gère bien.

Ce fut malgré tout une triste expérience. La seule fois de ma carrière où je me suis posé des questions. En plus, à ce moment-là, aux Pays-Bas, les gens scandaient des choses affreuses. Entendre des refrains douteux sur la maladie de votre frère vous touche. Le pire, c’est que l’arbitre a fait comme s’il n’entendait rien. Pourtant, une semaine avant, un arbitre avait été victime de ces insultes et on avait arrêté le match. Cette nuit-là, je n’ai pas fermé l’£il. Je me suis demandé si tout ça en valait la peine. Puis j’ai réagi : je n’allais pas me laisser abattre par quelques imbéciles, généralement sous l’influence de la boisson ou de drogues.

Ma s£ur souffrait du c£ur. On contrôlait bien sa maladie puis d’autres symptômes sont apparus. On les a attribués au c£ur avant de découvrir qu’elle avait une tumeur au cerveau. Ses fonctions vitales cédaient les unes après les autres. Je devais avoir 24 ou 25 ans. Après l’opération, j’ai accompagné mon beau-frère à l’hôpital. On nous a annoncé que l’opération s’était bien déroulée mais que ma s£ur ne pouvait plus être sauvée.

Ces pertes ne m’effraient pas car elles n’ont rien à voir avec des maladies génétiques. Elles ont quand même changé ma façon d’appréhender les choses. Aux Pays-Bas, nous sommes obligés de passer des examens approfondis tous les deux ans. Comme je ne suis pratiquement jamais malade, j’ai souvent négligé ces rendez-vous. Je n’avais quand même jamais rien ! Mais ces derniers temps, j’ai été malade à deux reprises, par manque d’activité : ma résistance a diminué. Je le sens, je n’ai pas besoin qu’un médecin me l’explique : il doit seulement m’aider à me remettre sur pied. Mais je me rends plus vite au contrôle. Avec l’âge, j’ai moins d’énergie et je me surveille davantage.

On peut perdre des forces en quelques mois. On se blesse et on remarque qu’on guérit plus lentement. Et puis, on a tendance à accorder la priorité à d’autres choses. On m’a souvent mis en garde, mais évidemment, on est sourd et on continue à vouloir faire ceci et cela. Du coup, on fait moins de sport, on se contente de courir jusqu’au terrain, de shooter dans un ballon, de se balader un peu. Mais d’après le médecin, ça me permet quand même de rester en bonne santé alors que je pensais mon état dramatique.

Vieillir ne m’effraie pas. Quand on me demande mon âge, je m’étonne parfois. Quand mes parents avaient 50 ans, j’étais un gamin et je les trouvais vieux. Maintenant, j’ai 56 ans mais je ne me sens pas cet âge-là. Récemment, devant nous, il y avait un couple de notre âge, qui marchait lentement. J’ai dit à ma femme : -Préviens-moi quand je serai aussi lent. Mais étaient-ils lents ou suis-je dynamique ? J’espère quand même que ça ne m’arrivera pas car ça m’énerve et je ne veux pas ennuyer les autres « .

Raoul De Groote

 » J’ai peut-être l’air VIEUX JEU « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire