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Ghislain cotton

Lire Mingarelli, c’est toujours entrer dans un univers singulier et attachant. Comme dans La Beauté desloutres, Quatre Soldats (prix Médicis 2003) ou Le Voyage d’Eliado, parmi d’autres romans, dont plusieurs destinés à la jeunesse. Et, paradoxalement, la simplicité de l’écriture comme l’intériorité et le scrupuleux réalisme des récits en font une matière éminemment cinématographique. Pour peu que l’on soit plus sensible à Bresson qu’à Lelouch. On y découvre souvent des êtres solitaires qui marchent dans leur tête comme ils se déplacent dans un environnement ni hostile ni gratifiant, mus par de maigres espérances qui relèvent de l’idée fixe. Avec des tristesses et des émerveillements qui procèdent d’une certaine innocence, au double sens de la non- nocuité et d’une ingénuité foncière.

C’est en tout cas ce qui caractérise Absalon, le narrateur de Marcher sur larivière. Un roman dont le cadre reste aussi vaguement défini pour le lecteur que l’existence même pour cet adolescent à la jambe raide et à l’esprit simplet, orphelin de mère, dés£uvré et obéissant aux impulsions du moment dans les limites imposées par la morale et la religion qu’incarne le pasteur Lithébé. Au plus le nom de Port-Elizabeth – mirage urbain à la fois proche et inaccessible – indique- t-il au passage que l’on se trouve en Afrique du Sud. Quant aux noms des personnages, ils suggèrent que les protagonistes du récit sont des Noirs. On compte parmi eux Emmeth, le seul ami véritable d’Absalon, qui tient une petite station-service. Et puis, le père, ancien militaire – assez demeuré lui aussi et cloîtré dans son silence – qui collecte et martèle les canettes vides pour en faire des tuiles pour son toit défoncé. Rosanna, la jeune fille versatile, souvent cruelle, avec laquelle Absalon entretient une relation forte – purement amicale – et qui fait des sous en se laissant peloter par les jeunes gens de la salle de billard. Ou encore la femme du pasteur Lithébé, qui a mis Absalon en émoi lorsqu’il a respiré ses genoux. Sans oublier Georges Msimangu, l’étranger qui se livre dans la colline à d’énigmatiques travaux et à qui Absalon a offert ses services au lieu de quitter son bled comme il avait commencé à le faire avant de rebrousser chemin. Il était pourtant bien décidé à gagner enfin Port-Elizabeth à pied par le lit de la rivière. Cette rivière dont il espérait aussi retrouver la trace pour autant qu’elle ait jamais coulé ailleurs que dans l’imagination des anciens.

Avec Mingarelli, on est sans cesse dans l’incertitude des choses, de leur sens ou, du moins, de leur aboutissement, comme si les fatalités de la vie mettaient en scène le mythe de Sisyphe jusque dans les actes et les sentiments les plus modestes. On ne saura pas ce qu’il adviendra d’Absalon quand, finalement, il s’évade de cet univers étouffant à bord du bus à destination de Port-Elizabeth, avec sa patte raide, son âme candide, sa tête pleine de courants d’air et ses rêves de rivière. On le quitte comme un ami fragile à qui l’on souhaite bon vent. Malgré tout et sans trop oser y croire.

Marcher sur la rivière, par Hubert Mingarelli. Le Seuil, 248 p.

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