Parti pour rester

Il veut partir mais il veut aussi rester. Il est un petit prince mais il veut jouer dans la cour des grands. Il aime Anderlecht mais parfois, il a la migraine. Portrait d’un mystérieux Mercedino.

Généralement, quand on demande quel genre d’homme Lucas Biglia est, on répond qu’il est un garçon simple. Si simple que lorsque, adolescent, il prend le train de Mercedes, sa bourgade natale, pour Buenos Aires, la capitale de l’Argentine, il s’étonne des mendiants, des enfants abandonnés et des ivrognes qu’il croise dans les coupés. Si simple que durant ses premières semaines à Bruxelles, il ne sait pas comment utiliser sa carte bancaire. Si simple qu’à Anderlecht, il s’efface sans broncher devant les vedettes de l’équipe. Cette simplicité lui sied. C’est grâce à celle-ci qu’il est respecté par le vestiaire mauve. Cette simplicité caractérise également son football : une passe latérale s’il le faut, une en profondeur si possible. Son jeu ne recèle guère de frivolité. Il est fonctionnel, au service du collectif. Le démarrage qu’il n’a pas dans les jambes, il l’a dans la tête : il sait où envoyer le ballon avant même de le recevoir. Il a le regard perçant d’un Indien dans la pampa argentine, une vista que de nombreux footballeurs lui envient. Si ses statistiques – buts et assists – en sept saisons à Anderlecht ne sont pas très impressionnantes, il a quand même disputé 80 % de tous les matches de championnat. En janvier, John van den Brom ne s’est pas chagriné des migraines de Biglia mais il l’a immédiatement réintégré dans l’équipe à son retour et lui a même rendu le brassard de capitaine. Le message est limpide : Biglia est très important pour Anderlecht. Ce n’est pas vraiment étonnant car en décembre, Van den Brom avait déjà annoncé :  » Si je veux conserver un joueur, c’est bien Biglia.  »

Ce n’est pas un hasard si le blond Argentin est capitaine. À sa façon, certes. Il ne faut pas attendre de lui des tirades à la Jelle Van Damme. Il n’est pas davantage une doublure d’un Nicolas Frutos gesticulant et faisant du vacarme dans le vestiaire, dispensant son avis sur tout et rien et se disputant avec l’entraîneur. Biglia est un leader discret, qui donne le bon exemple sur le terrain et, ne vous y trompez pas, dit ce qui doit l’être mais calmement. Il ne sera jamais bavard mais il encourage ses coéquipiers, il leur parle, et pas seulement en espagnol : il maîtrise également le français et l’anglais. Il s’est défait depuis belle lurette du joug de timidité qui l’accablait en 2006, à son arrivée à Bruxelles. Le jeune homme perdu est devenu un homme empli d’assurance.

Une Porsche de Mercedes ?

Quand on introduit Mercedes sur Google, on obtient une liste impressionnante de liens vers la prestigieuse marque automobile allemande mais Mercedes est également le nom d’une ville de 60.000 habitants, non loin de Buenos Aires. Lucas Biglia y est né et y a grandi. Il est un Mercedino et, hasard ou pas, il raffole des autos. Il est ainsi un fervent admirateur d’Ayrton Senna, le Brésilien triple champion du monde de Formule Un, décédé lors d’un crash en 1994.  » Je possède des tonnes de DVD sur la Formule Un et parfois, je m’en sers pour étudier la préparation professionnelle de Senna.  » Il a trouvé en Guillaume Gillet un autre fervent d’automobile et les deux joueurs discutent volontiers bolides. Depuis qu’il joue en Belgique, Biglia a déjà usé quelques Porsche.

Une question coule de source : le footballeur est-il une Porsche ou plutôt une Mercedes ? En d’autres termes, est-il capable d’évoluer dans le (sub)top européen ou doit-il se satisfaire d’un échelon inférieur ? De nombreuses personnalités du football ont mis en doute les capacités de l’Argentin : Enzo Scifo, Marc Degryse, Paul Van Himst, Jan Mulder… Ils répètent que Biglia joue trop latéralement, qu’il est un rien trop lent pour l’élite absolue, qu’il inscrit trop peu de buts, qu’il n’est pas assez déterminant… Mais d’autres voix s’élèvent en sa faveur : Matias Suarez estime qu’il est le meilleur footballeur de Belgique et l’entraîneur-adjoint de l’Argentine, Claudio Gugniali, juge qu’il possède le niveau requis pour le Real Madrid. Lionel Messi lui-même a récemment déclaré qu’il était logique que Biglia soit repris en équipe nationale.

Quoi qu’il en soit, le médian de 27 ans est toujours présent dans les grands matches. Il suffit de reprendre quelques coupures de presse pour asseoir ce constat :

*31 août 2007 : Anderlecht a failli contre Fenerbahçe, aux portes de la Ligue des Champions, mais un homme a démontré qu’il atteignait le plus haut niveau. Lucas Biglia a été le seul diamant des Mauves.

*18 décembre 2009 : Anderlecht a infligé à l’Ajax sa première défaite de la saison. Lucas Biglia a été l’âme du succès mauve.

*10 novembre 2012 : Contre le Zenit,Lucas Biglia a une fois de plus été le designer d’Anderlecht.

Et ainsi de suite. Comment donc s’étonner que le blond médian rêve de franchir un cap supplémentaire, saison après saison (voir encadré) ?

Nicolas Pareja, Jan Polak, Romelu Lukaku, Jonathan Legear, Mbark Boussoufa… Biglia a assisté à leur transfert mais il est resté, marqué, apparemment éternellement, du sceau de  » petit prince du Parc Astrid « . Même si cela l’a certainement perturbé, il n’en a rien montré dans le vestiaire. Non, il n’a jamais ennuyé ses coéquipiers avec les péripéties de ses transferts. Même quand il a été cité au Real et à Manchester United, il a continué à s’entraîner comme si de rien n’était. Il est ainsi fait : il n’aime pas être à l’avant-plan.

Au nom du père

 » Mon père jugeait que si je misais sur le football, je devais m’y consacrer à fond, sans me laisser tenter par l’argent mais en pensant au long terme. Je n’ai jamais oublié son conseil. Il me répétait : – Le jour où je ne serai plus là, tu comprendras beaucoup de choses. C’est exact. Je ne réalise que maintenant qu’il avait souvent raison, dans nos discussions. J’ai appris à appréhender les choses d’un point de vue différent. J’ai également pris conscience de la rapidité avec laquelle la vie peut basculer.  »

Lucas Biglia a prononcé ces paroles en février 2009, six mois après l’infarctus fatal de son père Miguel. Avec la naissance de sa fille Allegra, c’est sans conteste l’événement le plus marquant de sa vie car son père était son compas. C’est lui qui lui indiquait le chemin à suivre, qui trempait son caractère. Il était sévère mais juste. Il ne tolérait pas les caprices, il jugeait les études prioritaires et le football était réservé aux loisirs. Lucas obéissait, docile. Même plus tard, quand ses amis ont découvert les plaisirs des sorties.  » C’était sortir ou jouer au football, me disait mon père. Je devais opérer un choix. Il tolérait tout au plus une brève promenade le soir.  » Le père Biglia était tout aussi exigeant en matière de football.  » Ce n’était jamais assez bon, même quand ça allait bien. Cela m’a-t-il aidé ? Sans doute. Mais quand on est jeune, ce n’est pas marrant de ne jamais entendre qu’on a été bon.  »

Le père Biglia repousse une offre de Boca Juniors mais accepte qu’il se produise pour les Argentinos Juniors, dès douze ans. Ce n’est pas un banal petit club car il a accueilli Maradona, Riquelme, Redondo et Cambiasso. En 2004, Biglia effectue ses débuts en équipe fanion. Sa carrière se précipite. Independiente le transfère en janvier 2005. L’été suivant, il est repris dans la sélection argentine des U20, en compagnie de futurs ténors comme Lionel Messi, Sergio Agüero et Pablo Zabaleta, pour le championnat du monde de sa catégorie. En quarts de finale, les Argentins prennent la mesure de l’Espagne, qui aligne notamment Cesc Fabregas et David Silva. Au stade suivant, ils font vaciller le Brésil – avec Rafinha et Diego Alves – avant de battre le Nigeria d’un certain John Obi Mikel. Le score final est de 2-1, sur deux buts de… Lionel Messi, qui vient de fêter ses 18 ans. Biglia dispute quelques matches du tournoi et entre au jeu à la 72′, en finale. Il semble promis à une grande carrière.

Si Anderlecht parvient à transférer ce talent exceptionnel pour trois millions d’euros, l’été 2006, c’est essentiellement grâce à la présence de Nicolas Frutos, qui porte le maillot du Sporting depuis une saison et convainc son compatriote de rejoindre la Belgique. À l’époque, la seule question est : combien de temps Anderlecht pourrait-il retenir Lucas Biglia ? On sait ce qu’il en est advenu entre-temps…

PIERRE DANVOYE & STEVE VAN HERPE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

A son arrivée, la seule question qu’on se pose est : combien de temps Anderlecht pourra-t-il conserver Lucas Biglia ?

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