Chez Rémi De Vos, la musicalité de la langue prime sur le sens. © DR

Paroles, paroles

Omniprésent sur nos scènes depuis plusieurs années, l’auteur français Rémi De Vos scelle sa belle connivence avec la Belgique par la création, chez nous, de sa dernière pièce, Botala Mindele. Un huis clos grinçant qui se déroule peut-être bien à… Kinshasa.

 » Au commencement était la Parole.  » Voilà un verset d’Evangile qui s’applique à merveille au processus créatif de Rémi De Vos, auteur pourtant plus iconoclaste qu’orthodoxe.  » Je pars de la langue, déclare celui qui rêvait à 15 ans de devenir acteur, qui l’a été un peu, qui a fait dix mille autres choses, et qui est finalement revenu au théâtre par la voie de l’écriture, en autodidacte, à 30 ans. Les phrases commencent à venir et si la langue m’intéresse vraiment, ça finit par donner quelque chose. Mais je ne sais pas ce que je vais écrire à la page suivante, je n’ai pas de plan. Je pense les phrases, les mots pour la bouche d’un acteur, je cherche une certaine musicalité. Pour moi, le sens est secondaire par rapport au phonétique. Si je dois choisir entre plusieurs mots, je prendrai celui dont la sonorité me plaît le plus, même si un autre convient mieux pour dire ce que je cherche.  »

Chez Rémi De Vos, la langue prime tellement que c’est elle qui crée les personnages, et non l’inverse. Par exemple, pour Occident, écrit en 2005, les phrases courtes truffées d’injures ont donné naissance à un irrésistible couple condensant tout ce que l’humanité peut avoir de haineux.  » L’écriture commence comme un jeu, confie Rémi De Vos. Je m’amusais avec une espèce de scène où un homme et une femme s’envoient des noms d’oiseaux sans fin. Et à partir du moment où on a convenu que ça ne marche pas avec flûte, saperlipopette et zut, on y va carrément. Je pensais que cette pièce ne se jouerait jamais, à cause de la grossièreté du texte et de son côté « pas du tout correct ». Je me disais que personne ne serait assez gonflé pour la monter.  » Et pourtant… Créé en 2006, Occident a connu, depuis, une dizaine de mises en scène, en plusieurs langues, dont une chez nous, par Frédéric Dussenne – avec Philippe Jeusette en alcoolo raciste et Valérie Bauchau en épouse qui reste à la maison mais ne s’en laisse pas conter -, qui a fait un tabac, avec une tournée de plusieurs années à la clé.

Tourbillon verbal

Rémi De Vos a parfois l’air un peu étonné de son propre succès, lui dont André le magnifique, écrit collectivement avec ses acteurs – dont Denis Podalydès, Isabelle Candelier et Michel Vuillermoz -, a raflé en 1998 pas moins de cinq Molières : meilleur spectacle de création, meilleure pièce comique, meilleur auteur, révélations théâtrales féminine et masculine. Lui dont le monologue Toute ma vie j’ai fait des choses que je ne savais pas faire, de passage en février prochain à Bruxelles (1), conçu pour l’épatante Juliette Plumecocq-Mech et mis en scène avec une radicale option d’horizontalité par Christophe Rauck, s’est distingué en gros coup de coeur dans le Off du festival d’Avignon en 2016.  » Ça a surpris tout le monde. C’est un spectacle qui s’est créé très vite. Trois mois avant la première, il n’y avait rien, pas de texte, rien. Je l’ai écrit rapidement et ça a induit la langue, une écriture assez haletante, quelqu’un qui raconte tout ce qui lui passe par la tête pour empêcher les gens qui le poursuivent de le frapper.  » Un véritable tourbillon verbal de 45 minutes autour d’une agression homophobe dans un bar, se concluant par un meurtre, annoncé d’emblée dans la scénographie par les contours d’un cadavre au sol où la comédienne gît au départ. Magistral.

Si Rémi De Vos semble se méfier des lauriers récoltés, c’est peut-être parce que le monde théâtral français n’a pas toujours été tendre avec un auteur osant susciter les rires à partir de sujets extrêmement durs. Comme le harcèlement moral en entreprise et la souffrance au travail – un thème dont on parlait à peine à l’époque -, pour Débrayage, sa toute première pièce, née en 1994.  » Je ne pourrais pas faire autrement, avoue-t-il. J’ai essayé plusieurs fois d’écrire des pièces sans humour, ne serait-ce que pour passer pour un auteur sérieux, mais c’est impossible. J’ai presque un petit souci avec ça en France. C’est un pays très particulier, où l’humour dans le théâtre public est à prendre avec des pincettes. Quand j’ai commencé à écrire, c’était carrément problématique. A l’époque, au moment de la chute de l’URSS, il y avait dans le milieu une génération de metteurs en scène très politisés et il fallait choisir son camp, c’était très tranché : soit des pièces drôles pour le théâtre privé, soit montrer au peuple qu’on élève le débat dans le théâtre public. Mais aujourd’hui, les choses ont changé. Des pièces que j’ai écrites il y a quinze ans et qui ont alors eu des retours un peu pénibles sont beaucoup jouées aujourd’hui.  »

Rémi au Congo

En tout cas, quoi qu’il se passe outre-Quiévrain, ici au plat pays, ça marche très fort pour un Rémi De Vos né presque chez nous (Dunkerque) et au patronyme belgissime. On peut ajouter au dossier le triomphe d’Alpenstock, monté par Axel de Booseré et Maggy Jacot (compagnie Pop-Up, ex-Arsenic), celui de Trois ruptures, monté par le Boson avec Catherine Salée et Benoît Van Dorslaer (repris en tournée début 2018), et aujourd’hui la création mondiale de Botala Mindele, pièce congolaise, avec des dialogues en partie en lingala, qui ne pouvait logiquement voir le jour qu’en Belgique, par l’équipe d’Occident : Frédéric Dussenne à la mise en scène, Valérie Bauchau et Philippe Jeusette dans un casting de sept comédiens (2). Un texte écrit après un voyage de l’auteur en RDC et dont la genèse a été exceptionnellement longue.  » Ça ne m’arrive jamais mais j’ai beaucoup retravaillé cette pièce. J’avais une vraie crainte parce que les exemples montrent que quand un Européen compose des personnages africains sur scène, c’est souvent grotesque, ridicule. On tombe tout de suite dans les clichés. Seul Koltès s’en est sorti. Encore une fois, j’ai fait totalement confiance à mon intuition et je n’ai pas cherché à trop la ramener.  » Alors, la ramène ou la ramène pas ? Verdict tout prochainement, au Théâtre de poche.

(1) Toute ma vie j’ai fait des choses que je ne savais pas faire :les 20, 22 et 23 février 2018 au 140, à Bruxelles, www.le140. be

(2) Botala Mindele : du 12 septembre au 14 octobre au Théâtre de poche, à Bruxelles, www.poche.be. Du 17 au 21 octobre à l’Atelier théâtre Jean Vilar, à Louvain-la-Neuve, www.atjv.be. Du 24 au 28 avril au théâtre de Liège, www.theatredeliege.be

Par Estelle Spoto

 » L’écriture commence comme un jeu  »

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