Tout, dans la jeune carrière de l’Américain Michael Phelps, 19 ans, suit le signe de son grand rêve athénien : marquer en lettres d’or l’histoire de la natation. Rien n’a été laissé au hasard. Le 4 septembre 2003, Phelps a fait enlever ses dents de sagesse, pour ne pas que d’éventuelles douleurs viennent le troubler dans la capitale grecque. Son palmarès avant Athènes était déjà impressionnant : 21 fois champion des USA, quatre titres mondiaux et 12 records du monde.

Le fabricant d’articles de natation Speedo ne s’y est pas trompé. La marque américaine lui a promis une récompense d’un million de dollars (environ 820.000 euros) au cas où il battrait le record de sept médailles d’or olympiques au cours d’une même olympiade détenu par un autre Américain, Mark Spitz, qui décrocha sept fois l’or aux Jeux de Munich, en 1972. Cela paraît mission impossible, mais pas pour Phelps qui sera huit fois au départ : cinq courses individuelles et trois relais. En huit jours, il devra se présenter 20 fois sur les blocs et û contrairement à Spitz – passer par les demi-finales. Sans compter la concurrence : sur 100 m nage libre et 200 m papillon, Phelps paraît imbattable mais sur 200 m nage libre il devra faire mieux que Ian Thorpe, Pieter van den Hoogenband et Grant Hackett. Sur 100 m papillon, il sera opposé au recordman du monde Ian Crocker

Debout à 5 h du mat’

Le jeune homme a hâte de prouver à Thorpe qu’il a tort. L’Australien monta trois fois sur la plus haute marche du podium à Sydney et affirma qu’il était impossible de faire mieux que Spitz.  » Les ambitions sont démesurées, j’en suis conscient « , dit Phelps.  » C’est précisément ce qui me motive à me lever tous les jours à cinq heures du matin pour aller m’entraîner « .

En tant que discipline, la nage a déjà engendré pas mal de grands talents mais la plupart ont bien vite disparu parce qu’ils ne résistaient pas à la pression. Ou alors ils étaient limités à certaines disciplines, comme Michael Gross en nage libre et en papillon. Phelps excelle dans tous les styles : brasse, papillon, dos, nage libre, il les maîtrise tous aussi bien. Selon les spécialistes, il est bâti pour ce sport où il s’agit de vaincre la résistance à l’eau tout en développant sa force. Le nageur idéal a un corps grand et puissant, mais ne doit pas avoir une masse musculaire trop imposante. Développer trop de muscles nuirait en effet à la mobilité et consommerait davantage d’oxygène.

Avec son 1,95 m pour 88,5 kg et un niveau de graisses d’à peine 4 %, Phelps est parfaitement constitué. Ses bras déploient une envergure de 2,04 m et ses pieds, pointure 48,5, semblent bien être des palmes naturelles. Il dispose d’articulations très souples au niveau des genoux, coudes et chevilles et est pétri de talent. La plupart des nageurs ont besoin de 30 mouvements pour parcourir un bassin de 50 mètres, alors qu’il n’en faut que 26 à Phelps !

Phelps supporte la pression, c’est certain. Il l’a encore démontré voici quatre semaines lors des sélections américaines pour les J.O. à Long Beach. Ni les cris des nombreux spectateurs, ni les drapeaux américains, ni l’attention perpétuelle des médias ne l’ont déconcentré. Avant de monter sur le bloc de départ de la finale du 400m, Phelps regardait le sol en écoutant à fond la chanson Till I Collapse, du rappeur Eminem, dans son baladeur. Sept minutes plus tard, il empochait un nouveau record du monde et devait attendre six secondes pour voir le deuxième de l’épreuve toucher le mur. Comme d’habitude, il se montrera modeste :  » Je voulais prouver que j’étais prêt pour Athènes et je pense l’avoir démontré « .

Le matin suivant, à sept heures et demi, Phelps faisait déjà ses longueurs d’échauffement. Au bord du bassin, son coach de 39 ans, Bob Bowman, les cheveux blond platine et une paire de lunettes à fine monture sur le nez, donnait ses consignes en gesticulant. L’entraîneur est la force motrice du phénomène de la natation US. Plus jeune, Phelps fut un enfant à problèmes. Il souffrit d’abord d’une angoisse panique à l’idée de mouiller son visage, puis eut des pépins scolaires et dut prendre de la Relatine jusqu’à ses 12 ans, pour cause d’hyperkinétisme.

Son coach, un substitut de père

Durant son enfance, Phelps jouait au base-ball et au jeu de la crosse (un jeu d’origine indienne ressemblant au hockey mais où le stick est remplacé par un manche muni d’un filet), mais ne sut libérer son énergie que lorsqu’il s’affilia, à l’âge de sept ans, au North Baltimore Aquatic Club.

En 1996, Bowman découvre Phelps (11 ans à l’époque) lors d’une compétition interclubs :  » J’étais éberlué. Je n’avais jamais vu quelqu’un nager de manière aussi naturelle « . Six mois plus tard, il devenait son coach personnel et déclara à Debbie, la maman de Michael :  » Rien ni personne ne pourrait freiner son fils super doué « .

Bowman est un psychologue pour enfants et était un nageur moyen à l’université. Il soumit son poulain à un régime strict dès le début. Des entraînements de 70 heures par semaine, prendre le départ de 24 courses lors d’un seul meeting, telle est la base du succès actuel de Phelps. Derrière ce rythme de folie, un raisonnement tout simple : un enfant peut développer bien mieux qu’un adolescent ses capacités cardiaques et respiratoires. Et qui dit bons poumons, dit machine à records. Au repos, le rythme cardiaque de Phelps est de 40 pulsations à la minute !

A Sydney, Phelps était à 15 ans le plus jeune Américain à s’aligner aux Jeux, depuis 1932. Le rêve olympique le tenaillait déjà, au point qu’il fit tatouer les anneaux sur sa hanche droite. Sur 200 mètres papillon, Phelps termina cinquième, mais six mois après il devenait, sur la même distance, le plus jeune détenteur du record du monde. A 16 ans, il signait son premier contrat publicitaire.

Bowman n’est pas seulement le coach attitré de Phelps. Il a pris la place de père de substitution depuis le divorce de ses parents, il y a dix ans. Depuis lors, Phelps vit chez sa mère dans une maison modeste, à dix minutes de la piscine où il fait chaque jour ses longueurs. Il a peu de contacts avec son père Fred. C’était d’ailleurs Bowman qui conduisait tous les jours son élève à la salle de fitness. Son bureau est décoré de schémas d’entraînement :  » Nous avons commencé à travailler au projet Athènes voici quatre ans. Depuis le début, l’objectif consiste à décrocher huit médailles d’or. C’est dans le caractère de Michael de tenter des choses que personne d’autre n’oserait. Ma tâche consiste à faire en sorte qu’il soit en forme optimale au départ. Si nécessaire, je dois lui donner un bon coup de pied au cul « .

Mais cela ne s’avère pas nécessaire avec Phelps. Il s’entraîne 365 jours par an, Noël et Nouvel An compris. Les fenêtres de sa chambre sont recouvertes de papier aluminium pour lui permettre de faire des siestes de trois heures entre les séances de natation. Au-dessus de son lit, il a accroché un poster de IanCrocker, qui l’avait battu sur 100 mètres papillon lors de la finale des championnats du monde de 2003. Histoire de décupler sa motivation…

Phelps sait mieux que quiconque que la roue peut tourner très vite dans le monde du sport de haut niveau. Sa s£ur Withney peut en témoigner, elle qui détient pas mal de records de natation chez les moins de 12 ans aux USA. Lors des trials pour les Jeux d’Atlanta en 1996, elle termina 6e de la finale et vit s’envoler son rêve olympique.  » Lorsque je repense à la défaite inattendue de ma s£ur, j’ai toujours un goût amer en bouche « , raconte Phelps. Entre-temps, sa s£ur fut contrainte d’abandonner la natation à la suite de douleurs chroniques au dos.

Debbie, la mère de Michael, a 46 ans. Elle est enseignante et affirme fièrement qu’elle a contribué aux succès de son fiston grâce à la discipline qu’elle lui a inculqué. Malgré les nombreuses heures passées dans le bassin, Michael a passé une jeunesse normale et est resté un garçon tout à fait comme les autres.

Un super talent dans la norme

Avec son menton saillant et ses oreilles décollées, Phelps ne dénote pas parmi les jeunes de sa génération, les teenagers. Sa langue américaine est truffée de slang, de jeunismes, il aime les jeux vidéo, le hip-hop et roule dans les rues de Baltimore en vieille Cadillac. Ses habitudes alimentaires sont en porte-à-faux avec le régime normal d’un sportif de haut niveau. Après le premier entraînement de la journée, Phelps apprécie de passer au Pete’s Grill pour enfourner quatre crêpes, deux sandwiches fromage/£ufs/mayonnaise, un bol de céréales et une omelette.  » Je mange ce que je veux, où je veux et dans la quantité que je veux « , entend-on souvent de sa bouche.

Et le dopage ?  » Il ne prend rien « , soutient Bowman qui a appris à son élève de ne jamais boire à une bouteille d’eau déjà ouverte. Phelps a bien pris pendant des années un supplément alimentaire du nom d’Endurox, jusqu’à ce que l’organisme de contrôle américain, la Food and Drug Administration (FDA), place ce produit sur la liste rouge. Depuis lors, il est passé aux boissons pour sportifs. Des boissons notamment commercialisées par Nestlé, avec qui Phelps a également un contrat de pub, ce qui plaît beaucoup à Peter Carlisle, qui défend les intérêts financiers du nageur.  » Michael représente l’innocence et la pureté pour une marque « , souligne celui qui a un GSM presque greffé à l’oreille et abuse d’after-shave.

Carlisle a négocié pour Phelps un contrat avec six sponsors qui lui paient 1,25 million de dollars par an. Un montant qui pourrait bientôt être revu à la hausse, puisque Coca-Cola, General Motors et Asahi TV sont en discussion. La chaîne japonaise voudrait faire de Phelps une icône en Asie. L’Amérique a en tout cas déjà adopté le nouveau phénomène sportif, qui apparaît dans cinq spots publicitaires à la TV ainsi que sur une brochure vantant les cartes de crédit Visa et imprimée à 57 millions d’exemplaires. Un calendrier et un livre sont également prévus. Phelps, déjà bien rodé aux arcanes de la pub, réclame 15.000 dollars pour une session d’autographes lors de l’un ou l’autre gala.

 » Michael sera à Athènes l’un des rares athlètes à être une marque « , dit Carlisle, qui a réglé le jackpot éventuel avec Speedo.  » Nous ne voulons pas seulement toucher le milieu du sport, nous souhaitons que le monde entier sache qui est Michael « .

Mais ce sera difficile de transformer le jeune homme timide en star internationale aux allures de David Beckham. Des sessions photo avec le Vanity Fair, FHM, des apparitions dans le Today Show sur NBC et quatre ans de formation aux médias n’ont pas encore tout à fait métamorphosé la chrysalide Phelps.

Le dernier jour des trials américains, il a posé maladroitement aux côtés de Cindy Crawford pour une pub, suivi d’une conférence de presse. Bien qu’il n’avait qu’à lire ce qui était écrit sur un papier, il bredouilla et chercha ses mots. Carlisle n’en a cure :  » Michael est de toutes façons un coup dans le mille, quoi qu’il fasse à Athènes. S’il bat le record de Spitz, il offrira de meilleures opportunités en marketing que le golfeur Tiger Woods « .

Maik Grossekathöfer

 » Difficile de transformer le JEUNE HOMME TIMIDE en star internationale aux allures de David Beckham « 

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