Parfum de Diables

L’Autriche version 2008, c’est un peu la Belgique cuvée EURO 2000. Et ça inquiète !

H ormis la Belgique en 2000, jamais l’organisateur d’un Championnat d’Europe n’a fait moins bien qu’une demi-finale. L’Autriche devrait rééditer cette piètre performance.

Ce commentaire est paru dans L’Equipe quelques jours avant le début de l’EURO. Merci de nous rappeler ce sale souvenir, cette page noire de notre football ! Pourtant, c’est vrai qu’il y a pas mal de points communs entre les Diables Rouges de 2000 et l’équipe autrichienne actuelle à laquelle on ne colle plus depuis longtemps son surnom ancestral de Wunderteam (Equipe merveilleuse). Après son match d’ouverture courageux contre la Croatie (0-1 et une deuxième mi-temps plus qu’emballante, mais peu d’inspiration et des erreurs techniques grossières), la mission semble plus que jamais impossible. Si les Autrichiens ne battent pas la Pologne ce jeudi, ils pourront déjà mettre la clé sous le paillasson. Et reporter encore un peu plus leurs espoirs de gagner un match dans un tournoi majeur. Le dernier, c’était contre les Etats-Unis à la Coupe du Monde… 1990. Il y aurait toujours la possibilité théorique de mettre fin à la disette dès cet EURO, mais contre l’Allemagne (lundi 16 juin), on ne peut pas dire que ce soit gagné d’avance !

Le défi est donc clair. Il faut arracher les 3 points face aux Polonais ou tous les pronostics se vérifieront douloureusement : pas de deuxième tour et un public autrichien qui pourra dire qu’il a eu raison de snober sa sélection et son Championnat d’Europe.

Passons en revue ce qui rapproche les Belges de l’EURO belgo-néerlandais et les Autrichiens du Championnat d’Europe austro-suisse.

Organisation dans l’ombre d’un voisin plus puissant

Seule, l’Autriche n’aurait jamais pu organiser un tournoi de l’ampleur de l’EURO. Sa Fédération a donc misé sur un ticket 2 petits = 1 grand. L’alliance entre la Suisse et l’Autriche était une espèce de mariage forcé, de circonstance, la seule chance de convaincre l’UEFA. Ce fut pareil au moment où la Belgique se mit en tête d’organiser l’EURO 2000 : elle avait besoin du soutien des Pays-Bas pour être prise au sérieux.

L’Autriche devait aussi organiser l’EURO elle-même pour pouvoir y participer. Ce pays ne s’est jamais qualifié sur le terrain. Les Autrichiens sont allés 7 fois à la Coupe du Monde – la dernière en 1998 -, mais au niveau européen, c’est le vide. De même, la Belgique était absente du théâtre de l’EURO depuis 1984 lorsque ce tournoi s’est tenu chez nous.

Tirage favorable

L’Autriche se retrouve dans le Groupe B avec l’Allemagne, la Pologne et la Croatie. Le monstre allemand est toujours présent dans les grands rendez-vous, mais pour le reste, il y avait vraiment moyen de tomber plus mal. La Belgique avait hérité de l’Italie, de la Turquie et de la Suède en 2000 : c’était aussi le trio d’adversaires le plus abordable de tous les groupes. On a vu…

Faveur au stade national

L’Autriche joue ses trois matches du premier tour à Vienne – alors que la Suisse les dispute à Bâle. La plupart des équipes doivent se produire dans deux stades différents. Cette faveur de l’UEFA envers les pays organisateurs est illogique, elle va à l’encontre de la morale sportive qui voudrait que l’on place tous les participants sur un pied d’égalité. Les Autrichiens et les Suisses sont déjà favorisés par le fait de jouer sur leurs terres : pourquoi les programmer, en plus, dans le stade où ils ont leurs habitudes ? La Belgique avait eu le même avantage en 2000, disputant ses trois rencontres du premier tour au Stade Roi Baudouin.

Préparation catastrophique

Michael Kriess est un Autrichien anonyme qui s’est fait coller une amende de 1.500 euros par un tribunal d’Innsbruck. Sa faute : avoir lancé sur Internet une pétition demandant le retrait de l’Autriche du tournoi. Il estimait que le jeu produit par cette équipe était une insulte à tous les fans de foot.  » Nous allons être la risée de toute l’Europe. Autant nous retirer et laisser la place à une nation qui aurait mérité sa qualification sur le terrain « . Cette pétition a recueilli plus de 10.000 signatures, ce qui n’a amusé ni la Justice autrichienne, ni Michel Platini. Le patron de l’UEFA a déclaré :  » C’est l’entreprise la plus stupide du monde « . En attendant, les Autrichiens ont trouvé un surnom à la levée actuelle : la génération zéro.

C’est clair que l’Autriche ne mérite pas sa place dans ce tournoi. A cause de son classement (90e au ranking FIFA, 43e à l’UEFA) et de ses résultats désastreux dans les matches amicaux disputés depuis deux ans. Il y a eu des défaites prévisibles contre des caïds européens (France, Angleterre, Allemagne, Pays-Bas) mais aussi face à des nains du foot mondial (Hongrie, Venezuela, Ecosse, Chili) et des nuls contre d’autres nobodies (Costa Rica, Malte, Ghana, Tunisie). Cela fait méchamment penser au parcours chaotique des Belges sur la route de l’EURO 2000 – du moins jusqu’au remplacement de Georges Leekens par Robert Waseige : nuls contre le Luxembourg, le Pérou et le Japon ; défaites contre la Grèce, la Tchéquie, la Bulgarie, l’Egypte, la Roumanie, la Finlande. A l’époque, personne en Belgique n’aurait imaginé le retrait volontaire des Diables. La différence, c’est que tout le pays s’emballait complètement pour l’EURO alors qu’ici, on ne sent pas un vrai enthousiasme, comme si les Autrichiens pensaient :  » Arrêtons cette farce et laissons jouer les grands « .

Réservoir limité

La moitié du noyau autrichien pour cet EURO provient de clubs nationaux : Austria et Rapid Vienne, Sturm Graz, Salzbourg, Mattersburg, Linz. Les meilleures de ces équipes ne représentent plus rien sur la scène européenne. La saison dernière, Salzbourg a été éliminé au troisième tour préliminaire de la Ligue des Champions (par Donetsk) puis s’est fait sortir au premier tour de la Coupe de l’UEFA (par l’AEK Athènes). Et l’Austria Vienne est parvenu dans les poules de l’UEFA mais a terminé dernier. Il y a donc un gros manque de vécu et de grandes performances dans le noyau national. Quelques joueurs évoluent dans des clubs du subtop européen : les gardiens Jürgen Macho à l’AEK Athènes et Alex Manninger à Sienne ; les défenseurs Györgi Garics à Naples, Emanuel Pogatetz à Middlesbrough et Martin Stranzl au Spartak Moscou ; les médians Martin Harnik à Brême et AndreasIvanschitz au Panathinaikos ; l’attaquant Roland Linz à Braga. Mais à part Pogatetz, Stranzl, Ivanschitz ( le Beckham autrichien…) et Linz, ce sont surtout des joueurs moyens.

Qui y croit ?

Depuis que la presse internationale a débarqué en Autriche, la délégation locale (entraîneur et joueurs) lui sert chaque jour le même refrain :  » Nous pouvons être la surprise de cet EURO. Avec un peu de chance, tout est possible. Voyez la Grèce en 2004. Dans le football moderne, tout le monde peut battre tout le monde « . Le but avoué est clair : une qualification pour les quarts de finale. Pour y parvenir, le coach Josef Hickersberger (qui sembla un moment désemparé quand son équipe perdait tous ses matches amicaux et avait déclaré que l’Autriche était le sparring-partner idéal pour les teams en manque de confiance) positive à fond et ne rend pas les armes, malgré la défaite contre la Croatie :  » Tout le monde est bien dans sa tête, ça doit aller « .

Le son de cloche est fort différent chez des légendes du foot autrichien. Hans Krankl :  » Si on survit à notre poule, ce sera un grand succès « . Toni Polster (95 sélections, meilleur buteur de l’histoire de l’équipe nationale… et signataire de la fameuse pétition) :  » Cette Autriche est la plus mauvaise de tous les temps. Elle fait tache au milieu des grandes équipes qui participent à l’EURO. Hickersberger compare l’Autriche à la Grèce et rêve des quarts de finale. Je lui réponds qu’il y avait de très bons joueurs dans l’équipe grecque en 2004 et qu’il n’est pas payé pour rêver « .

Deuxième affront pour Hickersberger ?

Si ça se passe mal pour les Autrichiens, on doute que le coach soit ménagé. Depuis deux ans, il l’a jouée à la René Vandereycken : il a testé des dizaines et des dizaines de joueurs, il a lancé un paquet de jeunes, toujours en martelant que les résultats n’avaient aucune importance, que la seule priorité était de répondre présent à l’EURO. Hickersberger est une vraie légende du foot autrichien : il a participé à la Coupe du Monde 1978 comme joueur (il faisait partie de l’équipe qui y conquit un succès historique contre l’Allemagne de l’Ouest) et au Mondial 1990 comme entraîneur – après avoir lui-même qualifié l’équipe. Mais ces exploits et tous les titres nationaux autrichiens conquis comme joueur n’ont pas pesé lourd au lendemain d’un autre match historique en qualifications pour l’EURO 92 : une défaite contre les Iles Féroé et le C4 était dans sa boîte. Ce qui n’a pas empêché la Fédération de le rappeler 6 ans plus tard. En affirmant aujourd’hui qu’il a l’équipe pour aller en quarts de finale, il prend un risque. Parce qu’il sera le premier visé en cas d’échec et que son étoile pâlira méchamment au pays. Il en est bien conscient :  » Tout le monde rigole de nous depuis deux ans, et quelque part, je peux le comprendre. Mais attendons au moins la fin du premier tour. Et si nous avons été ridicules au bout de nos trois matches, j’accepterai même qu’on se moque encore un peu plus de nous « .

L’Autriche, mais aussi la Suisse dans l’Histoire ?

Une dernière comparaison avec les Diables Rouges de 2000 : ils avaient remporté leur premier match, eux (contre la Suède), mais ils avaient ensuite bu la tasse contre l’Italie et la Turquie(2 x 0-2). La consolation pour nous, après les matches du premier week-end de cet EURO : nous ne serons sans doute bientôt plus les seuls organisateurs à ne pas avoir passé le premier tour. Même la Suisse (qui doit maintenant se farcir la Turquie et le Portugal) peut sans doute se préparer à nous rejoindre dans la grande Histoire des losers du Championnat d’Europe !

par pierre danvoye – photos: reporters

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