Paradoxes

Un copain me racontait récemment que son équipe, située à mi-classement, s’en était allée jouer chez le leader incontesté. Les probabilités de ne pas revenir bredouille étaient relativement réduites, n’empêche qu’elles existaient. Si bien que, dans son briefing d’avant match, le coach avait forcément recouru à la panoplie d’arguments susceptibles de motiver en pareil cas.

Partant du principe que les caïds d’en face ne sont pas des caïds parce qu’ils ont un plus gros ciboulot, il avait recommandé aux siens de beaucoup travailler des méninges ( » Soyez malins ! « ), pour combler le handicap technique par rapport à ceux d’en face. Persuadé par ailleurs qu’un leader n’assoit pas essentiellement sa suprématie sur son fighting spirit, il avait beaucoup insisté pour que les siens se vident les tripes ( » On donne tout ce qu’on a dans le ventre ! « ). Il avait encore mis l’accent sur l’aléatoire en foot ( » On ne sait jamais, il suffit d’un contre, les matches basculent sur un détail… « ). Et enfin, juste avant d’entrer sur le terrain, en couronnement de son briefing, il n’avait pas manqué de sortir solennellement l’argument décomplexant de base, celui qui se récite dans toutes les langues et tous les vestiaires du monde :  » Les gars, ILS N’ONT QUE DEUX BRAS ET DEUX JAMBES, COMME NOUS !  »

Cette fois-là, ça avait marché, l’équipe de mon copain avait glané un point chez le leader ! Mais les hasards du calendrier faisaient que, la semaine suivante, elle recevait le dernier classé, affichant le bilan déprimant de 6 points sur 36 ! A la fin du match, c’était pourtant 0-1 et le coach avait piqué sa crise.

Jusqu’au moment où un copain de mon copain, supportant sans doute les gueulantes moins que les autres et aimant plus qu’eux l’ironie, avait rétorqué :  » Cool coach, ils n’étaient pas plus cons que nous, ça a basculé sur un rien, ON N’AVAIT QUE DEUX BRAS ET DEUX JAMBES, COMME EUX !  » Le coach avait crisé de plus belle, accusant l’intervenant d’être en quelque sorte un parasite démobilisateur…

L’anecdote est symptomatique de ce sport dingue : ce qui est vrai à un moment donné ne l’est plus dans l’instant qui suit. Va-t-en t’y retrouver ! Un jour on te reproche de jouer bas et de laisser trop d’espace entre attaque et défense, le lendemain on te reproche de jouer haut et de t’exposer inconsidérément aux contres adverses ! Un jour on te demande d’anticiper sur l’attaquant afin qu’il ne puisse te faire face balle au pied, le lendemain on te dit de prendre deux mètres de recul parce que, si tu rates ton anticipation, tu ne reverras jamais l’attaquant ! Un jour tu dois gagner absolument vu que tu es le plus fort intrinsèquement, un autre jour tu peux gagner bien que tu sois le moins fort intrinsèquement ! Tu te fais enguirlander parce que tu prends des risques, tu te fais aussi enguirlander parce que tu n’en prends pas ! On te reproche de trop garder le ballon, et on te reproche de le donner trop vite ! On te crie de te démarquer, on te crie de serrer l’homme dans l’instant qui suit ! On te gueule de poser le jeu, et en même temps de vider les ballons chauds ! Un jour tu joues trop latéral, un autre jour tu te fais traiter de débile parce que tu recherches trop la profondeur ! Tu y vas en pressing et on te crie  » Pas trop vite ! « , tu n’y vas pas et on te traite de fainéant ! On te hurle  » Pas de faute ! « , puis on te reprochera de n’avoir pas commis celle dite nécessaire…

Mais ce sport n’est dingue qu’apparemment et c’est pour ça qu’on l’aime : parce que les plus fortiches sont ceux qui s’y retrouvent le mieux dans cette forêt de paradoxes ! Ce qui me permet de conclure en vous refilant mon tiercé pour les plus fortiches de 2003, vu que le Ballon d’Orsera attribué le 23 décembre. J’aimerais que, devant Thierry Henry et Pavel Nedved, Paolo Maldini l’emporte  » pour l’ensemble de son £uvre « , il est grand temps qu’on rende hommage aux grands défenseurs. Le seul élu fut Franz Beckenbauer en 1976. Encore que le Kaiser ne défendait guère : il attaquait de l’arrière en restant bien planqué !

par Bernard Jeunejean

 » Ce qui est vrai à un moment donné ne l’est plus dans l’instant qui suit « 

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