Par le bout du nez

L’histoire d’un mec crucifié à 33 ans et qui ne comprend pas pourquoi.

Loué depuis près de 15 ans pour sa conscience professionnelle, le défenseur de Charleroi passe aujourd’hui pour un hors-la-loi. C’est cela, bien plus que sa suspension, qui lui va loin. Le 3 novembre dernier, il avait participé à la victoire des Zèbres au Lierse (1-2) en jouant un match sobre, à sa manière. Il s’était ensuite présenté au contrôle antidopage sans aucune appréhension. Depuis la semaine dernière, cette soirée lierroise le poursuit: les organismes compétents de la Communauté flamande ont trouvé des traces de caféine dans ses urines et l’Union Belge vient de lui infliger une suspension de trois mois.

Il pourrait se consoler en se disant que cela ne lui fera pas rater le moindre match, puisqu’il est quand même sur la touche, pour une blessure au genou, jusqu’à l’été prochain. Mais il n’y arrive pas.

Tony Herreman: Quand je lis tous les articles qu’on a consacrés à cette affaire depuis huit jours, je me dis qu’on cherche à me nuire. J’ai vu tellement d’erreurs, d’approximations et de raisonnements tordus que ça ne peut plus être le seul fruit du hasard. Que cherche-t-on? A me faire passer pour ce que je ne suis pas? Soyons sérieux: je prenais un médicament contenant de la caféine pour me soigner, pas pour améliorer mes performances sportives.

Un contact avec Lukunku

Que vous a-t-on reproché injustement?

D’être le premier footballeur dopé en première division belge, par exemple. C’est faux: il y en a eu avant moi. Comment peut-on lancer une information pareille et chercher à me faire passer pour le tout premier tricheur sans avoir vérifié les antécédents? On me salit alors que je ne le mérite pas. Je suis professionnel depuis 14 ans. Je ne m’en suis jamais pris à un arbitre, je n’ai pas l’habitude de commettre des fautes méchantes, j’ai toujours été apprécié par les supporters et les médias. Du jour au lendemain, certains oublient tout ça. Comme si l’occasion était trop belle pour me salir et me déstabiliser. J’ai lu aussi que ma suspension ne me poserait aucun problème, vu que je me remets actuellement d’une fracture de la cheville. Non, j’ai été opéré aux ligaments croisés du genou. Et le départ de cette affaire n’est pas une fracture du nez mais un déplacement de la cloison nasale. Si j’avais eu le nez cassé, je me serais fait opérer tout de suite, quand même. J’ai également découvert dans la presse que j’avais été contrôlé positif à cause de gouttes nasales alors qu’elles sont inoffensives. Il n’est pas conseillé de les prendre éternellement, mais elles n’ont aucune influence lors d’un contrôle antidopage. Dans des dossiers aussi sensibles, on doit au moins prendre la peine de tout vérifier minutieusement.

L’origine de cette affaire remonte à un contact avec Lukunku.

Il y a plus de deux ans, dans un match avec le GBA contre le Standard. Sur une rentrée en touche, j’étais derrière Lukunku. Au moment où le ballon est arrivé, j’ai voulu le contourner et il m’a donné un coup de coude. Je me suis retrouvé groggy. Quelques jours plus tard, j’ai commencé à souffrir de violents maux de tête. Mais aussi de sinusites à répétition à cause du déplacement de ma cloison nasale. Ma narine droite est toujours bouchée. Je prenais de l’ Algostase pour mes maux de tête et des gouttes de Sofraline pour mon nez bouché. Je tiens à la disposition de tout le monde les radios de mes sinus et les documents médicaux qui détaillent ce dont je souffre.

Quatrième contrôle

Aviez-vous dépassé la dose prescrite d’Algostase?

Non. Jamais. Malgré ce que j’ai pu lire dans certains journaux. Je me suis toujours limité à un maximum de huit tablettes pour jour, à des intervalles de quatre heures minimum. Quand j’ai analysé la notice de ce médicament avec le pharmacien, nous avons vu qu’il contenait de la caféine. Nous avons formé un numéro de téléphone qui permet d’avoir toutes les réponses aux questions que l’on se pose sur le dopage. Je n’ai pas dit qui j’étais, j’ai simplement signalé que j’étais footballeur en première division. Le médecin à l’autre bout du fil m’a rassuré: je ne risquais rien en prenant l’Algostase aux doses indiquées. J’ignorais qu’en cas d’utilisation prolongée -trois mois environ-, la teneur en caféine dans mon corps allait augmenter. C’est ce qui m’a valu d’être positif après le match au Lierse.

Ce n’était pas votre premier contrôle?

Je dois avoir été contrôlé quatre fois depuis que je suis professionnel. Dont l’année dernière, après le match GBA-Westerlo. A l’époque, je prenais déjà de l’ Algostase aux mêmes doses mais les résultats avaient été négatifs. Je n’avais même pas dit au contrôleur que j’étais sous médicaments, vu que j’avais été rassuré par mon pharmacien et le labo que j’avais appelé avant de commencer le traitement.

Allez-vous modifier votre traitement?

Je n’ai pas le choix. Mais je me pose des questions. On m’a conseillé de remplacer l’ Algostase par du Panadol qui contient de la codéine. Ce produit était autrefois sur la liste des produits interdits mais il n’y figure plus aujourd’hui. Tout cela n’est pas très logique. Et peut-être que, demain, la caféine ne sera plus considérée comme un produit dopant.

L’opération pour rectifier votre cloison nasale est quand même inéluctable?

Cela, je le sais depuis longtemps. Mais je n’ai jamais trouvé le bon moment pour passer sur le billard. J’avais programmé l’opération pour le début du mois de mai de cette année, mais c’est de nouveau reporté à cause de ma blessure au genou. Une fois opéré, je devrai rester un bon moment à la maison et tout effort violent risquerait de me faire perdre beaucoup de sang. Il faut compter un mois pour qu’une opération pareille soit oubliée. Je ne peux pas me permettre ces inconvénients alors que je dois travailler tous les jours au rétablissement de mon genou. C’est un processus de cinq longs mois et je suis en plein dedans. Si je veux reprendre les entraînements avec le noyau en juillet, je ne peux pas me permettre de couper mon effort maintenant.

« J’ai préféré dire la vérité »

Vous saviez depuis longtemps que vous aviez subi un contrôle positif mais vous n’aviez rien dit. Pourquoi?

Un mois et demi après le match au Lierse, j’en ai été averti par un courrier de la Communauté flamande. On me proposait une contre-expertise. J’ai appelé le labo de Gand et on m’a répondu qu’une contre-expertise était une arme à double tranchant: elle pouvait m’être favorable mais aussi me coûter plus cher que les résultats de la première analyse. Je me suis alors contenté de remettre aux autorités compétentes un dossier complet avec les radios et les attestations de mon médecin. Leur conclusion, c’est qu’il s’agissait d’un cas de dopage et pas d’un problème médical.

Et le club a fermé les yeux?

J’en ai parlé directement à Enzo Scifo. A l’époque, j’étais encore dans l’équipe. J’ai aussi remis tous les documents médicaux au club. Je n’avais pas averti les médecins du Sporting, en début de saison, que je prenais cet antidouleur, vu que j’étais convaincu que c’était sans danger. Scifo m’a avoué qu’il ne voyait pas pourquoi je me doperais alors que ma condition physique a toujours été mon point fort, sans que je sois obligé de prendre des produits interdits. Si j’avais des problèmes pour suivre le rythme, je prendrais autre chose qu’un médicament à base de caféine. Il existe quand même suffisamment de produits plus performants que ce simple antidouleur.

Si j’ai décidé d’en parler publiquement la semaine dernière, c’était pour précéder l’annonce de ma suspension par l’Union Belge. Je savais que la fédération allait la communiquer, j’ai téléphoné là-bas pour savoir ce qui serait annoncé exactement et on m’a répondu que mon contrôle positif ne serait pas mentionné. On aurait annoncé simplement que Tony Herreman était suspendu de tout match pour trois mois à partir du 8 mars, sans parler de dopage. Tout le monde se serait alors posé des questions. Je n’avais pas envie de mentir ou de tourner autour du pot. Alors, j’ai dit les choses telles qu’elles s’étaient présentées.

Dans trois petits mois, ce ne sera finalement plus qu’une anecdote dans une carrière exemplaire?

Je ne vois pas les choses comme ça. J’aurai été suspendu pour avoir soi-disant triché, et cela, je ne parviens toujours pas à le digérer.

Pierre Danvoye

« On me salit alors que je ne le mérite pas »

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