Par amour

Le deuxième grand retour de l’ex-star des Bulls.

Le hasard fait parfois bien les choses. C’est le Palace d’Auburn Hills qui a accueilli le roi Jordan à l’occasion de son premier match officiel de l’avant-saison sous le maillot des Washington Wizards. Un stade rempli comme un oeuf pour l’occasion: 22.076 spectateurs. Deux jours avant, les Detroit Pistons n’avaient accueilli que 8.208 personnes lors de leur première confrontation de la saison 2001-2001 face aux Cleveland Cavaliers.

Même après deux années de veilleuse, le phénomène Jordan n’a pas faibli le moindre du monde. Mieux, encore, il s’amplifie.

Plus de 300 journalistes (dont un grand nombre d’étrangers) avaient effectué le déplacement dans les faubourgs nord de la grande métropole du Michigan pour disséquer l’homme, analyser son niveau de jeu, comprendre son rôle tactique, boire ses paroles, s’enivrer de ses gestes et ressusciter sa légende. Ils ont failli venir pour rien.

Sans un coup de fil pressant de Russ Granik, le commissaire-délégué de la NBA, Jordan n’aurait pas desserré son noeud de cravate. Il n’avait pas prévu de jouer les deux premiers matches amicaux des Wizards. C’est seulement après avoir réalisé l’immense engouement que suscitait son retour qu’il accepta d’enfiler le maillot bleu nuit de sa nouvelle équipe. Tout le monde respirait, à commencer par la direction des Pistons qui aurait dû rembourser plus de 10.000 tickets. Elle avait en effet garanti la présence de Jordan.

« Je ne me suis pas rendu compte de l’ampleur de l’intérêt et de la curiosité à mon égard », a-t-il déclaré. « Je ne peux évidemment pas les contrôler. Tout ce que je peux faire, c’est jouer au mieux de mes possibilités ».

« Je me suis surpris »

Après trois années d’inactivité, Jordan n’a pas déçu. Malgré son âge canonique (à 38 ans, on est vieux en NBA) et un léger excédent de poids, le meilleur joueur de l’histoire du basketball a prouvé, en un peu plus de 16 minutes de jeu, que la classe ne se perd jamais, tout comme la science du jeu d’ailleurs. Et que la rage de jouer peut compenser une condition physique forcément pas encore au zénith. Jordan a joué en leader, exhortant ses jeunes équipiers à se battre à chaque seconde. Rusé, il a exploité quelques faiblesses défensives des Pistons pour inscrire 8 points. Gagneur, il a parfois aussi demandé des comptes aux arbitres. Charmeur, ses larges sourires ont définitivement conquis les supporters de l’équipe adverse.

« Michael reste Michael », explique John Bach, un des entraîneurs des Wizards qui a coaché Jordan à Chicago lors du premier titre. « A l’entraînement, il se donne à chaque fois à 100%. Il va certainement jouer différemment mais il possède toujours la même passion, la même fureur ».

Le plumage est lui aussi resté en adéquation avec le ramage, excepté un petit bouc et un ou deux kilos superflus. Le crâne brille toujours sous les projecteurs, les shorts surdimensionnés flottent plus que jamais et la langue, immanquablement, pointe lors des efforts intenses. Même le célèbre numéro 23 est présent et tant pis s’il figure maintenant sur un maillot marine.

« Je me suis surpris », déclarait l’intéressé après la rencontre, perdue 95 à 85. « Mon niveau d’énergie était plutôt bon, même après avoir participé à un entraînement de deux heures avant la rencontre. J’avais peur que la tendinite à mon genou droit ne réapparaisse mais il n’en fut rien. Je serai prêt au moment voulu ».

Deuxième comeback

En annonçant sa retraite en 98 au lendemain du 6e titre national décroché avec les Bulls, His Airness, malin, avait pris soin de laisser une brèche microscopique. « Cette fois, ça y est », avait-il déclaré devant la statue à son effigie devant l’United Center de Chicago. « Je m’en vais et je suis sûr à 99,9% que je ne reviendrai pas en NBA. Physiquement, je suis toujours OK mais je suis épuisé mentalement. Et comme j’estime qu’il n’y a plus de défi à relever ».

Même si, on ne voulait pas y croire, on réalisait aussi que le moment était particulièrement propice. Il partait en pleine gloire, auréolé de six consécrations au sein de la même équipe (91, 92, 93, 96, 97 et 98). Son sensationnel panier dans les dernières secondes du match des playoffs contre les Utah Jazz est référencé dans l’histoire comme « the Shot ». Avec une majuscule, s’il vous plaît! Secrètement pourtant, on espérait revivre le scénario de 93. En octobre de cette année-là, fort d’un troisième titre consécutif, Jordan avait tiré sa révérence pour se consacrer à un autre sport de prédilection: le baseball dans lequel il ambitionnait également une carrière professionnelle.

L’objectif resta du domaine onirique. Après une saison dans l’équipe B des Chicago White Sox en Alabama, Jordan se rendit compte que son coup de batte ne valait pas son coup de patte. Il s’accorda une année sabbatique sur les terrains de golf avant de reprendre du service au sein des Bulls, les remettre sur le droit chemin et glaner trois nouveaux titres.

En février dernier, il se confirmait que ce petit dixième de % n’était pas aussi innocent que cela. A peine avait-il posé le pied dans un gymnase d’Arizona en compagnie de son pote Charles Barkley que le moulin à rumeurs se mit à tourner: Jordan tâte à nouveau du ballon à raison de 6 heures par jour, il a perdu 14 kg, la passion le dévore toujours, il va revenir. Quand il fit appel à son entraîneur personnel Tim Grover et qu’on le vit à Chicago croiser le ballon avec d’autres pros comme Penny Hardaway, les ailes du même moulin se mirent à s’affoler. La presse fit ses choux gras de la spéculation. Nombreux sont ceux qui ont tiré des plans sur la comète. L’intéressé démentait tout retour par l’humour: « Ce n’est pas une blague: j’ai un bedon. Et quelle meilleure manière de s’en débarrasser qu’en jouant au basket, relax, avec quelques copains? »

Toujours dingue de basket

Jordan n’a jamais vraiment quitté le basket et la NBA en particulier. En janvier 2000, il est devenu actionnaire à hauteur de 10% et président des opérations sportives des Washington Wizards, un des clubs les plus modestes des 29 que compte la National Basketball Association. Une fonction qui ne lui apportera son lot de déceptions. Lui le gagneur, il doit assister aux insuffisances de cette équipe manquant de talent et -pire encore- de volonté! Il lui arrivera plus d’une fois de suivre les errements de ses protégés à la TV, dans son bureau, plutôt que quelques étages plus bas, le long du terrain. Ce sentiment d’impuissance, cette frustration ont-ils joué un rôle dans sa décision d’un deuxième comeback?

Certainement. Dans son communiqué de presse daté du 25 septembre dans lequel il annonçait officiellement son retour en qualité de joueur, il avouait que les Wizards possédaient une base permettant d’atteindre les playoffs d’ici quelques années et que l’opportunité d’encadrer les jeunes joueurs sur le terrain même, en championnat, avait pesé lourd dans la balance. Il voue une confiance et une tendresse particulières à sa recrue Kwame Brown, un grand garçon de 2,10 m et de 113 kg, un étudiant de High School devenu le premier choix du Draft.

Il est clair que Jordan ne revient pas pour l’argent. Selon une étude de Forbes, sa fortune personnelle s’élève à 340 millions de dollars. L’an dernier, sans jouer, il a engrangé 1,6 milliard de francs grâce au sponsoring de Nike, le 23 Sport Café, son nouvel établissement au Connecticut et des placements fructueux. Il a d’ailleurs déclaré qu’il verserait l’intégralité de son salaire de joueur (estimé entre 57 et 81 millions de francs) aux familles des victimes des attentats terroristes du 11 septembre.

Il ne revient pas non plus pour la gloire. En 13 ans de carrière professionnelle, l’homme a moissonné tous les honneurs tant communs qu’individuels. Il n’a absolument plus rien à prouver. Et il sait, comme tout le monde que la route vers les sommets sera longue pour les Wizards.

Encore moins par défi personnel. Il a déjà démontré ses exceptionnelles qualités sportives à maintes reprises et notamment lors de son premier comeback.

« Je reviens essentiellement pour l’amour du basket et pour rien d’autre », répète à l’envi le meilleur basketteur de l’histoire.

Rien à perdre

Quel sera le niveau de jeu de Jordan? Son rôle dans l’équipe? Saura-t-il apprendre à perdre? Et surtout, tiendra-t-il physiquement? Autant de questions à cent dollars.

L’athlète est sublime mais les lois de la nature sont, elles, impitoyables. Au cours des derniers mois, il a enduré deux côtes fêlées, des spasmes dorsaux, une tendinite et des problèmes aux tendons. Pas étonnant…

Et dans le contexte du championnat le plus relevé et le plus exigeant du monde, c’est peut-être insurmontable. « Je n’ai pas peur et je ne suis pas nerveux. Je sais ce dont je suis capable. Je dois avant tout être patient », confie-t-il. « Je ne veux pas voler la vedette aux autres joueurs. Mais je ne veux pas non plus jouer les seconds rôles. J’entends bien jouer le championnat dans son entièreté. Je sais que l’on m’attend au tournant. Je ne fonce pas tête baissée dans l’inconnu. Beaucoup de joueurs sont motivés à l’idée de jouer contre moi mais c’était aussi le cas il y a trois ans. Rien n’a changé de ce côté là ».

Il est certain que Jordan n’a rien à perdre dans cette nouvelle aventure. Mais il n’a rien à gagner non plus. Son défi n’en est que plus beau.

Bernard Geenen, à Chicago

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