Décédé à 60 ans d’une crise cardiaque, il fut un footballeur de haut niveau, et, de son plein gré, un entraîneur de l’ombre.

Depuis une vingtaine de minutes, des milliers de supporters mauves s’égosillaient à convaincre Raymond Goethals de lancer « papa Doc » sur la pelouse du Parc des Princes:  » Jean Dockx, Jean Dockx, Jean Dockx! ». Mais l’entraîneur, excité comme une puce par le 4-0 du marquoir (on le serait à moins, un soir de finale de Coupe des Coupes), n’entendait rien. Il ne pigeait pas. Il se demandait même pourquoi Franky Vercauteren, le cadet sur la pelouse, lui faisait de larges signes. L’entraîneur-adjoint Martin Lippens lui glissa alors, dans le creux de l’oreille:  » Trainer, nos supporters demandent Dockx, et Franky est prêt à céder sa place ».

A trois minutes du triomphe final sur l’Austria Vienne, Goethals fit enfin plaisir à tout son petit monde et, à 37 ans, Jean participa ainsi à sa dernière finale européenne. Peu après, le Sporting organisa son match d’adieu, en invitant l’équipe nationale israélienne. Manque de chance, Jean se blessa sérieusement et clôturait ainsi de malheureuse manière une carrière de haut niveau et impressionnante de longévité. Au bilan: 35 sélections internationales (une troisième place à l’EURO 72 et, avec Anderlecht, deux titres de champion en 72 et 74, quatre Coupes nationales -72, 73, 75 et 76-, deux Coupes des Coupes -76 et 78-, la Supercoupe d’Europe en 76).

Des années plus tard, lui-même adjoint de Goethals, il se rendit compte de la fébrilité du patron dans les moments cruciaux:  » Trainer, tu ne peux plus remplacer, tu as déjà fait trois changements ». Jean racontait ses petites anecdotes d’un petit air narquois et gentil avec ce demi-sourire qui le caractérisait.

Le 22 novembre 67, Constant Vanden Stock, alors directeur technique national, lui avait offert sa première sélection contre le Luxembourg, à Bruges. Par la suite, Goethals lui fit pleine confiance, au Mondial 70 à Mexico, en intégrant le médian du Racing White à un 11 ne comportant que des Standardmen, Brugeois et Anderlechtois. En disputant les trois matches du premier tour -il n’y en eut pas de second-, Dockx fut, de l’avis général, le seul à tirer son épingle du jeu du foutoir mexicain, si pénible à la génération Van Himst. Raimundo le maintint donc comme titulaire. Il lui accorda sa dernière sélection le 15 novembre 75, contre la France, à Paris. Un match plus tard, le coach le plus médiatique de l’histoire du foot belge tirait lui-même sa révérence, après une défaite 5-0 contre la Hollande, à Feyenoord.

Les deux offres d’Anderlecht

Les deux hommes se retrouvèrent, plus tard, de 87 à 89, sur le banc du Sporting comme entraîneurs principal et adjoint n°2, Martin Lippens étant le premier adjoint. Un trio bourré d’expérience pratique au plus haut niveau et mêlant blagues et commentaires tactiques après l’entraînement. Ils partageaient le même vestiaire, où, un matin, après une séance de tirs sur phases arrêtées, nous avions eu le plaisir de bavarder avec eux. Face aux deux Bruxellois, le Malinois Dockx n’était pas le dernier à en sortir une bonne. Il était sérieux, sobre, mais savait rire de bon coeur. Lorsque Goethals quitta la Belgique pour la France, Lippens l’accompagna dans la cité girondine mais ne retourna plus jamais au Sporting.

Jean n’est plus, et Martin a définitivement rompu avec le club, pour « raisons profondes ». Il ne veut plus y mettre les pieds. Des années avant Dockx, Lippens était le fidèle des fidèles mauves comme joueur d’abord, et adjoint ensuite.

Né le 24 mai 1941 à Wavre-Ste-Catherine, Dockx s’affilia au FC Malinois, tout proche, et dès sa montée en équipe Première, à 16 ans, scora au quart d’heure son premier but. Pendant huit ans, le kleine prins (le petit prince) tira les ficelles du club. Blessé, ses dirigeants crurent qu’il ne s’en remettrait pas. Il le cédèrent, en 66, habilement pensaient-ils, au Racing White, montant en D1. La toute bonne affaire, ce sont les pensionnaires du Stade Fallon qui la réalisèrent. Sous la direction de Norberto Höfling, Dockx fut d’abord la plaque tournante d’une équipe ( Waseige, Stassart, Wynants, Carlos Lua, Paulinho…) qui parvint à se maintenir parmi l’élite et, en 69, disputa la finale de la Coupe (défaite 2-0 face au Lierse). Deux ans plus tard, le Racing White le laissa partir à Anderlecht. L’élément financier avait été décisif: grâce à ce transfert, le club molenbeekois se constitua un solide pactole et transféra à la volée Martens, Desanghere, Koens, Teugels et Depireux. De quoi jouer la tête du championnat durant quelques saisons sous la férule de Félix Week.

Le Sporting d’Anderlecht avait déchiré sa chemise pour s’offrir le médian malinois. Le président Vanden Stock, qui venait de prendre la tête du club, et Van Himst ne juraient que par cet infatigable travailleur techniquement bon et tactiquement sûr. Ils avaient pu apprécier le rayonnement et le volontarisme de ce footballeur aux gestes sobres, non seulement en championnat, mais aussi au Mondial mexicain.

Après une première offre repoussée en 69, la seconde du Sporting fut décisive. Après cinq saisons, Dockx, évalué à une dizaine de millions, fut échangé contre les deux défenseurs Martens et Desanghere, plus 4,5 millions qui servirent à enrôler le percutant Jacques Teugels, ex-attaquant mauve cédé à l’Union SG. La transaction fut néanmoins très laborieuse. Les Mabille, Gooris et autres dirigeants du Racing White, en position de force, discutèrent jusqu’à l’aube, au bar du Moulin de Lindekemale, à Woluwe-St-Lambert. A 30 ans, Jean s’habilla donc de mauve. Un peu tard, mais il eut le temps de se constituer un riche palmarès.

Spectateur du plus beau match européen du Sporting

Quelques saisons plus tôt, Paul Vandenberg, génial stratège de l’Union et du Standard, arrivé sur le tard lui aussi au Parc Astrid, n’eut pas la même réussite. Il est vrai que Jef Jurion ne supportait pas trop la concurrence de ce footballeur très doué mais d’apparence nonchalante. Cherchant sa place, Dockx vécut des débuts difficiles. Par la suite, il devint incontournable, au milieu ou au libero. En même temps que lui, deux autres gros calibres avaient enfilé la tunique mauve: l’époustouflant Robby Rensenbrink, venu du Club Brugeois, et l’autoritaire et sévère Georg Kessler pour diriger la troupe. Constant Vanden Stock n’appréciait pas trop le style du précédent entraîneur, le Corse Pierre Sinibaldi, et bousculait son nouveau noyau.

Le démarrage fut pénible: si Kessler dominait les nouveaux venus comme Dockx et les jeunes Van Binst et Broos, il se heurtait souvent aux caïds Van Himst, Mulder, Plaskie, Kialunda… Jean connut pourtant le bonheur, en bout de saison 72, de décrocher son premier titre et de remporter la Coupe de Belgique face au Standard.

Paradoxalement, Jean Dockx a toujours estimé que la plus belle démonstration réussie par le Sporting sur la scène européenne remonte à… 1963. Ce soir-là, il avait assisté en spectateur à la large défaite d’Anderlecht face à Dundee (1-4): « Ce n’était pas du foot, mais du ballet. Je suis d’accord avec Van Binst pour estimer que ce fut, sans doute, le meilleur 11 mauve de tous les temps avec les Van Himst, Jurion, Verbiest, Puis et Hanon. Mais l’équipe à laquelle j’ai eu l’honneur d’appartenir et qui se qualifia pour trois finales européennes consécutives avait grande allure, elle aussi. Elle comptait des joueurs de classe comme Rensenbrink, Vercauteren et Coeck, des hommes de tempérament comme Thissen, Broos et Dusbaba, et un opportuniste voleur de buts comme Swat Vander Elst« .

Lors de la deuxième finale contre Hambourg, en 1977, Jean eut la malchance de voir un de ses tirs s’écraser sur le montant. En blaguant, il lança après la partie: « Un but dans un pareil match au sommet m’aurait peut-être valu, à 36 ans bien tapés, un nouveau transfert lucratif ».

Deux ans plus tôt, pourtant, le Sporting avait eu l’idée de se séparer de lui avant de le faire finalement resigner pour un an. Et puis encore un, et encore un.

En 78, après 394 matches en D1, 45 buts et 38 matches de coupes d’Europe, le Malinois tira quand même sa révérence. Joueur-entraîneur à Bornem (78-80), il monta de Provinciale en Promotion, puis tenta de relancer Assent (80-82) et s’essaya ensuite comme entraîneur principal au RWDM en 82-83 avec la génération Patrick Thairet, Franky Vander Elst et Patrick Gollière, et à l’Antwerp en 83-84. De brefs séjours donc. Fragile face au stress, il n’appréciait pas d’être le numéro un sur le banc. Malgré les recommandations de son entourage professionnel, il préféra toujours travailler en coulisse. Il accepta donc, en 84, avec un plaisir évident, l’offre du Sporting de seconder l’entraîneur principal Paul Van Himst. Et il tint le rôle durant 15 ans, jusqu’en 99, renouvelant son contrat d’adjoint au fil des saisons. Nommé responsable de la prospection, il voyagea beaucoup à travers le monde, et fut ensuite désigné conseiller technique, label officiel de sa compétenece, avec droit de vote.

Employé du Sporting

Sur le banc, il avait servi Van Himst, Haan (2 fois), Leekens, Goethals (2), de Mos, Peruzovic, Boskamp (2), et, en cours de saison 95-96, successivement Neumann, vite viré, Goethals et Boskamp, et Vandereycken en 97-98. Jean était un second idéal puisque sans l’ambition d’accéder au grade supérieur, il n’inquiétait pas le patron assis à ses côtés. S’il l’avait voulu, il aurait pu être le numéro un, à Anderlecht, bien sûr, mais aussi au Standard, à Charleroi et à La Gantoise. En 97, la direction des Buffalos lui proposa un contrat de cinq ans pour travailler avec Boskamp, le grand copain avec lequel il venait de passer ses vacances de fin d’année à Dubaï. Il refusa l’offre gantoise, n’ayant plus du tout, à 56 ans, l’envie de changer. Il expliqua que son statut d’employé au Sporting lui convenait fort bien: « J’ai subi beaucoup de pressions, mais j’ai préféré rester ».

Pas si mal vu d’ailleurs, car, quelques mois plus tard, Boskamp quittait Gentbrugge avec fracas, arguant de graves problèmes financiers handicapant le club.

« J’ai adoré travailler avec Boskamp », raconta Jean. « Quand il est arrivé ici pour la première fois en 92-93, en remplacement de Peruzovic, j’ai su immédiatement que nous serions champions. Une conversation d’une heure avec lui m’avait suffi. Comme adversaires aux derbies Anderlecht-RWDM, on ne s’appréciait pourtant pas beaucoup, et on se méfiait l’un de l’autre. Mais dès qu’on a appris à se connaître, le courant est très très bien passé ».

Comme d’autres anciens joueurs et serviteurs mauves, Noulle Deraeymaecker, Polyte Van den Bosch et Lippens, Dockx dépanna en cas de nécessité, précisant bien, chaque fois, que ce n’était que du provisoire. En 98-99, en cours de saison, et avec l’assistance de Vercauteren, il réussit une extraordinaire performance en succédant à Haan, champion en 87 avec le Sporting mais complètement à côté de ses pompes dix ans plus tard. Jean prit en main une équipe nantie d’une dernière place historique au classement avec une correction (6-0) à Westerlo, après avoir subi une décevante élimination européeenne face aux Grasshoppers de Zurich. Et il ramena le Sporting dans la course au titre, terminant finalement à la troisième place, après de superbes démonstrations au Standard (0-6) et à Genk (1-4).

Le secret de cette réussite? Jean Dokx s’en expliqua ainsi: « Haan avait démoralisé plusieurs joueurs en les dégradant par des déclarations aux journaux. Il avait démotivé le groupe. Plus assez de coupant, plus d’enthousiasme, il fallait parler aux joueurs, être proche d’eux dans ces moments difficiles et adapter les entraînements pour redonner du tranchant, et surtout insuffler une nouvelle confiance. Arie ne croyait plus assez en ses joueurs, n’avait plus de contacts avec eux et les prenait parfois de haut. Franky et moi, nous avons cru en eux, et les résultats ont suivi ».

Sages, simples et réalistes paroles en lesquelles se retrouve un homme à la vision claire et sereine des choses de la vie et du foot.

Henry Guldemont

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