PAINS à la grecque

Dimanche, les Grecs se rendent aux urnes pour tenter de trouver une issue à l’impasse politique mais le chaos est total en football aussi.

Une centaine de journalistes sont réunis dans une salle comble du stade olympique d’Athènes à l’entrée d’un homme grisonnant à la mine préoccupée. Il s’agit de Dimitris Melissanidis, âgé de 62 ans et 211e homme le plus riche du monde selon le magazine Forbes. Une liasse de documents en mains, il s’assied à une table et prend la parole, sans ambages :  » Vous avez provoqué une guerre et vous allez l’avoir mais la bombe qui va éclater touchera tout le monde.  »

Pendant trois quarts d’heure, Melissanidis, l’homme fort de l’AEK Athènes depuis l’été dernier, parle sans s’arrêter. Ce club de tradition évolue actuellement en D2 et Melissanidis sait pourquoi. Tout simplement parce que ses anciens concurrents sont impliqués dans de nombreuses affaires de corruption. Il lit une liste interminable d’accusations : magouilles dans la désignation d’arbitres pour certains matches, tentatives de meurtre, tromperie, insultes passibles de poursuites, match fixing à des fins sportives mais aussi pour réaliser de gros gains sur des paris, etc…

Melissanidis reconnaît qu’il n’est pas un ange non plus mais au moins a-t-il un casier judiciaire vierge, ce qu’on ne peut pas dire de beaucoup d’autres figures marquantes du football grec.

On dit le football grec rongé par les manipulations et les personnes mafieuses depuis des années mais c’est la première fois qu’une personnalité marquante tire la sonnette d’alarme. Melissanidis prévient haut et fort  » qu’aucune junte au monde n’est intouchable « .

Tous contre l’Olympiacos

Sa tirade est avant tout tournée contre un homme : Evangelos Marinakis (47 ans), un des Grecs les plus riches, maître depuis 2010 de l’Olympiacos du Pirée, recordman des titres en Grèce, dont seize acquis lors des 18 derniers exercices. Depuis 1928, l’Olympiacos a été sacré champion à 41 reprises. Il compte plus de sacres que tous les autres champions de Grèce réunis et deux fois plus que le numéro deux, le Panathinaikos (20). L’AEK est troisième au palmarès avec 11 couronnes devant Aris Salonique (3), le PAOK Salonique (2) et Larissa (1).

Melissanidis est un selfmademan. Parti de rien, il a érigé un empire pétrolier et un centre de transport maritime. Il emploie 3.000 personnes et réalise un chiffre annuel de dix milliards de dollars. Il qualifie son concurrent de fils à papa.

Evangelos, qui fait partie, selon Lloyds, des  » armateurs les plus influents du monde  » alors que Melissanidis n’est que 97e, a immédiatement annoncé qu’il déposait plainte pour calomnie et diffamation. La guerre a éclaté au sein du football grec. Dans le camp du président de l’AEK, on trouve Yannis Alafouzos du Panathinaikos et Ivan Savvidis du PAOK Salonique.

Le conflit a pris de l’ampleur à la mi-novembre lors d’une réunion de crise de la Fédération de football, quand Marinakis a dénoncé Melissanidis comme le commanditaire de la bastonnade dont a été victime Christoforos Zografos, en plein jour. Le vice-président de la commission centrale des arbitres grecs se trouvait dans un quartier d’Athènes quand il a été frappé à coups de barres de fer et de poings alors qu’il était déjà à terre.

Passage à tabac

Zografos affirme avoir reçu un coup de téléphone d’un homme se faisant passer pour Dimitris Melissanidis après un match contesté entre Asteras Tripolis et l’Olympiacos. Suite à ce match, qui s’est soldé par un nul blanc, après moult décisions arbitrales discutables, l’homme lui aurait dit :  » Je vais te jeter en mer, je sais où tu habites.  » Quelques jours plus tard, le responsable de la désignation des arbitres pour la Super League grecque se faisait tabasser.

Le week-end suivant, on n’a pas joué dans les deux plus hautes divisions, bien que la chaîne payante Nova, détentrice des droits TV du championnat, ait menacé de réclamer deux millions de dommages par journée reportée.  » L’Etat et les clubs doivent d’abord assurer la sécurité de toutes les personnes concernées par le football grec « , a annoncé la Fédération. Sur ce, le président de la Ligue Pro et son adjoint ont démissionné.

Les supporters se détournent du football, dégoûtés. L’assistance moyenne en D1 était de 3.877 spectateurs lors des dix premières journées. L’Olympiacos attire encore 18.500 personnes, soit deux fois plus que le PAOK, deuxième avec 8.500 supporters, et le Panathinaikos (6900). Le quatrième de ce classement, OFI Crète, pensionnaire du ventre mou, n’accueille que 3.900 personnes par match. 13 des 18 clubs de D1 ne dépassent pas la moyenne de 2.300 spectateurs. Le Panionios, la lanterne rouge et l’ancien club d’Urbain Braems et d’Emilio Ferrera, de même que Kerkyra, le promu de Corfou, n’ont même pas mille spectateurs.

Matches suspects

L’UEFA a informé la Fédération grecque que cinq matches de cette saison étaient suspects, parmi lesquels trois parties du tenant du titre, l’Olympiacos.

Il ne faut donc pas s’étonner que durant sa diatribe, Melissanidis ait repris en détail quelques-uns des matches du club du Pirée. Lors de la quatrième journée, on aurait recensé des paris à hauteur de six millions d’euros, à Singapour et en Malaisie, sur le résultat du match entre l’équipe du Pirée etVerioa. L’Olympiacos a inscrit les deux derniers buts de sa victoire 3-0 dans la dernière minute et dans les arrêts de jeu.

Melissanidis s’y connaît en matière de paris : l’année dernière, son fils Georgios a acquis des parts d’Opap, un bureau grec de paris, aux mains de l’Etat pour une moitié. C’est une des rares entreprises bénéficiaires de ce pays en crise.

Pour résoudre les problèmes du football, le parti communiste préconise une mesure draconienne :  » Supprimez les structures du football et extirpez-en la culture d’entreprise.  » Depuis 1979, les clubs de football professionnels sont obligés de se constituer en sociétés anonymes.

Cette proposition paraît utopique mais l’autre parti de gauche, Syriza, juge que le football doit consentir des efforts et être mieux contrôlé. En réaction, Evangelos a lancé son propre parti politique au Pirée, un peu à l’exemple du Forza Italia de SilvioBerlusconi, même s’il reste à l’arrière-plan. Les temps sont donc incertains en football aussi.

PAR FERRY BATZOGLOU

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