Pain noir, pain blanc

Le gardien corse des Zèbres souffle le chaud et le froid. Rappel historique.

Que vaut Patrice Luzi (26 ans) ? Le gardien de Charleroi a montré un peu de tout depuis son arrivée dans ce club, en début de championnat. Du bon, du très bon, du mauvais, du très mauvais. En février, à domicile contre Beveren, il a gagné le match presque à lui seul. On l’a aussi vu à son affaire dans des duels face au Cercle, à Anderlecht, à Mons, etc. Par contre, il a directement précipité la perte des Zèbres à Beveren, contre Westerlo, au Lierse, etc. Il y eut aussi une prestation catastrophique qui a marqué les esprits : en janvier, le terrible 2-5 face au Standard était en bonne partie pour sa pomme. Ce soir-là, on s’est dit que le Sporting n’avait aucune chance de rester dans la roue du groupe de tête avec un gardien d’un aussi faible niveau. Il a offert un condensé des erreurs les plus grossières : sorties ratées, trajectoires mal évaluées, inconsistance dans les duels en un contre un, manque de peps sur sa ligne, absence d’autorité et de rayonnement sur sa défense.

La saison de Luzi peut être décortiquée en trois phases : des débuts prometteurs, un gros passage à vide, puis un joli retour au premier plan depuis quelques semaines. Comment expliquer ces montagnes russes dans la courbe de sa saison ? Le Corse a certainement des circonstances atténuantes. Le contexte de son arrivée fut chahuté : il a signé à Charleroi dans l’urgence, quand le Sporting venait de laisser filer Bertrand Laquait en Espagne. La saison avait déjà commencé, il quitta Mouscron en catimini pour signer chez les Zèbres. Les supporters carolos n’avaient pas oublié que la saison passée, Luzi les avait provoqués lors d’un match de Coupe. Certains avaient juré de le lui faire payer. Luzi se retrouvait par ailleurs devant une mission très compliquée : prendre la place d’un Laquait qui était le symbole de l’équipe et le chouchou du public.

Patrice Luzi est une tête de bois. Ses rapports avec les médias tolérés par le club se limitent au strict minimum. Après un match, que le Sporting ait gagné ou non, il refuse parfois d’aller saluer les supporters. Ceux-ci le lui rendent bien : sifflets, insultes à sa famille, Luzi en a déjà entendu des vertes et des pas mûres depuis le début du championnat.

L’ombre de Silvio Proto est un autre obstacle sur la route de Luzi. La direction de Charleroi et le gardien d’Anderlecht ont reconnu publiquement qu’ils avaient flirté en janvier dernier. Et on a reparlé récemment d’une arrivée toujours possible de Proto durant l’été. Ne tournons pas autour du pot : cela veut dire que Luzi ne donne pas entière satisfaction à ses patrons. Il a deux options : sombrer complètement ou bosser encore plus pour prouver qu’il a le niveau d’un club comme Charleroi. Depuis quelques semaines, il semble montrer qu’il a choisi la deuxième solution.

L’histoire de Luzi rappelle le destin de plusieurs gardiens qui sont passés par le Sporting. Quelques portiers d’un très haut niveau y ont défilé : Toni Tosini, Daniel Mathy, Ranko Stojic, Lars Eriksson, Laquait. D’autres, dont les qualités étaient parfois dans la moyenne supérieure, n’ont pas connu que de grandes joies au Mambourg. Retour sur les soucis sportifs et extrasportifs de quelques gardiens carolos de l’ère moderne.

Tosini chassé par Berto

Toni Tosini, le gardien qui jouait le plus souvent à mains nues, a connu trois des plus grands moments de l’histoire de Charleroi : la montée de D2 en D1 en 1965-1966, le titre de vice-champion en 1968-1969 et les débuts européens du club, un an plus tard. Sur le terrain, il avait des sorties de grand talent, il bougeait sans cesse, refusait de rester scotché sur sa ligne et considérait le grand rectangle comme son ring.

Entre le Sporting et Tosini, le ressort s’est brutalement cassé en 1972, alors que Charleroi était en D2. Lors du match d’inauguration du Tivoli, décisif pour la montée des Zèbres en D1, il se fait bousculer sur une phase chaude et encaisse. Georget Bertoncello l’enguirlande copieusement sur-le-champ. Tosini veut rentrer au vestiaire. L’entraîneur, Tony Antonneau, l’en empêche. Charleroi ne gagne pas ce match et perd ses rêves de montée. Dès le coup de sifflet final, Antonneau promet à Tosini qu’il ne jouera plus jamais en équipe Première et il tient parole. Tosini quitte Charleroi et la D2 pour Saint-Trond et la D1. Il va rester huit saisons dans le Limbourg :  » Huit années merveilleuses et j’en garde plus de souvenirs positifs que de mon séjour à Charleroi « .

Kerremans accidenté après la fête

Peter Kerremans a aussi raté sa sortie mais les conséquences furent bien plus graves que pour Tosini. Il a connu les deux saisons merveilleuses du premier séjour de Robert Waseige puis le drame.  » J’étais arrivé en même temps que Waseige, pour la saison 1992-1993. Je partais comme numéro 1. Nous avons réussi un début de championnat terrible mais je me suis blessé après quatre journées, à Bruges : ligaments croisés du genou explosés, opération, rééducation. Je n’ai plus joué cette saison-là, j’ai juste retrouvé le banc pour la finale de Coupe de Belgique. Le Sporting avait acheté Istvan Gulyas pour me remplacer. La saison suivante, j’étais de nouveau titulaire et j’ai joué 80 % des matches. Nous avons qualifié Charleroi pour l’Europe, une première depuis 25 ans. Le club était sur un nuage et nous avons fait une toute grosse sortie pour fêter notre quatrième place. C’est en rentrant de cette soirée que j’ai démoli ma voiture : ma carrière était terminée « .

Son avis sur Luzi :  » Il a joué à Monaco, puis Liverpool l’a acheté. Même s’il n’a pas beaucoup joué dans ces clubs-là, le fait qu’on l’y ait transféré veut dire qu’il avait des qualités. Monaco et Liverpool n’achètent pas un chat dans un sac. Je ne suis pas étonné qu’il ait souffert au premier tour avec Charleroi. Remplacer Laquait du jour au lendemain était une mission impossible. Quand vous devez prendre la place d’un monument qui est en plus le joueur préféré du public, vous devez avoir un fameux potentiel et un mental en béton. Je suis sûr que son premier tour assez moyen s’explique par cette difficulté. Depuis quelques semaines, il est à son meilleur niveau, comme s’il avait complètement bouclé sa période d’adaptation. Il a commencé à prendre des points pour Charleroi. Je le trouve très bon sur sa ligne. Par contre, je suis étonné qu’il ne soit pas plus fort dans ses sorties. Avec sa taille et sa carrure, il devrait régner dans tout le rectangle, mais c’est plutôt son point faible « .

Frans chien fou

Franky Frans a fait deux passages au Sporting entre 1994 et 1999. Il a d’abord dû faire accepter qu’il était un vrai gardien pour la D1 et pas un petit showman de troisième zone.  » Je suis arrivé en même temps que Georges Leekens, je venais de Mons (D3), personne ne me connaissait et j’avais deux personnages devant moi : Gulyas et Stojic. J’étais clairement le numéro 3 mais Leekens m’encourageait sans arrêt, il me disait que je serais un jour titulaire si j’acceptais de travailler comme un malade. J’ai ramé, je traversais tous les jours la moitié de la Belgique pour venir me faire tirer comme un lapin. Mais j’ai réussi. J’ai fait un détour par Beveren, puis quand je suis revenu au Sporting, j’étais le vrai numéro 1, devant Olivier Renard, Julien Begasse et Gulyas qui se remettait d’une grave opération. J’avais un rapport extraordinaire avec le public. Le lien avec les supporters de Charleroi, ça reste le meilleur souvenir de ma carrière. J’ai joué le match d’inauguration du stade rénové pour l’EURO 2000, contre Metz : quand je suis sorti à 20 minutes de la fin, il y avait plus de 25.000 supporters debout pour m’acclamer. Mon c£ur est toujours à Charleroi « .

Son avis sur Luzi :  » Il doit commencer par faire un effort vis-à-vis du public. On voit qu’il ne joue pas pour les supporters, qu’il ne cherche pas le contact, qu’il garde une certaine distance. Le public de Charleroi exige trois choses d’un gardien : qu’il soit proche des gens, qu’il accepte de travailler comme un chien à l’entraînement et qu’il soit complètement fou. Gulyas et moi avions ces trois qualités et cela nous a permis de faire banco. Luzi est trop timide : dans ses rapports avec les tribunes mais aussi dans son jeu. Il doit plus foncer. C’est aussi un cercle vicieux. S’il est mieux accepté par le public, il sera plus régulier. Et s’il est plus régulier, il sera définitivement adopté. Jusqu’à présent, j’ai surtout vu un garçon qui enchaînait le bon et le moins bon « .

Gulyas désarticulé

Le foot a tout donné à Istvan Gulyas avant de tout lui reprendre. Le Hongrois est toujours installé dans la région de Charleroi : c’est un homme complètement brisé, martyrisé par la douleur physique. Sa colonne vertébrale est en compote, il ne compte même plus ses hernies discales. Il gardera ses souffrances à vie : certains nerfs ont trop trinqué pour encore récupérer leur aspect d’origine. Entre 1992 et 1996, il a disputé plus de 60 matches dans le but des Zèbres. Une carrière carolo en deux temps, interrompue par une première opération au dos. Gulyas s’est accroché, a ramé mais est revenu dans l’équipe. Avant de sombrer à nouveau. Il est ensuite devenu préparateur des gardiens du Sporting. En échauffant Laquait avant un match amical à Auxerre, il a glissé, est tombé et a encore aggravé son mal. Nouvelle opération, nouveau calvaire. Le club n’a rien fait pour que ce soit reconnu comme un accident de travail, ce qui permettrait à Gulyas de toucher une rente convenable à vie. L’affaire est devant les tribunaux.

Baetslé enterré sur une finale

David Baetslé aurait pu écrire l’histoire du Sporting. En 1992-1993, il reçut une chance unique de marquer son territoire. Pour la finale de la Coupe de Belgique contre le Standard, Kerremans n’était pas encore totalement rétabli de son opération au genou et Gulyas se blessa lui aussi à quelques jours de l’affrontement avec le Standard. Si Baetslé avait sorti un match de fou et permis à Charleroi d’enlever le premier trophée de son histoire, sa carrière aurait peut-être décollé. Malheureusement pour lui, il est un peu passé à côté de sa finale.  » Ce match a été le tournant de ma carrière. Si le Sporting avait gagné la Coupe, je suis sûr que j’aurais fait une vraie carrière en D1. Au lieu de cela, on n’a pas prolongé mon contrat là-bas, on ne m’a même pas remercié pour les dépannages, on m’a simplement dit que je pouvais partir. Je n’avais pas de manager, je me suis retrouvé en D3 à La Louvière et on m’a oublié. C’est un regret. Une autre chose me rend un peu amer : je n’ai jamais eu de soutien moral alors que c’est primordial pour un gardien. C’est un manque dans ce métier. On ne se rend pas assez compte du poids que doivent porter les gardiens de but. Si leur équipe gagne, ils sont souvent les super héros ; si elle perd, on les enterre. En tout cas, je reste fier d’être passé par Charleroi et de pouvoir dire qu’il n’y a pas eu trois gardiens de la Province de Luxembourg qui ont joué en D1. J’en fais partie « .

Mrmic clôture sur une dette

Le Croate Marjan Mrmic est sans doute un des gardiens les plus doués à avoir défendu le but de Charleroi. Mais il n’a pas fait de vieux os chez nous. Il était arrivé en 1999-2000, réussit directement de très bons matches puis fila à l’anglaise, invoquant le non-respect par le Sporting de certaines clauses financières de son contrat. Il se réfugia dans son pays et attaqua le club en justice. Il réclamait 600.000 euros mais fut condamné à en verser 500.000 à Charleroi. Au Mambourg, on n’a jamais vu la couleur de cet argent car personne ne pouvait obliger Mrmic à casquer depuis sa retraite croate. Triste fin de carrière pour ce joueur, alors âgé de 34 ans.

Lecomte pressé par les tests

Jean-François Lecomte était numéro 2 derrière Mrmic en 1999-2000. Après le départ du Croate, il fut catapulté dans l’équipe avec, directement, une grosse pression sur les épaules.  » J’étais numéro 1 mais je savais que j’étais en sursis parce que Charleroi a directement multiplié les tests. Pour un gardien, c’est impossible de faire des prouesses si on voit défiler des concurrents potentiels. Chaque fois que je voyais arriver un étranger à l’entraînement, je savais qu’on n’allait pas lui offrir un contrat pour le mettre sur le banc. Je me suis quand même accroché, et quand Istvan Dudas a signé, je suis encore resté un moment dans l’équipe. La saison suivante, Olivier Renard est venu quand Dudas s’est blessé. Et nous nous sommes finalement retrouvés à trois gardiens confirmés pour deux places. C’était difficile psychologiquement « .

Son avis sur Luzi :  » On ne lui a pas laissé le temps de grandir, de s’adapter au Sporting. Après quelques moins bons matches, on a vite évoqué l’arrivée d’un autre gardien. C’est un des malaises du football actuel : un nouveau joueur doit être performant tout de suite, on ne lui donne pas le droit à l’erreur. C’est déjà difficile à vivre pour un joueur de champ, mais encore plus pour un gardien qui a besoin de toute sa lucidité et d’énormément de sérénité pour jouer à son meilleur niveau. Quand on a parlé de Proto à Charleroi, j’ai repensé à ce que j’avais vécu dans ce club. Je me suis vu dans la peau de Luzi. Qu’on n’oublie pas qu’il est arrivé alors que le championnat était déjà commencé. Il avait fait la préparation ailleurs mais on exigeait de lui qu’il soit directement au niveau de Laquait. C’était impossible « .

Dudas barré par un monstre

Istvan Dudas a disputé 74 matches pour Charleroi entre 1999 et 2004. Il doit avoir été très bon au moins une soixantaine de fois. Mais il a payé au prix fort une des réalités du foot moderne : le joueur blessé est vite remplacé et n’a aucune garantie de retrouver son poste après son retour. Alors qu’il était apprécié de tous (dirigeants, entraîneurs, supporters), Dudas n’est plus jamais revenu dans le coup suite à sa blessure : Laquait avait été embrigadé pour le remplacer et n’a plus quitté l’équipe.

Godart poursuivi par le syndrome du Staaien

Wilfried Godart, qui est resté à Charleroi de 2001 à 2003 (17 matches), ne s’y est pas imposé et n’en veut à personne.  » J’ai eu ma chance, je ne l’ai pas saisie, je suis seul responsable. J’étais à l’origine deuxième gardien derrière Dudas mais on m’a plusieurs fois aligné vu qu’il était assez régulièrement blessé. Il aurait fallu que je fasse de très bons débuts pour qu’on me considère comme un titulaire en puissance. Mais j’ai raté plusieurs matches à ce moment-là, dont un à Saint-Trond. Ce jour-là, le Sporting a perdu et c’était pour ma pomme. Il y a eu un centre apparemment anodin de Danny Boffin, je me suis avancé mais il y avait beaucoup de vent et le ballon est entré dans le goal. Tout le monde en a rigolé et j’ai porté ce but comme une croix pendant tout le reste de mon séjour à Charleroi. La pression a aussi joué un rôle. La nouvelle direction avait des ambitions énormes, nous partions au vert chaque semaine, il fallait que les résultats suivent. Mais ils ne suivaient pas et le club vivait mal. Ce n’étaient pas les conditions idéales pour un gardien, évidemment « .

Renard et la double fracture

Olivier Renard a un point commun avec Jonathan Bourdon et Michaël Cordier : Charleroi les a formés puis ne leur a plus fait confiance et ils ont dû partir pour prouver leur niveau ailleurs. Renard y a passé 10 ans de son écolage, Bourdon 11 ans, Cordier 5 ans. L’actuel titulaire du Standard est resté de 1996 à 1999 dans le noyau A des Zèbres mais n’a joué que 5 matches. Il en a tiré ses conclusions et est parti à l’Udinese, où il est devenu un réserviste full time. Il est revenu en dépannage à Charleroi en octobre 2000, jusqu’en mai 2001 : seulement 8 rencontres jouées. En cause : une fracture à la main survenue lors de son premier entraînement. Le staff médical n’a pas vu la cassure, Renard a quand même joué, son problème physique s’est évidemment aggravé, puis les médecins de l’Udinese ont hurlé quand ils l’ont revu en Italie.

par pierre danvoye – PHOTOS REPORTERS

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