Ouvrir les yeux

Pourquoi chercher ailleurs ce qu’on a sous la main ?

En Belgique, on aime faire marcher le commerce. Les managers ont le beau rôle. Ils sont écoutés et, souvent, parviennent à placer leurs joueurs. Comme on n’a pas les moyens de se payer de grosses vedettes, on engage beaucoup de gars moyens en espérant que, dans le lot, on en trouvera un bon. On est souvent frileux à l’heure de lancer un joueur du cru, mais pas toujours. Trois exemples :

Le cas de Ouali à Mouscron :  » Merci à la prof’ de maths « 

Huit joueurs achetés durant le mercato et une machine qui tarde à démarrer. Jusqu’à ce qu’on découvre le buteur que l’on cherchait depuis trois mois dans l’équipe Espoirs. IdirOuali a aidé EnzoScifo à remporter ses deux premières victoires en marquant lors de ses deux premières titularisations !

Né à Roubaix de parents algériens (son père était venu en France pour travailler dans le bâtiment), Idir est arrivé au Futurosport durant l’été 2005 :  » En fait, c’est ma prof’ de maths – une Belge – qui m’a aiguillé vers votre pays. Elle avait remarqué que j’aimais beaucoup le football et m’a signalé que, de l’autre côté de la frontière, on avait créé une école des sports où j’avais toutes les chances de m’épanouir. Les essais furent convaincants car j’ai été retenu pour évoluer avec les -19 ans, première année. C’est là que j’ai découvert la compétition. A Roubaix, le football était davantage une occasion de se retrouver entre copains. Victoire ou défaite, cela n’avait guère d’importance « .

Idir n’a jamais attiré l’attention des centres de formation français, style Lille ou Lens :  » A 13 ans, j’avais toutefois été repéré par Wasquehal, au même titre que deux équipiers. Mais comme je n’ai pas disputé le match retour face à ce club de la banlieue lilloise, qui joua jadis en Ligue 2, je n’ai pas été retenu, au contraire de mes deux compagnons. C’est la seule occasion qui s’est présentée à moi dans l’Hexagone « .

Mouscron l’a donc formé, pendant deux ans, dans son école de jeunes. En juillet 2007, MarcBrys l’invita à se joindre au noyau A pour le stage de Spa avec les pros.  » Je m’étais bercé d’illusions : j’espérais déjà jouer en D1, mais les jambes ne suivaient pas. Et comme le noyau était trop important, Brys a préféré me renvoyer dans le noyau B pour m’aguerrir. Moralement, j’ai vécu une période très difficile. J’ai même accepté, pendant six mois, un job dans un fast-food géré par un cousin. Sans le soutien de GeertBroeckaert et d’ EddyCallaert (désormais coach des Réserves), je me serais sans doute découragé. La nouvelle règle, qui réduit le nombre d’étrangers à quatre chez les Espoirs, ne m’avantageait pas. J’étais souvent laissé de côté, même en Réserve. Ma situation sera différente la saison prochaine, puisque j’aurai accompli mes trois années de formation en Belgique et je serai assimilé à un joueur belge « .

Depuis le début 2008, Idir a retrouvé toutes ses sensations. En Réserve, il marquait comme il respirait (il fut notamment l’auteur de deux doublés). Qu’est-ce qui a provoqué le déclic ?  » Sans doute la décision de l’Excel, de ne plus faire descendre les Pros en Réserve. J’ai retrouvé du temps de jeu, et par voie de conséquence, la confiance « .

Cet état de grâce a incité Scifo – sans doute conseillé par Broeckaert – à tenter un coup de poker face à Bruges. L’Excel courait derrière un succès depuis le 27 octobre et ce fut un coup de maître : Ouali a directement ouvert la marque.  » Je ne me suis pas posé de questions « . Sa vitesse et son sens du but ont impressionné :  » Cela correspond à mon style de jeu. J’aime chercher la profondeur et effectuer beaucoup d’appels « . Rebelote contre Charleroi, grâce à une tête piquée un peu chanceuse. Il n’en fallait pas plus pour qu’Idir signe un premier contrat pro qui le lie à l’Excel jusqu’en juin 2010.  » Broeckaert, désormais entraîneur adjoint, est sans doute l’homme qui me connaît le mieux, mais savoir qu’un Scifo a également décelé des qualités en moi est une énorme source de motivation. Il me demande d’encore accélérer le jeu et de réfléchir à ce que je vais faire avant de recevoir le ballon. Broeckaert, lui, s’efforce d’améliorer mon jeu sans ballon, ainsi que mon repositionnement en perte de balle « .

Le cas de Goreux au Standard :  » Un jour, je retrouverai mes racines « 

Au Standard, on a revu sa politique et cela porte ses fruits. Jadis, on parlait de la gare de transit de Sclessin. Beaucoup de jeunes joueurs, lassés d’attendre une chance, sont partis chercher leur bonheur ailleurs. Jusqu’à ce que MarouaneFellaini et AxelWitsel ouvrent la voie. Récemment, c’est RéginalGoreux qui a reçu sa chance. Il a libéré les Rouches en marquant le but de la qualification en Coupe de Belgique face au Cercle Bruges.

Réginal, on l’a découvert en août 2007 lorsque JeanFrançoisdeSart l’a sélectionné pour un match amical des Espoirs, à Courtrai, contre la Suisse. GuillaumeGillet et SeppDeRoover ayant dépassé la limite d’âge, nos -21 ans n’avaient plus vraiment d’arrière droit. Goreux, qui n’avait pas encore joué en D1 à l’époque, semblait un peu trop jeune et inexpérimenté, mais de Sart n’avait pas trop le choix.

Le grand public, lui, a découvert Réginal lors du match retour de Coupe de Belgique contre le Cercle Bruges. En marquant un but digne de Marco van Basten à cinq minutes de la fin, il a libéré tout un stade et ouvert la voie d’une qualification bien compromise à l’issue du match aller, où il avait disputé ses premières minutes officielles en équipe Première.

 » Ce but a probablement changé l’opinion que les gens avaient de moi « , réalise-t-il.  » Auparavant, ils étaient sceptiques à mon égard. Le staff technique s’interrogeait aussi sur ce qu’il pouvait réellement attendre de moi. Un peu plus tôt, lors d’un match contre La Gantoise, Marcos était suspendu. On se demandait qui l’on allait pouvoir aligner à l’arrière droit. MichelPreud’homme avait opté pour Fred. Si le dilemme s’était posé après le match contre le Cercle, je pense que son choix aurait été différent « .

 » Pour mon épouse et moi, ce but a aussi changé beaucoup de choses « , affirme RenéGoreux, son père adoptif.  » Ce soir-là, je ne m’étais exceptionnellement pas rendu au stade. J’ai suivi le match à la télévision. Lorsque Réginal a marqué, les voisins se sont mis à klaxonner dans la rue. Tous les téléphones ont chauffé : le fixe, mon portable, celui de mon épouse. Lorsque je me suis rendu au boulot le lendemain, tout le monde m’a félicité. Dans certaines circonstances, cela en devenait même gênant. Un jour, lors du décès d’un proche, je m’étais rendu à la morgue et j’avais l’impression que les gens s’intéressaient plus à moi qu’au défunt. Mon épouse met désormais deux heures de plus pour faire ses courses : elle est interpellée à chaque coin de rue. Je n’étais pas, au départ, un grand sportif dans l’âme, et je n’imaginais pas que le football avait un tel impact auprès des gens « .

Réginal (un prénom haïtien, que certains ont voulu belgiciser en y ajoutant un d) est né à Saint-Michel, en Haïti, le jour de la Saint-Sylvestre 1987. Il est arrivé en Belgique à deux ans et demi.

 » Le 17 juillet 1990 « , se souvient René.  » Mon épouse et moi, ne lui avons jamais rien caché. Nous avons une fille naturelle, Sophie aujourd’hui âgée de 27 ans, et nous aurions voulu lui adjoindre un petit frère. Malheureusement, le médecin nous a annoncé qu’il nous serait très difficile d’avoir un deuxième enfant. Nous nous sommes alors tournés vers l’adoption. En Belgique, notre demande fut refusée parce que nous étions déjà parents. Nous nous sommes alors tournés vers l’adoption internationale. Nous n’avions pas de préférence pour un pays particulier, c’est un hasard si nous avons adopté un enfant de Haïti. Tout a été très vite « .

Réginal a donc été éduqué à Berloz, dans la Hesbaye liégeoise.  » Il a toujours adoré le football « , poursuit René.  » A cinq ans et demi, il m’a demandé de l’inscrire dans un club. Je l’ai donc affilié à Berloz, avec lequel il a disputé, deux ans plus tard, un tournoi de jeunes au Standard. Il a atteint la finale et a lui-même inscrit une petite trentaine de buts. Il n’en fallait pas plus pour que les Rouches s’intéressent à lui. J’étais hésitant. Je trouvais qu’à sept ans et demi, il était encore fort jeune pour partir là-bas. J’ai demandé conseil au papa de PascalRenier, qui habite à quelques pas de notre domicile. Il m’a convaincu : – Aprendre, à100 %, m’a-t-il dit. Réginalserabienformé, bienencadré, etsicelaneluiplaîtpas, illuiseratoujoursloisibledefairemarchearrièreaprèsunan « .

Voilà donc Réginal au Standard, et sa mère adoptive, économe dans une institution scolaire, l’IPES de Waremme, convertie en chauffeur de taxi.  » Réginal était encore scolarisé à Berloz « , explique René.  » Lorsqu’il a eu l’âge de commencer le foot études, il a dû s’inscrire dans l’une des quatre écoles liégeoises qui participaient au programme. Comme je travaille sur Liège, j’ai pris le relais pour le conduire : on partait à 7 h 30, et après ma journée de travail, je patientais pour aller le rechercher vers 20 h 30. C’est vrai qu’il a été bien encadré. Sportivement et médicalement. Lorsqu’il s’est fracturé le tibia, il y a deux ans, on n’a dû s’occuper de rien. Le staff du Dr Popovic l’a très bien soigné « .

Une fracture du tibia, subie lors d’un match de -19 ans à Anderlecht, qui a empêché Réginal de suivre MarouaneFellaini, AxelWitsel et YanisPapassantaris lorsque ceux-ci ont été inclus au noyau A.

Agé de 20 ans tout juste, Réginal a le même âge que SébastienPocognoli, JonathanLegear ou KevinMirallas.  » On a joué ensemble « , confirme-t-il.

Pourquoi est-il resté au Standard alors que ses copains sont partis ? Réginal :  » Franchement, je n’en sais rien. C’est sans doute le destin qui l’a voulu ainsi. En tout cas, je dois beaucoup à tous les gens qui m’ont formé au foot études et à l’Académie, à commencer par ChristopheDessy que j’ai été très heureux de retrouver dimanche passé, lors de la visite de Mons à Sclessin « .

TomislavIvic a fait de Réginal – au départ attaquant ou médian offensif – un flanc droit.  » Arrière droit ou ailier droit, je suis à l’aise aux deux positions « , dit celui qui est aujourd’hui le plus ancien Standardman du noyau 1, puisqu’il a été affiliée en 1994.

Réginal aimerait, un jour, retourner en Haïti pour retrouver ses racines :  » Mais je ne me sens pas encore prêt pour cela. Ce sera pour plus tard « .

Le cas de Benteke à Genk :  » Je buvais beaucoup de lait « 

A Genk, la politique veut en revanche que l’on n’achète pas de joueurs ailleurs si on possède un jeune prometteur. Néanmoins, lorsqu’on a été confronté à des départs et des blessures l’été dernier, on s’est tourné vers le marché croate ( GoranLjubojevic) et israélien ( ElyanivBarda et Itzhaki). Il est vrai que le solide ChristianBenteke (international -17 ans) avait sans doute les épaules encore trop frêles pour supporter tout le poids de l’attaque.

Christian a été découvert lors du Championnat d’Europe des -17 ans, organisé en Belgique en mai 2007. Avec EdenHazard, il était la principale figure de cette formation qui allait se qualifier pour le Championnat du Monde en atteignant la demi-finale, perdue aux tirs au but face à l’Espagne d’un certain BojanKrkic (Barcelone). Intégré dans le noyau A de Genk cette saison, il a joué ses premières minutes en D1 lors du dernier match d’ HugoBroos, face à Saint-Trond. Une semaine plus tard, RonnyVanGeneugden lui offrait sa première titularisation lors du déplacement à Anderlecht.

Né à Kinshasa, il a émigré en Belgique très jeune et a grandi dans le quartier de Droixhe, qui n’a pas très bonne réputation.  » J’avais deux ans lorsque mes parents ont décidé de rejoindre une partie de la famille qui s’était déjà installée à Liège « , se souvient-il.  » Je ne vivais pas à Droixhe, mais tout près et j’allais y rejoindre mes copains pour y jouer au foot. Marocains, Turcs, Congolais : toutes les nationalités s’y côtoyaient. C’est là que j’ai fait la connaissance de KismetEris, qui était éducateur, pas encore manager. Il est devenu comme un grand frère pour moi. Il a été me présenter dans plusieurs clubs : MVV Maastricht, Genk, Standard… Genk n’a pas voulu de moi, à l’époque, car j’étais affilié à Pierreuse, un petit club de 4e Provinciale. C’est ainsi que j’ai abouti au Standard. J’y suis resté jusqu’à la fameuse affaire du contrat. Le Standard me proposait quatre ans, mais j’avais des difficultés scolaires à cause d’un régime d’entraînement trop chargé. Genk ne me proposait que deux ans, mais m’offrait la possibilité de sécher certains entraînements pour suivre normalement les cours à l’école. Beaucoup de gens pensent que je suis parti pour l’argent, c’est faux. Les copains m’avaient mis en garde : – Attention, turisquesdeteperdredansleLimbourg !AuStandard, tuétaisdéjàunepetitevedette, alorsquebas, personneneteconnaîtEnoutre, tunemaîtrisespaslenéerlandais ! Je me suis, au contraire, épanoui. J’ai pris exemple sur mon pote KevinKis. Wallon au départ, il est devenu parfait bilingue. J’en suis encore loin, mais je commence à comprendre les rudiments de la langue de Vondel « .

Aujourd’hui encore, Christian poursuit des études de comptabilité. Il lui reste une année après celle-ci et compte bien aller au bout. Raison pour laquelle il n’a pas encore signé de contrat professionnel.

Christian est déjà doté d’un beau gabarit (1,91m pour 83 kg).  » J’ai toujours été plus grand que mes compagnons du même âge. Certains m’ont dit que c’était parce que je buvais beaucoup de lait « . ( ilrit). Vu sa stature, il affectionne logiquement un rôle de pivot. Il excelle aussi, forcément, dans le jeu de tête : il impose sa puissance dans les mêlées.  » Je dois encore améliorer mon démarrage et ma vitesse de réaction, mais c’est sans doute inhérent à ma morphologie « .

par daniel devos

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