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Eupen: quel avenir sans le Qatar?

Vendredi, Eupen reçoit Anderlecht, dans un match pour le maintien. Aucun des protagonistes ne s’y attendait. En plus, le robinet des talents africains issus d’Aspire est fermé et Eupen doit chercher un autre modèle. Son projet en D1A est-il en péril ?

Vendredi soir, le Kehrweg accueillera plus de monde que d’habitude, grâce au mythe que représente toujours Anderlecht. Avant le coup d’envoi, le nouvel hymne du club, une oeuvre de Mike Thisen, de Team Belgium Featuring, va mettre de l’ambiance dans l’assistance. C’est l’une des seules touches positives car cette saison, il n’y a pas encore eu de spectacle au Kehrweg. Contrairement à son habitude, l’équipe locale a gagné sept de ses neuf points en déplacement.

Les supporters ne se contentent pas d’un nouvel hymne, ils veulent aussi des prestations et des résultats. Jusqu’à présent, ils sont restés sur leur faim. Le spectacle offert ne va pas permettre au club d’améliorer son assistance moyenne actuelle de 2.538 personnes. Certes, il n’a pas encore reçu Anderlecht, le Club ni surtout le Standard, qui permet toujours à l’AS de réaliser son meilleur chiffre. Il est en tout cas loin de son record de 3.023 spectateurs par match, établi lors de sa deuxième saison parmi l’élite, en 2017-2018.

Après deux mois de championnat, l’équipe est toujours en chantier. Le club a effectué plus de 35 transferts l’été dernier, dont près de 20 entrants. Christoph Henkel s’est occupé de toutes ces transactions avec Andreas Bleicher. Membre du conseil d’administration du club, celui-ci est une des personnes à l’origine de la reprise du club en 2012.

Henkel, qui travaillait dans les catégories d’âge du FC Cologne jusqu’alors, a été embauché au poste de directeur général mais est aussi devenu directeur sportif. Son prédécesseur, Josep Colomer, a pris congé du club en septembre, pour des raisons d’ordre privé : en juillet, un grave accident de la route a provoqué la mort de son fils et a laissé sa femme gravement blessée.

 » Nous avons un noyau tout neuf « , raconte Henkel.  » Le souder requiert du temps, d’autant que l’entraîneur aussi est nouveau et qu’il est issu d’une autre compétition. Nous ne pouvions faire autrement, même si nous n’avons pas l’intention d’embaucher chaque année une telle masse de footballeurs.  » Eupen a plus de patience que la plupart des clubs dans la même situation.

FIN DU PROJET

Eupen va devoir changer de cap dans les années à venir. C’est pour ça qu’il a engagé un scout allemand expérimenté, Siggi Marti, qui a effectué ses débuts footballistiques à Cologne, où il a travaillé avec Henkel, avant de se placer au service du Werder Brême puis du FSV Mainz 05, où Eupen est allé le chercher.

La raison est simple : le projet Aspire Football Dreams, lancé en 2007, va être arrêté l’année prochaine. La décision a été prise il y a quatre ans déjà. Les derniers footballeurs recrutés en Afrique dans le cadre de ce projet se trouvent dans la dernière phase de leur formation à l’Aspire Academy du Sénégal. Ils auront 18 ans l’année prochaine, soit l’âge qui leur permet d’émigrer en Europe.

Eupen va donc enrôler ceux qui seront jugés dignes d’un contrat professionnel cet hiver et lors de la campagne estivale de transferts. Henkel s’attend à l’arrivée de trois ou quatre joueurs au total. Ensuite, ce sera terminé et l’AS Eupen devra se mettre en quête de talents,  » même si des joueurs continueront à venir du Qatar en Belgique. Le volet africain est le seul à être clôturé. L’académie de Doha continue à fonctionner.  »

C’est une étape importante dans l’histoire récente des Pandas. Si les Qataris se sont intéressés aux Cantons de l’Est en juin 2012, c’était pour y lancer les talents recrutés chaque année en Afrique et en Asie puis formés par leurs académies de Doha et du Sénégal. Le projet a été mis en place par Bleicher et Colomer en avril 2007 : chaque année, des milliers de talents ont été visionnés dans 17 pays, dont 12 en Afrique.

Les 20 meilleurs de chaque levée ont ensuite bénéficié d’une formation de cinq ans au Qatar, études comprises. Les deux hommes se sont ensuite demandé que faire des joueurs qui avaient achevé leurs études : fallait-il les laisser partir gratuitement ou récupérer au moins une partie des frais en les envoyant mûrir dans un club professionnel européen ? Ils ont choisi la seconde option.

Ils ont jeté leur dévolu sur la Belgique parce qu’elle n’impose pas de limite au nombre de joueurs hors-UE et que ceux-ci peuvent obtenir un passeport belge après trois ans. En plus, le salaire minimum des joueurs non-européens est nettement moins élevé qu’ailleurs : en 2012, il était de 77.000 euros par an alors qu’aux Pays-Bas, par exemple, un étranger doit gagner 50% de plus que la moyenne, ce qui correspondait environ à 200.000 euros par an il y a sept ans.

RETRAIT PROGRESSIF

C’est ainsi qu’Aspire est arrivé sur la piste d’Eupen, sur un tuyau de Luciano D’Onofrio. Le bourgmestre était alors confronté à un club de division deux au bord de la faillite alors que les installations étaient neuves. Les habitants de la ville frontalière ont dû se faire à l’arrivée de jeunes Africains, qui ont été installés au centre de la cité.

Colomer a directement exposé sa vision du noyau idéal : il devait comporter cinq des meilleurs Qataris, six jeunes talents africains et autant de footballeurs belges ou européens chevronnés et disposés à épauler les jeunes. En échange d’un bon contrat, ils mettaient leurs intérêts personnels de côté pour servir la philosophie du club.

Durant une des premières années, on a dénombré sept Qataris, la plupart des U21 qui s’entraînaient et jouaient la majeure partie de la saison avec les équipes d’âge nationales. Actuellement, il n’y en a plus un seul. Le nombre de footballeurs issus de l’académie a également diminué au fil des années. Il y en avait 13 sur 24 lors de la promotion en D1A en 2016, soit plus de la moitié.

Un an plus tard, en début de saison, on en était à 14 sur 24, soit 58% mais cette saison, ils ne sont plus que 7 sur 32 professionnels. Quelques semaines après le début du championnat, le contrat de Souleymane Aw a été rompu et Eric Ocansey a rejoint Courtrai. Il ne reste donc plus que cinq joueurs formés à Doha dans le noyau, soit 16%.

L’arrière gauche Silas Gnaka, arrivé l’hiver de la première année, est la seule valeur sûre. Amani Lazare a été considéré comme un énorme talent dès la première saison mais il a piétiné et doit désormais se contenter d’occasions sporadiques. Sibiry Keita (18 ans), arrivé l’année passée, peut jouer de temps en temps. Ibrahim Diallo (23 ans), issu du Mali, est le plus ancien membre de l’académie du noyau : il est arrivé à Eupen en janvier 2015.

Sulayman Marreh, l'un des piliers des Pandas depuis la saison passée.
Sulayman Marreh, l’un des piliers des Pandas depuis la saison passée.© belgaimage

Henkel n’est pas surpris que le projet soit enterré.  » Aspire Football Dreams était extrêmement coûteux et requérait beaucoup d’énergie. Nous en avons beaucoup profité. Quand j’ai entamé mon mandat à Eupen, il y a sept ans, je ne savais pas quand Aspire mettrait un terme à ses activités mais je savais que le projet ne serait jamais rentable. Ça n’a d’ailleurs jamais été l’objectif. Nous voulions permettre à des joueurs d’effectuer leurs débuts en Europe, au niveau professionnel.  »

BILAN MITIGÉ

Est-il satisfait du résultat ? L’Allemand reste diplomate.  » Quelques joueurs sont parvenus à franchir le cap, comme Moussa Wague et Henry Onyekuru. Il auraient pu être plus nombreux comme ils auraient aussi pu échouer tous. Le fait est que 60% des footballeurs ayant achevé leur formation à Doha sont devenus internationaux, en équipes d’âge ou en équipe première. C’est brillant, selon moi. Maintenant, le club se trouve dans une nouvelle phase. Il doit se réorienter et se servir de la base solide acquise grâce au projet pour fonctionner comme un club normal.  »

Eupen mise maintenant sur des footballeurs comme Sulayman Marreh. Le médian défensif est un des piliers de l’équipe depuis la saison passée. Le jeune Gambien a connu plusieurs clubs espagnols mais ne s’est épanoui qu’à Eupen. Mais les Pandas ne s’aventurent-ils pas sur un marché que visent déjà des clubs d’un autre format, comme le Standard, Anderlecht, Genk et le Club Bruges ?

Henkel opine.  » Mais Marreh joue pour nous et pas pour le Club. Les joueurs n’ignorent pas ce que nous avons accompli ces dernières années. Ils savent que chez nous, ils auront l’opportunité de se développer sereinement dans un bon championnat européen. Les jeunes joueurs, même africains, ne pensent pas seulement à l’argent. Ils réfléchissent au trajet qui leur permettra de progresser. Nous leur offrons cette perspective.  »

Encore faut-il que l’AS Eupen trouve une certaine stabilité, de préférence en première division.  » Il n’est pas évident d’assurer la viabilité en D1A d’un club disposant d’une base aussi étroite qu’Eupen « , reconnaît Henkel.  » Il faut augmenter les rentrées. Si nous ne comptons que sur les bénéfices issus de cette région et sur notre assistance, nous ne pouvons pas nous maintenir en division un. Mais je ne serais pas resté si je ne croyais pas en nos chances de réussite.  »

Une des nouvelles sources de revenus vient du Qatar, plus précisément de Qatar Airways, qui a remplacé Aspire Football sur les maillots des joueurs depuis quelques mois. la compagnie aérienne a signé un contrat de durée indéterminée. Ce sponsoring indique que le Qatar n’a pas coupé ses liens avec le club eupenois.

C’est à la fois un symbole et un message clair : le Qatar n’a pas coupé les ailes du club mais celui-ci doit apprendre à voler tout seul.

La fin du projet en 2022 ?

L’arrêt d’Aspire Football Dreams alimente la rumeur selon laquelle le Qatar pourrait débrancher la prise d’Eupen à l’issue du Mondial 2022. Christoph Henkel affirme que ce n’est pas le cas.  » C’est très simple : en 2012, Qatar Sport a acquis la totalité des parts d’Eupen. Ça signifie qu’il a acheté le club, comme Marc Coucke a acheté Anderlecht. Demander quand le Qatar va vendre Eupen, c’est exactement la même chose que demander quand Coucke va vendre le Sporting. Quand on reprend toute une entreprise, on peut choisir en toute liberté le moment de la revendre. Nous voulons augmenter nos rentrées mais cela ne veut pas dire que nous ne percevrons plus rien du Qatar.  » Reste à voir ce qu’il adviendra réellement d’ici trois ans.

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