« Oublier et pardonner »

Après en avoir bavé l’an dernier au Club, Jacky tente de se refaire une santé dans un environnement bien moins médiatique.

Coach de Lokeren depuis fin octobre, Jacky Mathijssen (46 ans) reçoit ce week-end le Club Bruges qu’il a quitté l’été dernier après deux ans,… alors qu’il y avait signé pour trois saisons. Entretien avec un homme toujours meurtri.

Certitude n°1 :  » Lokeren souffrira encore longtemps « 

Lokeren rame dans le fond du classement : ça va encore durer longtemps ?

Jacky Mathijssen (catégorique) : Oui ! La situation est très délicate. Si ça n’avait pas été le cas, je ne serais pas ici, on ne m’aurait pas embauché. Et je sais que les prochaines semaines seront encore difficiles. D’abord parce qu’il y a plein de blessés : presque la moitié de l’équipe type théorique. Il me manque Copa Boubacar, Hassan El Mouataz, Mario Carevic, Nill De Pauw, Tiko. C’est énorme. Ensuite parce que notre calendrier est infernal : Club Bruges, Saint-Trond, Gand, Mouscron, encore Bruges pour la Coupe, Germinal Beerschot, Standard. Bref, presque tous les clubs en forme du moment. Mais bon, quelque part, c’est peut-être un avantage de les rencontrer quand nous sommes déforcés puis d’être à nouveau au complet pour les matches plus à notre portée. Mon but est de prendre quelques points dans les semaines qui arrivent et de construire quelque chose qui doit nous permettre d’être efficaces à partir du mois de janvier. Et dans les playoffs II, tout sera possible vu qu’on remet les compteurs à zéro.

Certitude n°2 :  » Encore plus dangereux qu’à Charleroi « 

C’est la première fois de votre carrière d’entraîneur que vous vous battez pour ne pas chuter en D2 : ça fait quoi ?

Je ne peux pas me plaindre vu que je connaissais les données du problème quand j’ai signé. Mais j’ai déjà connu une situation plus préoccupante, plus dangereuse : quand Charleroi m’a appelé à un mois de la fin du championnat alors que c’était très, très chaud.

Mentalement, c’est difficile ?

Non. Je dois rester serein pour donner à Lokeren une chance de s’en sortir. Je ne demande pas à tout le monde de rester très calme car c’est impossible, mais simplement de rester calme. Moi, je sais à quoi m’attendre. Je sais que nous allons entrer dans une période encore plus difficile que la première partie de la saison. Tu peux toujours espérer que tout change du jour au lendemain quand un nouvel entraîneur débarque, mais moi je n’y crois pas. Vu le classement, les blessures et le programme, ce serait illogique de se faire des illusions à court terme.

Certitude n°3 :  » Bruges reste une cicatrice « 

Comment vit-on quand on passe d’un club qui visait des trophées à un autre qui n’a rien à voir au niveau du standing, de la qualité du noyau, des installations, de l’enthousiasme, du nombre de spectateurs, etc ?

C’est clair que Lokeren et Bruges, ce n’est plus la même chose. Je compare Lokeren à deux autres clubs où j’ai travaillé : Saint-Trond et Charleroi.

Vous ne pensez plus à Bruges ?

Non, la page est tournée, je n’ai plus en permanence Bruges en tête. Quand j’ai quitté le Club, j’ai dit que je voulais prendre le temps de me reposer, de beaucoup réfléchir. J’ai prévenu que pendant plusieurs mois, aucun club ne devait me contacter. Il fallait d’abord que je me sente capable de reprendre le boulot. Lokeren s’est pointé juste au moment où je recommençais à me sentir assez fort. Si j’avais reçu l’offre un mois plus tôt, je ne pense pas que je l’aurais acceptée. Je n’étais pas prêt pendant l’été quand Timisoara m’a proposé un contrat faramineux. En général, quand un entraîneur reçoit une offre pareille, il la prend et il réfléchit après. Moi, je savais que je ne devais pas accepter. Ça aurait déjà été compliqué de me retremper directement dans le bain en Belgique, et à l’étranger, c’est encore deux ou trois fois plus difficile.

Vous avez beaucoup réfléchi après votre départ de Bruges : vos conclusions ?

Ma première conclusion, c’est que je dois oublier – ou en tout cas essayer d’oublier – tout ce qui m’est arrivé là-bas. Et pardonner. Aussi filtrer le mieux possible tout ce que j’y ai vécu en espérant que l’expérience me servira dans le futur.

Vous y avez appris beaucoup ?

J’espère que dans le futur, il y aura des moments où je pourrai me dire : -Je n’ai pas tout à fait perdu mon temps à Bruges.

Il reste une cicatrice ?

Pfft… Quand tu as une cicatrice, c’est bon signe, ça veut dire que tu es guéri, non ? Mais bien sûr, il me restera toujours une trace. Sans plus. Si c’était plus grave, si la guérison n’était pas complète, je n’aurais pas accepté de travailler dans un autre club.

Certitude n°4 :  » Ma cote s’est écroulée « 

Vous avez connu une longue ascension sans temps mort : des bons résultats à Saint-Trond puis à Charleroi, ensuite le passage à Bruges. Aujourd’hui, vous n’avez pas l’impression de repartir à zéro, de redémarrer en bas de la côte ?

Il faut être correct : il y a deux ans, tout le monde ou presque me voulait, en Belgique. Au moins 10 clubs avaient envie que j’aille chez eux. J’étais moi-même surpris ! J’avais les cartes en mains, je pouvais décider de ma destination. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, je ne suis plus dans une position où j’ai l’occasion de dire non à un grand club. Point de vue réputation, il n’y a pas photo entre ce moment-là et maintenant.

Les meilleurs clubs belges voulaient vous engager ?

En attendant le moment où la place se serait libérée, j’aurais peut-être pu me retrouver au Standard ou à Anderlecht.

Vous trouvez logique que deux saisons à Bruges tuent tout le crédit que vous aviez accumulé en six ans dans deux autres clubs ?

Si on tient compte de ce qui s’est passé à Bruges, mais surtout de tout ce qu’on a dit et écrit, oui, c’est logique ! C’est comme ça qu’une cote s’écroule très vite.

Certitude n°5 :  » J’ai donné mon sang à la presse « 

On vous sent moins crispé qu’à Bruges.

Si tu le dis…

Vous ne le ressentez pas ?

A Bruges, il y a aussi eu une très longue période pendant laquelle je n’étais pas crispé parce que je n’avais pas de gros problèmes.

Puis ça a changé ?

Oui. A partir du moment où tu vois que tes idées ne vont pas pouvoir se réaliser, c’est logique que tout le monde remarque que tu n’es pas content. Tu commences à réagir à ta façon, tu n’es plus le même.

Vous n’avez pas trop protégé vos joueurs ? Quand ça allait mal, vous disiez toujours que ce n’était pas de leur faute !

Je ne vois rien de mal à cela. Les médias voulaient du sang : logique. J’en ai donné beaucoup : le mien. Jamais celui des joueurs ou d’autres personnes qui travaillaient avec moi. Je peux te dire que j’ai protégé beaucoup de monde à Bruges, et pas seulement les joueurs.

Cela s’est retourné contre vous, non ?

Il y a des moments où tu espères qu’on va t’aider. Quand ce n’est pas le cas, tu sais que tu vas avoir des problèmes. C’est peut-être comme ça dans les grands clubs. Quoique… Quand je vois comment un homme compétent et correct comme Ariel Jacobs a été protégé par beaucoup de personnes à Anderlecht dans des moments difficiles, je me dis que ce club a sans doute tiré des leçons du passé. Il est possible que Bruges fasse la même chose à l’avenir. Les dirigeants ont peut-être compris qu’ils devaient changer certaines choses dans leur approche avec leurs coaches.

Vous avez demandé du soutien à la direction ?

Je n’ai jamais rien réclamé, j’ai pris tous les problèmes sur moi. Et je reste très content de l’avoir fait, et content d’avoir pu travailler à Bruges, même si on a personnalisé facilement tous les problèmes du Club : c’était Jacky Mathijssen. Moi, je retiens que j’ai fait mon boulot jusqu’au dernier jour. Les gens de Bruges en sont conscients et reconnaissants, ils me l’ont dit en face à face. Ça fait plaisir, même si ça aurait été encore mieux d’entendre ça en public.

Votre image a fort souffert après la fameuse défaite contre le Standard, la première saison : vous aviez dit que Bruges venait de prouver qu’il avait tout pour jouer le titre alors que tout le monde avait vu l’inverse.

J’ai fait une erreur ce jour-là. J’aurais dû m’exprimer d’une autre façon. Ou peut-être carrément accepter, publiquement, que l’équipe ne tournait pas comme je le voulais. Evidemment, j’avais vu que le Standard était meilleur. J’avais vu aussi qu’une branche de notre arbre venait de se casser. Jusque-là, l’équipe avait montré un mental terrible, les joueurs se sentaient toujours supérieurs à l’adversaire et ça nous avait permis de gagner plusieurs matches. Contre le Standard, ça n’a plus marché et cette défaite a fait très mal.

Vous êtes comme Frankie Vercauteren, qui dit qu’il se moque complètement de son image ?

Certainement pas. Malheureusement, l’image qu’on donne de moi ne correspond pas à la réalité. Et ceux qui écrivent, ceux qui me donnent cette réputation négative, savent très bien qu’ils sont à côté de la plaque. Ça me fait mal. Et c’est pour cela que les interviews me demandent énormément d’énergie. Je dois souvent faire un travail sur moi-même pour me convaincre de les accepter. Si je pouvais supprimer une seule obligation de mon métier, ce serait le contact avec les médias.

Certitude n°6 :  » Je n’ai pas réussi à Bruges mais je ne suis pas coupable « 

Les joueurs de Bruges ont raison quand ils disent que leur bonne saison actuelle est aussi le fruit du travail avec Mathijssen ?

Je suis content quand j’entends des choses positives sur Bruges et moi, ça fait du bien. Surtout quand ça vient de joueurs comme Vadis Odjidja. J’ai fait de mon mieux pendant deux ans. Ai-je réussi ? Non. Suis-je coupable ? Non plus. L’année avant mon arrivée, le Club avait terminé sixième avec 51 points. Avec moi, on a terminé deux fois troisième, avec 67 puis 59 points. Pendant deux ans, on n’a jamais quitté les places européennes. Et pendant ce temps-là, j’ai transformé un des noyaux les plus âgés du pays en un des groupes les plus jeunes. Sans casse, alors qu’il y en a souvent quand on fait ce travail de rajeunissement. J’ai aussi été confronté au phénomène Standard : les deux saisons de grâce de ce club ont justement coïncidé avec mes deux années à Bruges. Et on a survécu au phénomène Cercle. La première saison, à Bruges, on parlait plus du Cercle que du Club. Même dans la maison, ce que je n’ai d’ailleurs pas compris.

Certaines personnes du Club sentaient une menace ?

Oui. Clairement. Certains devenaient nerveux face à la bonne saison du voisin.

Vous reconnaissez votre équipe dans le Club d’aujourd’hui ?

Non. Parce que beaucoup de choses ont changé. Certains joueurs savent aujourd’hui ce que c’est de jouer dans un grand club alors que ce n’était pas nécessairement le cas la saison dernière. Ils avaient besoin d’une année d’adaptation. Je pense à Nabil Dirar, à Joseph Akpala, à Ronald Vargas. Le deuxième tour de la saison dernière a aussi permis d’intégrer Mohamed Dahmane et Vadis Odjidja. Ce ne sont logiquement plus les mêmes joueurs aujourd’hui. Il y a aussi eu plusieurs blessures et le fait que Jonathan Blondel n’était plus vraiment footballeur, ce qu’il est redevenu entre-temps. Et je vois également qu’il y a eu quelques bons transferts cet été : Ivan Perisic, Dorge Kouemaha, Ryan Donk, Carl Hoefkens. Aujourd’hui, le coach peut laisser de temps en temps souffler des titulaires. Quand j’étais là-bas, si Wesley Sonck était indisponible, c’était presque une catastrophe. Je n’avais pas assez de moyens humains pour rencontrer les ambitions qu’on avait présentées mais j’ai quand même fini mon boulot sans dégâts : la troisième place, l’Europe et des joueurs qui ont pris beaucoup de maturité. Dans la réussite actuelle, je veux aussi souligner le travail d’Adrie Koster. Il a su bien mettre les pièces ensemble. Après une période hésitante, il a su allier la manière et les résultats. Il a aussi accepté de modifier son système après avoir vu que ça ne marchait pas avec trois attaquants : il est revenu à la tactique de la saison dernière, avec deux avants. Je dis cela de façon positive : c’est bien quand un coach accepte de changer ses principes.

Vous aurez des états d’âme particuliers avant le match Lokeren-Bruges ?

Ce sera très difficile. Notamment parce que je sais que je vais être fort sollicité par la presse. Moi, je n’ai plus envie d’aborder ce sujet-là.

Certitude n°7 :  » 3e avec Bruges, c’était plus beau que 5e avec Charleroi « 

Pourquoi êtes-vous le seul entraîneur qui a su travailler sereinement à Charleroi depuis dix ans ?

Il ne faut qu’une chose pour pouvoir travailler dans la sérénité : des résultats. J’en ai d’abord eu à Saint-Trond et c’est comme ça que j’ai eu le record de longévité des entraîneurs de ce club derrière Raymond Goethals. J’y ai battu le record du nombre de points dans le système de la victoire à trois points. A Charleroi aussi, j’ai fait fort en tenant trois ans et j’ai pris beaucoup de points. Tout est beaucoup plus simple pour un coach quand son équipe tourne bien.

Vous avez déjà pensé que vous pourriez vous battre avec Charleroi jusqu’à la fin du championnat pour le maintien ?

Oui. (Il rigole). C’est normal. Quand ton équipe est dans le fond du classement, tu regardes qui est juste au-dessus. Alors que quand tu es en tête, tu t’intéresses à celui qui te suit directement.

De quoi êtes-vous le plus fier ? De la troisième place avec Bruges ou de la cinquième avec Charleroi ?

Bonne question ! (Il réfléchit un long moment). Le challenge le plus compliqué a été de terminer troisième avec Bruges la saison dernière, vu tout ce qui s’est passé et tout ce qu’on a raconté. Je n’oublie pas non plus une quatrième place avec Saint-Trond.

Saint-Trond et Charleroi ne se sont jamais remis de votre départ, ils n’ont plus jamais fait les mêmes résultats.

Je le vois comme toi. C’est bizarre. Pourtant, je trouve que j’ai laissé ces clubs dans un bon état quand je suis parti.

Il y a des entraîneurs qui font des miracles avec des équipes moyennes mais ne parviennent pas à confirmer avec des clubs du top…

Si on estime que ce n’était pas un bon résultat de finir deux fois sur le podium avec le Bruges que j’avais à ma disposition, je ne peux rien faire.

Vous aviez un noyau capable de viser tout au plus la troisième place ? Le Standard et Anderlecht étaient vraiment au-dessus du lot ?

Ce n’est pas à moi de le dire. Beaucoup de gens ont fait le constat.

Vous aviez dit que ce serait un échec si vous quittiez Bruges sans avoir gagné au moins un trophée.

Oui, sur trois ans, la durée de mon contrat ! Pas sur deux. La nuance est peut-être importante. Mais bon, je n’ai rien gagné, donc je ne peux pas être content.

Par Pierre Danvoye – Photos: Vermeersch

J’espère que je pourrai me dire que je n’ai pas perdu mon temps à Bruges.

Il y a deux ans, tout le monde ou presque me voulait, en Belgique.

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