Où va le foot ukrainien ?

Shevchenko s’en va et Tymoshchuk prend de l’âge. Mais le championnat va bien, l’argent dégouline, les stades sont remplis…

Au moment où les supporters ukrainiens détrempés quittent la Donbass Arena de Donetsk, un des plus beaux stades d’Europe, Oleg Blokhin est remonté comme un coucou. A l’EURO, il y a les coaches en civil qui ne sortent jamais de leurs gonds. Pour le placide Laurent Blanc, c’est le costume cravate et des fautes de français qui font rire la presse de son pays. Pour Joachim Löw, la traditionnelle chemise blanche et des analyses chirurgicales. Blokhin, lui, fait dans la tenue style soviétique. Toujours en training, jaune et bleu. Et dans ce débriefing du match perdu contre la France, il est nerveux. Ses cibles : les supporters et les joueurs. Il reproche au public de ne pas avoir continué à soutenir l’équipe après le deuxième but des Bleus. Et, trahison suprême, de l’avoir même sifflée.

Sur Donetsk, l’orage fait un rappel ! L’entraîneur se met à gesticuler.  » Je ne comprends pas la réaction du public, ces gens ne sont pas corrects. Qu’ils prennent exemple sur les supporters de l’Irlande qui ont continué à chanter alors que leur pays se faisait atomiser par l’Espagne. Encourager ses joueurs quand ils sont bons, c’est normal. Les soutenir quand ils sont mauvais, ça me paraît logique. Nos supporters n’ont peut-être pas tout compris ? Ils n’ont pas remarqué que la France a une des meilleures équipes du monde et qu’elle fait partie des grands favoris ? Qu’ils s’en prennent à moi. Allez, si ça arrange tout le monde, on va dire que je suis le responsable de cette défaite. « 

Mais Blokhin poursuit par une pique à l’adresse de ses internationaux :  » Je ne comprends pas pourquoi ils ont arrêté de jouer après le deuxième but français.  » Et il signale que certains se sont probablement sentis trop beaux après la victoire face à la Suède :  » Il y en a qui se voyaient déjà en quarts de finale.  » L’équipe a quatre jours pour se regonfler et viser la qualif face à l’Angleterre. Mais l’ambiance est plombée. Pour beaucoup d’Ukrainiens, à tort ou à raison, on préfère penser au championnat.

Les assistances explosent et ça devrait continuer

La D1 ukrainienne compte 16 clubs : six ont un tout nouveau stade grâce à l’EURO. Et ce ne sont pas des emplâtres sur des jambes de bois ! Il y a des installations ultramodernes de 35 à 60.000 places à Lviv, Kharkiv, Donetsk et Kiev, mais aussi des bâtiments très réussis à Odessa et à Dniepropetrovsk. C’est comme ça qu’on a récompensé ces deux villes – qui n’ont finalement pas été retenues – pour leur participation à la candidature.

Des grands stades pour rien ? Sans doute pas.  » Il faudra attendre le début de la prochaine saison pour y voir plus clair, mais dès les inaugurations, les clubs qui y jouent ont subitement attiré beaucoup plus de monde « , explique un journaliste de Kharkiv. Dans son ancien stade, le Dynamo Kiev séduisait à peine plus de 8.000 supporters par match. Quand le nouveau -qui accueillera la finale – a ouvert, il a fait le plein lors des premiers matches et il est resté bien rempli jusqu’à la fin du championnat. On constate le même engouement à Donetsk, avec une moyenne comprise entre 30 et 40.000 spectateurs, une sérieuse augmentation. Et depuis que le stade du Metalist Kharkiv est terminé, ce club (qui s’essaie de s’accrocher derrière les deux grands) a près de 25.000 fidèles.

Aussi une forte croissance.  » Ce ne sont pas tellement les Ukrainiens moyens qui permettent de gonfler les assistances. Les salaires n’ont pas augmenté, donc beaucoup de supporters ne peuvent toujours pas se permettre d’aller voir leur équipe. C’est plutôt le monde des entreprises qui aide à mieux remplir les stades. Le confort était très sommaire avant les transformations pour l’EURO, aujourd’hui c’est parfait. Le foot est devenu un bon prétexte pour parler business, pour inviter des clients, pour se montrer aussi. On ne peut pas dire qu’il y ait simplement eu un effet Championnat d’Europe, on s’attend à ce que les nouveaux stades restent bien garnis dans le futur. « 

Budgets, salaires : l’Ukraine est une petite Russie

Le budget du Dynamo Kiev est supérieur à 50 millions : c’est plus qu’Anderlecht, qui espère arriver à ce chiffre quand il jouera dans un stade plus grand et plus luxueux. Celui du Shakhtar Donetsk passe les 100 millions, c’est dans les normes de Séville ou de l’Atlético Madrid par exemple. Et les plus petites équipes de la Premier-Liga tournent avec un minimum de 10 millions, soit deux fois mieux que nos moins bons clubs de D1. Ici, le niveau de vie du supporter lambda est catastrophique mais dans le foot, l’argent n’est pas un problème. A la tête du Shakhtar, il y a l’homme le plus riche du pays, un industriel habitué à la liste Forbes. Ce Rinat Achmetov est arrivé après l’assassinat, dans le stade même, de l’ancien président en 1995. Il a vite fait exploser le poste dépenses. A Kiev, le patron actuel ( Ihor Surkis, aussi un homme d’affaires qui pèse lourd) est le frère de l’ancien, qui avait été suspendu à vie par l’UEFA, dans les années 90, pour avoir tenté de corrompre un arbitre. Sa sanction a été annulée et il est aujourd’hui l’homme le plus puissant de la Fédération ukrainienne. On va se gêner…

Des fortunes et des casseroles, cela fait penser au foot du voisin russe. En Ukraine aussi, les clubs offrent des salaires déraisonnables.  » Il ne faut pas se demander pourquoi nous avons aussi peu de joueurs à l’étranger « , nous dit un reporter de Komsomolskaïa Pravda.  » Les footballeurs se sentent bien ici. Cela explique qu’il n’y ait que deux internationaux actuels dans un autre championnat. Andriy Voronin est au Dinamo Moscou et il y a évidemment Anatoliy Tymoshchuk au Bayern. Tous les autres n’ont pas besoin et pas l’envie de s’expatrier. Le meilleur exemple, c’est évidemment Andriy Shevchenko. C’est clair qu’il n’a plus le niveau de l’Italie ou de l’Angleterre depuis qu’il est rentré au pays, mais avec son aura, il aurait encore pu jouer dans un bon championnat européen, ou il aurait pu se remplir une dernière fois les poches dans un pays du Golfe. Il a préféré revenir au Dynamo. Il y gagne aussi bien sa vie qu’au Qatar ou à Dubaï. Et il est chez lui, c’est le héros de la nation…  » Aucun footballeur de D1 ukrainienne n’empoche moins de 5.000 euros par mois, la moyenne tourne autour de 15.000, et dans les deux grands clubs, plusieurs joueurs naviguent entre deux et trois millions.

Cet argent qui coule à flots permet d’attirer des footballeurs de toutes nationalités, qui ne viennent pas en Ukraine pour le cadre de vie – on confirme ! Par exemple, le Shakhtar avait dans son noyau 2011-2012 des joueurs de Croatie, de Tchéquie, d’Arménie, de Roumanie et huit Brésiliens. En plus d’un coach roumain, Mircea Lucescu, qui a connu le sommet européen (Inter et Galatasaray notamment). Ce club a déjà mis d’autres cracks sur son banc comme Bernd Schuster et Nevio Scala. A Kiev aussi, le Brésil est bien représenté et il y a encore la Croatie, la Macédoine, la Suisse, le Nigeria,… Entendu sur place :  » Tous ces gars-là, si tu ne leur donnes pas dès le départ l’impression que tu leur offriras la lune pour compenser les inconvénients pratiques du pays, ils ne se déplacent même pas pour négocier !  »

Le Shakhtar Donetsk vise le top européen

Shakhtar Plaza : un extraordinaire établissement 4 étoiles, face au stade. On ne se croit pas à la frontière russe, on oublie les campagnes effrayantes et les banlieues miteuses qu’on a traversées pour arriver ici. On s’imagine dans une grande capitale européenne. Le quartier, c’est un peu  » l’univers Shakhtar « . L’hôtel est à l’image du club, dans la démesure, dans le luxe, dans le  » rien n’est trop beau « . Sur la terrasse, un peloton de businessmen et de pin-ups. Au restaurant, du lourd aussi et notamment les équipes de TF1 et de  » journaux européens qui comptent « . Bixente Lizarazu et Robert Pirès, consultants, y ont leurs habitudes depuis le début du tournoi. A une vingtaine de kilomètres, on découvre le centre d’entraînement du Shakhtar, choisi par l’équipe de France : un complexe qui n’a rien à envier aux installations des géants européens. Un journaliste qui vit dans les pas du club :  » Le président a juré qu’il parviendrait au top de la Ligue des Champions. S’il n’y arrive pas, ce ne sera pas pour une question d’argent. Il dépense déjà sans compter et il peut encore mettre plus. Il dit que l’EURO est une bonne chose pour lui : il hérite d’un stade qui est un bijou, sur le compte de la communauté, et ce tournoi donne de la notoriété à la ville, donc à son club. Regarde les matches qui sont joués ici, ce n’est que du caviar : France – Angleterre, Ukraine – France, Angleterre – Ukraine, un quart, une demi-finale. Le monde entier parle de Donetsk, le patron aime ça ! »

L’Ukraine évoque de moins en moins la rivalité historique entre le Dynamo Kiev et Donetsk, qui a clairement pris l’ascendant : sept fois champion depuis 2002, les trophées des trois derniers titres sont dans une vitrine de la Donbass Arena, le Shakhtar vient encore de réussir le doublé, il a fini la saison avec le Joueur de l’Année (le Brésilien Willian, devenu international entre-temps) et le meilleur buteur ( Yevhen Seleznyov). Il y a aussi eu la victoire en Coupe de l’UEFA 2008-2009, et ici, on parle encore en souriant de la demi-finale gagné contre le Dynamo Kiev.

PAR PIERRE DANVOYE, EN UKRAINE

 » Plutôt que d’aller se remplir une dernière fois les poches dans le Golfe, Shevchenko est logiquement revenu au Dynamo. « 

Les petits de D1 ukrainienne ont deux fois le budget des moins bons clubs belges.

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