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Où sont passés les talents de la Youth League 2015 ?

Il y a cinq ans, une génération de futurs champions explosait aux yeux de l’Europe. Quelques années plus tard, que reste-t-il de cet Anderlecht en culotte courte ? Flash-back.

23 février 2015, sensation au stade Constant Vanden Stock. Les U19 du Sporting Anderlecht créent l’exploit en faisant chuter le FC Barcelone en huitième de finale de la Youth League (la Ligue des Champions des moins de 19 ans), grâce à un but d’ Aaron Leya Iseka à la 53e minute de jeu. La performance fait du bruit dans les médias belges, et l’équipe dirigée par Mohamed Ouahbi va même poursuivre son rêve quelques semaines plus tard. Cette fois, c’est Porto qui se fait ridiculiser en quart (5-0), avec trois pions encore pour Leya Iseka. Anderlecht dans le dernier carré, accompagné de l’AS Rome, Chelsea et du Shakhtar (contre qui ils s’inclineront sur le score de 1-3 en demi-finale), ça a de la gueule.

Il est clair que laisser partir des joueurs de ce potentiel, qui évoluent aujourd’hui à un bon, voire un très bon niveau, ce n’est pas idéal.  » Jean Kindermans

 » Lorsque l’on voit le groupe de cette année-là, avec Arsenal, Galatasaray et Dortmund, on ne donnait pas cher de notre peau « , se rappelle Mo Ouahbi.  » On perd d’entrée face à Galatasaray, et là on se dit que ça va être compliqué. Pourtant, nous avons réussi à sortir du groupe. Ensuite, on joue le Barça, puis Porto et enfin le Shakhtar. Ce sont tous des styles très différents, mais on est parvenus à conserver notre identité et à imposer notre style de jeu contre toutes ces équipes.  »

L’année suivante, le Sporting rééditera l’exploit, dans des circonstances pour le moins particulières. Battus en huitième de finales par le Dinamo Zagreb, les Mauves accèdent finalement au tour suivant sur tapis vert, suite à la disqualification du club croate, qui avait aligné un joueur non-qualifié. Même s’ils ont réussi à atteindre le dernier carré une deuxième fois de suite, la performance qui reste dans les mémoires est très clairement celle de la saison 2014-2015. Car outre le parcours, certaines individualités émergent côté anderlechtois. Aaron Leya Iseka, le petit frère de Michy Batshuayi, termine deuxième meilleur buteur de la compétition avec neuf réalisations, alors qu’ Andy Kawaya écrase la concurrence au classement des passeurs, avec neuf offrandes, soit quatre de plus que son dauphin.  » Il est clair que c’était une magnifique génération, mais il y en a souvent à Anderlecht. Ce qui a fait la différence, c’était le caractère des joueurs « , insiste Ouahbi.  » Les gars avaient du cran. Leya Iseka par exemple, il ne se laisse jamais marcher dessus. Samuel Bastien, c’est un vrai leader. Nathan de Medina aussi. Et il ne faut pas oublier que nous étions privés de Youri Tielemans, qui évoluait déjà en équipe première « .

Aucun joueur conservé

Parmi les principaux artisans de ce parcours, on retrouve aussi Dodi Lukebakio, Orel Mangala, Mile Svilar, ou encore Wout Faes. Si tous ces gros potentiels ont, par la suite, connu des trajectoires diverses (voir encadré), ils partagent tous un point commun : aucun d’entre eux ne porte encore les couleurs anderlechtoises à l’heure actuelle. Une déception, bien évidemment, au vu des attentes suscitées par leurs exploits.  » Il est clair que laisser partir des joueurs de ce potentiel, qui évoluent aujourd’hui à un bon, voire un très bon niveau, ce n’est pas idéal « , admet Jean Kindermans, directeur du centre de formation d’Anderlecht, à Neerpede.

Où sont passés les talents de la Youth League 2015 ?
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Lorsque l’on s’attarde sur les parcours des joueurs cités ci-dessus – qui sont, pour le moment, ceux qui ont le mieux réussi, on est loin d’un long fleuve tranquille. Andy Kawaya, meilleur passeur de la compétition à l’époque, évolue aujourd’hui au Cultural Leonesa, club de troisième division espagnole. Après des prêts à Marseille et Zulte Waregem, Leya Iseka défend quant à lui les couleurs de Toulouse, où il peine à se faire une place de titulaire, tandis que Mile Svilar n’a pas disputé la moindre minute en équipe première cette saison avec Benfica. Wout Faes et Nathan De Medina sont eux parvenus à faire leur trou, respectivement à Ostende et Mouscron, qui restent néanmoins des écuries d’un calibre inférieur à celui d’Anderlecht dans l’élite belge.

En revanche, Samuel Bastien s’est imposé comme un titulaire indiscutable du côté de Sclessin, Orel Mangala se développe plutôt bien à Stuttgart, et Dodi Lukebakio a parfaitement rebondi en Allemagne. L’ailier de 22 ans appartient désormais au Hertha Berlin où il brille cette saison, confirmant son passage plus qu’intéressant au Fortuna Düsseldorf la saison dernière. Il reste d’ailleurs le seul de ces joyaux à avoir véritablement reçu sa chance avec l’équipe première d’Anderlecht, où il a été aligné à 18 reprises lors de la saison suivant l’épopée de Youth League. Pour les autres pépites du noyaux, il n’y a eu que des miettes.

Le tournant Weiler

Et pourtant à l’époque, Besnik Hasi, entraîneur d’Anderlecht jusqu’à la fin de la saison 2015-2016, avait tenté de faire monter cette génération. Que ce soit Lukebakio, Leya Iseka, De Medina, ou même Kawaya et Bastien, tous ont reçu ne serait-ce qu’un petit peu de temps de jeu avec l’équipe première. Mais une fois l’arrivée de René Weiler actée en 2015-2016, plus rien.  » Lorsqu’il est arrivé, il n’a donné leur chance à aucun des jeunes. Il les a ensuite tous mis dehors rapidement, c’est aussi simple que ça. Il a cassé le rêve de tous ceux qui espéraient un jour réussir avec Anderlecht. C’était impossible d’y arriver à cause de lui « , confie Nathan de Medina, qui s’épanouit aujourd’hui du côté de Mouscron, après avoir quitté le Sporting lors de l’été 2017 ( voir encadré).  » Nous n’avons reçu aucune explication. Beaucoup ont essayé de lui parler, et j’en fais partie. Je lui ai demandé pourquoi je n’avais pas ma chance, et il m’a simplement répondu que c’était comme ça.  »

À l’époque, de Medina venait pourtant de décrocher son premier contrat pro à Anderlecht, suite à ses performances en Youth League, enchaînées par une bonne préparation avec l’équipe première.  » Je n’ai pas de regrets aujourd’hui, car j’ai donné tout ce que j’avais pour Anderlecht. Parfois, la vie ne dépend pas de toi. J’ai été victime d’injustices auxquelles je ne pouvais rien faire, donc je n’ai pas de raisons d’avoir des regrets « , ajoute le défenseur de l’Excel.  » Au final, le coach Weiler a fini champion l’année où il nous a mis dehors, donc je ne peux pas vraiment lui en vouloir. Il a pensé à lui, tout simplement. J’en veux surtout à Anderlecht qui ne l’a pas empêché de faire ça.  »

Quand je vois les montants qu’on a dépensé pour transférer des gars qui n’ont rien montré sur le terrain, je me demande quand même pourquoi on n’a pas laissé leur chance à ces jeunes.  » Nicolas Frutos

René Weiler a-t-il fait ce qu’il avait à faire ? C’est en tout cas ce qu’affirme l’ancien coach de Nathan de Medina et de ses équipiers.  » Il est arrivé pour gagner. Weiler devait gagner le titre. Il a donc choisi ses joueurs pour y arriver, et on ne lui a probablement même pas parlé des jeunes. J’aurais certainement fait pareil à sa place « , explique Mohamed Ouahbi, qui étale lui aussi sa déception vis-à-vis du club, qui a été incapable de tirer le maximum d’une génération au très riche potentiel :  » Je pense que, par exemple, Bastien et Lukebakio auraient pu réussir dans le noyau A, mais on a pas été assez patient pour leur laisser le temps de grandir. Leya Iseka était parti pour devenir le futur numéro 9 du club, mais il s’est fait les croisés. Dodi Lukebakio n’était malheureusement pas facile à gérer, pas un méchant gars, mais il fallait s’en occuper différemment. C’est une vraie formation de faire passer des jeunes en équipe première, et on n’a pas pris le temps « .

Où sont passés les talents de la Youth League 2015 ?

Un problème avant tout conjoncturel

Les raisons de l’échec de la génération 96-97 viendraient donc de plus haut et seraient plus le fruit de problèmes de politique au sein de la maison mauve que d’un coach en particuler.  » Je ne pense pas que ce soit la faute de Weiler ou d’un entraîneur en particulier « , insiste aussi Jean Kindermans.  » Les entraîneurs arrivent avec des ambitions claires, et, à Anderlecht, c’est souvent d’être champion. Si vous voulez atteindre un tel niveau de performances, les jeunes doivent être à la hauteur des attentes, et il est logique que certains ne jouent pas « , défend-il.  » À ce moment-là, le problème provient bel et bien de la politique du club, qui doit vouloir, ou pas, mettre les choses en place pour que les jeunes arrivent en équipe première. C’est un choix et il est clair qu’Anderlecht a traversé une période assez délicate avec cette génération-là.  »

Nicolás Frutos, entraîneur de l’équipe demi-finaliste l’année suivante, fustige lui aussi certains choix opérés par la direction.  » Quand je vois les montants qu’on a dépensé pour transférer des gars qui n’ont rien montré sur le terrain, je me demande quand même pourquoi on n’a pas laissé leur chance à ces jeunes. Il suffit de regarder Orel Mangala et Dodi Lukebakio en Allemagne, Samuel Bastien au Standard, ou même Mile Svilar. Ils montrent tous de belles choses. Il y a vraiment des questions à se poser « , insiste-t-il.

Mais pas de quoi parler de faute professionnelle non plus.  » Je ne suis pas persuadé pour autant que c’était une erreur de la part du club. Je dirais plutôt que c’était un choix, et il faut l’assumer. On peut être d’accord avec eux ou pas, mais c’était un choix délibéré « , poursuit l’ancien buteur argentin.

Corriger les erreurs du passé

 » Des regrets, il y en a toujours lorsque l’on perd des jeunes talents, mais en réalité, on n’a pas le temps pour ça. On a perdu coup sur coup Adnan Januzaj et Charly Musonda Junior à l’époque. Deux coups durs. Mais derrière, on a sorti Tielemans, Dennis Praet et Leander Dendoncker « , explique Kindermans.  » Si tous ces gars avaient réussi à Anderlecht, je sauterais de joie, c’est sûr. Mais je me réjouis de voir que certains réussissent ailleurs. Mon métier, c’est de former les jeunes pour qu’ils réussissent dans le monde professionnel. Ici, ou ailleurs.  »

Continuer à préparer le futur. Difficile de mieux illustrer la situation présente du Sporting. Si les Mauves ont commis des erreurs avec Lukebakio, Bastien et d’autres, la politique actuelle du club est très claire, et consiste à promouvoir les jeunes au maximum au sein projet Kompany.

Une telle conjoncture aurait plus que probablement ouvert les portes du succès aux jeunes demi-finalistes de la Youth League 2014-2015, selon Mohamed Ouahbi :  » Si l’on regarde la situation de Jérémy Doku par exemple, qui réussit très bien en équipe première aujourd’hui, on voit que le club lui laisse le temps, malgré certaines performances moins convaincantes. On ne lui met pas trop de pression et c’est normal. Je pense que si l’approche du club avait été similaire après 2015, plusieurs de ces joueurs auraient réussi avec Anderlecht.  »

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Kawaya :  » Anderlecht n’a pas tenu ses promesses  »

Quels souvenirs gardez-vous de cette belle demi-finale de Youth League ?

ANDY KAWAYA : C’est simple, je ne l’oublierai jamais. Le parcours était magnifique, mais le plus important, c’est le groupe que nous avions cette saison-là. Nous étions vraiment soudés, comme une famille. D’ailleurs nous sommes encore beaucoup en contact aujourd’hui. Nous parlons souvent sur notre groupe WhatsApp !

Vous avez terminé meilleur passeur de la compétition, ne vous attendiez-vous pas à un meilleur avenir à Anderlecht après ça ?

KAWAYA : Si. J’avoue que j’espérais recevoir plus de temps de jeu en équipe première, mais après notre demi-finale, je me suis directement blessé à la cheville. J’ai hésité à partir en prêt à l’intersaison 2015, mais Anderlecht m’a promis que j’aurais ma place dans l’équipe A. Malheureusement, j’ai de nouveau été gêné par des blessures, et lorsque je suis revenu, ça ne s’est pas déroulé comme prévu. Au final, à mon retour, je n’ai joué que deux ou trois matches sur la saison. Ils n’ont pas tenu leurs promesses.

Êtes-vous surpris qu’aucun autre joueur du groupe ne ce soit imposé en équipe première ?

KAWAYA : Pour être honnête, oui. C’était un groupe hyper talentueux, et je ne comprends pas trop pourquoi ça n’a marché pour aucun d’eux à Anderlecht. En revanche, je ne suis pas étonné que certains réussissent bien ailleurs aujourd’hui.

Quelles en sont les raisons d’après vous ?

KAWAYA : Je ne sais pas trop, franchement. Je sais qu’en arrivant, René Weiler a tout de suite mis les jeunes en équipe B, et qu’il a dit clairement qu’il ne comptait pas sur nous. Mais moi j’étais parti en prêt lorsqu’il est arrivé, et je me suis de nouveau blessé à mon retour. J’étais donc un cas particulier. Je n’ai presque pas eu de contacts avec lui.

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