Où est le Sturm und Drang ?

Paradoxe : c’est un directeur technique très matérialiste qui essaye de faire retrouver sa nature romantique au club flamand.

La démission de Marc Degryse en février dernier a marqué la fin d’une politique à Bruges : celle des anciens joueurs monuments. Désormais, le Club Bruges a pris un autre virage. En nommant Luc Devroe au poste de directeur technique et Jacky Mathijssen comme entraîneur, la direction brugeoise a misé sur des éléments ayant fait leur preuve dans des formations plus modestes.

Devroe n’a pas la carte de visite flamboyante de son prédécesseur mais lui aussi fut un ancien Brugeois puisqu’il évolua quelques années comme troisième gardien, derrière Birger Jensen et Philippe Vande Walle et il ne participa d’ailleurs qu’à une seule rencontre de D1. Le 7 mars 1987 contre Anderlecht (défaite 1-0), il fut appelé à suppléer Vande Walle qui, à la 82e minute, reçut un carton rouge pour une faute sur Frankie Vercauteren. Devroe n’a pas la réputation de Degryse mais il n’a pas traîné en route, comme en témoignent ses multiples expériences.

Comment expliquez-vous la brièveté de votre carrière en D1 ?

Luc Devroe : Je n’étais pas assez bon. Tout simplement. Je suis parti d’abord à Saint-Nicolas avec Paul Theunis et ensuite à Ostende où pendant 12 ans, j’ai occupé toutes les fonctions : joueur, entraîneur des gardiens, entraîneur et manager.

C’est de là que vous vient cette image de manager très rigoureux…

J’ai terminé ma carrière à 29 ans. Ostende avait effectué de lourds investissements avec Nico Claesen, Mike Origi, Patrick Van Veirdeghem. Et du jour au lendemain, l’arrêt Bosman est arrivé. Le club est descendu en D2 avec un déficit de 1,25 million d’euros. Or, dans l’immobilier, je travaillais avec le président d’Ostende, Eddy Vergeylen, qui livrait le tapis plain et le parquet pour tous nos appartements. Un jour, il m’a demandé de devenir manager. Je n’avais qu’un seul objectif : me débarrasser des gros contrats et diminuer la dette. J’ai quitté Ostende après l’avoir assaini financièrement et qui, sur le plan sportif, avait retrouvé la D1 et joué deux tours finals.

Pourquoi avoir quitté Ostende ?

J’avais tout connu là-bas. Je restais sur une période de trois mois comme entraîneur principal. Mais je ne voulais pas de cette fonction. Je souhaitais faire venir Kenneth Brylle et j’avais même dit aux dirigeants que j’étais prêt à le payer moi-même mais les joueurs voulaient quelqu’un qu’ils connaissaient. Durant cette période, j’ai maigri de 12 kilos et j’ai décidé de prendre du recul pendant un an.

Et trois mois plus tard, vous vous relanciez à Roulers…

C’était Raoul Peeters l’entraîneur… Je le connaissais bien et comme j’habitais à Courtrai, c’était plus pratique. De plus, Ostende avait perdu de nombreux joueurs partis à Roulers. Je pensais donc que j’arrivais dans un club avec de gros moyens mais je m’étais trompé. Là aussi, on avait dépensé sans compter. Il a fallu redémarrer à zéro.

 » Degryse avait cité mon nom en quittant le club « .

Plusieurs hommes servent de fil rouge à votre carrière : Marc Degryse, Dennis van Wijk…

Mes parents vont toujours en vacances avec les parents de Marc. Cela fait 27 ans. Et j’avais connu van Wijk à Bruges. En 1996, j’étais parti dire bonjour à Marc à Sheffield. Je me rappelle très bien de la date. Mon fils, Lucas, venait de naître et il est devenu, ce jour-là, le plus jeune visiteur de Sheffield Wednesday qui recevait Arsenal. Degryse avait marqué le but de la victoire et le soir même, il m’a demandé si je ne pouvais rien faire pour son beau-frère, Dennis van Wijk, qui entraînait Knokke en 1re Provinciale. Cela faisait quelques semaines que j’étais manager d’Ostende et j’ai assisté à plusieurs rencontres de ce club. C’est ainsi que je l’ai engagé et que je l’ai retrouvé quelques années plus tard à Roulers.

Succéder à Degryse à Bruges fut-il facile ?

C’est la première personne que j’ai contactée. Il m’a dit qu’il n’y avait aucun problème et qu’il avait même cité mon nom en quittant le club. Cela m’a rassuré.

Mais Degryse est quand même parti sur un échec…

Oui et non. Certes, cela n’allait pas quand il s’en est allé mais il ne faut pas oublier qu’avec lui, Bruges a décroché le titre et disputé la Ligue des Champions deux fois.

Comment avez-vous abouti à Bruges ?

Roulers était venu gagner à Bruges, ce qui avait scellé le sort de Degryse, Franky Van Der Elst et Emilio Ferrera. Après cette victoire, tous mes dirigeants me demandaient sans cesse en blaguant – Tu n’as pas reçu de coup de téléphone de Bruges ? Je n’y pensais pas une minute. Qui est Devroe ? Mais un jour, Filips Dhondt, le manager général m’a demandé d’aller manger un bout avec lui et d’être un candidat à la succession de Degryse. 48 heures plus tard, je rencontrais le président et cela s’est réglé dans la semaine.

Qu’est-ce qui a séduit Bruges en vous ?

Sans doute ce que j’avais réalisé à Roulers avec peu de moyens.

Tout a été très vite…

Oui, c’est un peu comme dans l’immobilier : quand une personne veut acheter un appartement et que cela prend trois mois avant qu’elle ne se décide, ce n’est jamais bon signe.

Le départ de Degryse a conduit à un changement de politique…

Au niveau de l’entraîneur, après Jan Ceulemans, Van Der Elst et Cedo Janevski, il y a eu un changement. Bruges avait essayé quelque chose qui n’a pas marché. Maintenant, quand on doit prendre un entraîneur, on veut prendre le meilleur. Il ne faut plus nécessairement que ce soit un ancien.

Changement de jeu aussi : le Bruges actuel n’a rien à voir avec le style technique que prônait Degryse…

L’année passée, il y avait un manque de mentalité dans le groupe. Et cela, ce n’est pas la faute de Degryse. Durant la dernière année de Trond Sollied, on avait déjà pu apercevoir cet état d’esprit négatif. Et cela a éclaté l’année dernière. Dans le recrutement, on a surtout voulu trouver un équilibre. Entre Belges et étrangers. Entre la mentalité et le jeu. On veut retrouver le Sturm und Drang de Bruges, une équipe qui donne tout de la première à la dernière minute.

Pourtant, Mathijssen n’a pas une étiquette d’entraîneur offensif. Il va d’abord construire derrière avant de penser à attaquer…

Vous parlez de construire mais on est dans une phase de construction ! Nous avons un nouvel entraîneur, un nouvel adjoint, un nouveau responsable des jeunes. Moi-même, je viens d’arriver et on a transféré sept joueurs. Jacky a prouvé qu’il savait construire une équipe avec parfois des moyens bien plus modestes.

 » Ce n’est pas une année de transition « .

Bruges peut-il se permettre d’être patient ?

Il faut certainement relativiser. On est en construction mais on a quand même transféré des valeurs sûres : le meilleur buteur du dernier championnat, un des plus grands talents du football belge (Jeroen Simaeys) et le seul box-to-box du football belge (Karel Geraerts). Ce ne sont pas des gamins de 18 ans. On est néanmoins conscient qu’il faut intégrer ces éléments au système et que cela risquait d’entraîner la perte de points en début de championnat. Et en plus, de nombreuses blessures ont retardé l’intégration de tout le monde. Contre Lokeren, c’était le cinquième choix qui évoluait au back droit puisque Brian Priske, Jorn Vermeulen, Gertjan De Mets et Birger Maertens étaient absents.

Vous parlez de beau jeu mais Bruges, que ce soit contre le Standard, Lokeren et Charleroi, a montré bien peu de choses…

C’est vrai que Jacky a pris tout dans la figure après le Standard. Il a voulu protéger ses joueurs qui le lui ont rendu à Brann Bergen. Je suis convaincu qu’au Standard, si le premier but ne tombe pas, cela reste 0-0.

Bruges peut-il se satisfaire d’un 0-0 ?

On jouait contre une équipe qui venait de marquer 16 buts en quatre matches. Ce jour-là, avec les joueurs disponibles, je reste persuadé que Mathijssen a fait le bon choix. Même si c’est contre-nature pour le Club Bruges.

Est-ce que finalement vous considérez cette année comme une année de transition ?

Non. Pas du tout. Il y a trois objectifs : 1. passer dans les poules de l’UEFA et essayer de survivre à l’hiver en terminant aux trois premières places du groupe. 2. La Coupe de Belgique. Bruges en a remporté 10 et il ne faut pas oublier que cette épreuve nous a sauvé la saison dernière. 3. Se battre jusqu’au bout pour le titre. Mais on savait que d’août à octobre, il fallait limiter la casse.

Comment jugez-vous la méthode Mathijssen ?

Formidable. Et en plus, tous les joueurs sont à 200 % derrière sa façon de travailler.

Vous parliez de problèmes de mentalité. C’est du passé ?

Oui. Cela n’a pas été évident pour Janevski de reprendre un groupe en pleine saison. Ici, dès le premier entraînement, Mathijssen a été très clair et dispose de cette autorité naturelle. Il a tracé les limites et les joueurs savent qu’ils ne peuvent les franchir. Même Bosko Balaban n’a pas posé de problèmes lors des six semaines durant lesquelles il a travaillé avec Mathijssen. Avant, parfois, il y avait des écarts et personne ne disait rien.

Et puis vous avez aussi prévenu les joueurs que vous iriez les chercher dans les discothèques ?

Cette phrase me poursuit toujours. Je savais que des joueurs de Bruges sortaient le mercredi et le jeudi alors qu’il y avait match le samedi. Comme je sais que certains Anderlechtois sortaient le dimanche avant une journée de Ligue des Champions. Quand vous gagnez, cela ne dérange personne. Mais quand vous faites un championnat comme Bruges la saison dernière, je ne trouve pas que c’est honnête de sortir dans les boîtes à Wielsbeke ou à Willebroeck. Tout le monde était au courant mais personne n’osait le dire. Moi, je l’ai fait !

Etes-vous conscient que vous allez être jugé sur votre première campagne de transferts ?

Bien sûr. Que ce soit moi ou quelqu’un d’autre, on sait qu’à Bruges, on ne peut pas se permettre de rater trop de transferts. Et même si cette campagne s’avère réussie pour le Club, il faudra se remettre en question la saison prochaine.

Les transferts n’ont pas encore répondu présent : Sterchele est retourné sur le banc, Geraerts manque de constance…

On est dans la construction. Sterchele a très bien réagi en marquant à Brann Bergen et à Charleroi. Il faut aussi avouer qu’il doit s’adapter à un autre rythme, à un nouvel environnement, à la succession des matches que ce soit avec Bruges ou avec l’équipe nationale. Cette remarque vaut aussi pour Geraerts. Stepan Kucera n’a disputé que deux rencontres, Antolin Alcaraz a connu d’autres entraînements au Portugal mais je vois que sur les sept transferts, cinq étaient alignés d’entrée à Charleroi.

 » Les Tchèques s’adaptent plus facilement que les Sud-Américains « .

Vous avez annoncé votre volonté de transférer du belge et de visionner les divisions inférieures…

A Roulers, comme on n’avait pas d’argent, j’ai toujours suivi les divisions inférieures. C’est comme cela que je connaissais Simaeys et Sterchele quand ils évoluaient à Oud-Heverlee et La Calamine. Et j’ai pu juger leur évolution.

Mais Bruges a-t-il vocation d’aller essaimer les divisions inférieures ?

Non, pas vraiment mais cela coûte plus cher de les transférer une fois qu’ils ont percé en D1. L’idéal serait de les attirer et de les prêter à Roulers, au Cercle ou à Saint-Trond, par exemple.

Et quels sont les marchés étrangers qui intéressent Bruges ?

Sur le marché serbo-croate, Bruges a toujours connu des réussites. Tout comme sur le marché tchèque comme en témoignent les réussites de David Rozehnal et on l’espère de Kucera. Les Tchèques s’adaptent bien plus facilement que les Sud-Américains, par exemple.

Contrairement à Anderlecht, Bruges n’est donc pas intéressé par le marché sud-américain ?

Anderlecht connaît ce marché car il y est présent en permanence. Bruges pas.

En arrivant de Roulers, avez-vous changé votre façon de travailler ?

Non, pas vraiment. Je compte mener la même politique mais à un niveau supérieur. En multipliant le scouting. Alcaraz et Kucera ont été visionnés minimum cinq fois. On a même vu Cyril Théréau en mars en Roumanie.

Bruges investit beaucoup d’argent depuis quelques années sans résultats probants. D’où vient cet argent ?

L’argent dépensé ces deux dernières saisons vient de la Ligue des Champions. Et puis, cette année, on n’a pas sorti trop d’argent : Alcaraz était en fin de contrat, Geraerts aussi…

… oui mais gros salaire

Balaban n’était pas non plus un petit salaire. Simaeys est un transfert limité. Wesley Sonck aussi.

Oui mais gros salaire aussi…

Sonck ? Non. Pas dans le Top-5 de Bruges. S’il voulait gagner de l’argent, il serait resté en Allemagne. Sinon, c’est vrai qu’il a fallu débourser pour Sterchele et Dusan Djokic mais on sait que les attaquants sont toujours plus chers. Et ces achats ont pu être réalisés grâce à la réserve de la Ligue des Champions. C’est pour cette raison que c’est important de retrouver cette compétition.

Ce qui veut dire que si Bruges réalise une mauvaise saison, les finances seront dans le rouge ?

Ce ne sera effectivement pas possible de continuer cette politique d’investissements mais il ne faudra pas nécessairement dégraisser.

On a beaucoup parlé de la présence de Marc Coucke, le patron d’Omega-Pharma…

… Il n’y a aucun investissement extérieur qui est intervenu. Par contre, pour le nouveau stade, nous n’écartons pas la possibilité de fonds d’investissements extérieurs.

Vous arrivez à continuer à vous occuper de votre agence immobilière ?

Non. Mon agence a été vendue. Mais je continue comme promoteur immobilier. Je suis en train de construire 23 appartements à Roulers. C’est un peu comme dans le football : j’achète et je vends.

par stéphane vande velde – photos: reporters

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