Où est la limite ?

Le coach brugeois explique comment il stimule ses joueurs.

« Je ne copie personne. Evidemment, j’ai rencontré des gens dont je pensais par moments qu’ils faisaient quelque chose de bien, que je devais retenir, sans plus. Je n’ai pas de manuel non plus. Je suis assez ouvert. Bien sûr, on ne peut jamais se révéler complètement, se mettre à nu. Il faut tenir compte du contexte dans lequel on travaille.

Je préfère en venir aux valeurs qui m’inspirent : la liberté, l’égalité, le sens social, les valeurs de la Révolution française, oui, mais je suppose que je dois prendre garde à ce que je dis ? ( il rit). Les idéaux, l’audace de fixer des objectifs, la volonté de faire des sacrifices, la confiance…

Alors que je venais de franchir le cap de la vingtaine, quelqu’un m’a dit que j’irais loin car je m’adaptais bien et que je pouvais m’intégrer partout. Cette faculté m’a déjà bien servi. On peut appréhender toute situation de vie ou de travail de deux façons. Soit on dit : -Me voilà et ça doit marcher comme ça. Ou alors : -Me voilà, j’ai telles qualités, voici la situation, nous voulons atteindre tel objectif. Quel est le meilleur moyen d’y arriver ensemble ? Cette seconde version me correspond.

Je m’adapte mais je ne suis pas de ceux qui font rapidement partie d’un groupe, non que je m’isole des autres mais mon sentiment de liberté est sacro-saint. Je le préserve. Je n’ai pas peur de m’engager dans une relation et je suis alors très loyal mais je suis aussi conscient que c’est limité dans le temps. Quand on m’impose trop de choses, je fuis. Ce fut le cas pendant les cours d’entraîneur. – N’attendez pas que je déclare que chacun détient la vérité. Ne me forcez pas, laissez-moi ma liberté de pensée. Devoir est un terme qui me heurte. A la maison, une seule chose était interdite : devoir travailler dans la mine. Tout le reste était permis, à condition que je motive mes choix. Je dois avoir le sentiment d’être moi-même. Sinon, cela veut dire que je suis bloqué ou qu’on me pousse dans une certaine direction. Je cale et je dis : – Peut-être dois-je choisir une autre direction.

Il faut effectuer des choix mais je laisse généralement leurs caractéristiques à chacun, puisque je veux aussi qu’on me prenne comme je suis. C’est peut-être parce que j’essaie de penser avec les autres qu’on a raconté peu de choses dérangeantes sur mon compte quand j’ai quitté Saint-Trond et Charleroi « .

L’accident

 » Il y a onze ans, gardien de Lommel, j’ai été évacué, inanimé, pendant un match contre le RWDM. Ma tête avait heurté le poteau. On m’a trépané pour prévenir tout dommage cérébral mais j’ai été paralysé du côté gauche pendant quelques jours. Cet accident m’a confronté aux choses simples de la vie. Jusque-là, tout allait de soi et j’avais oublié certaines choses. Au début, j’étais avide d’informations. Je lisais tout, j’effectuais des recherches. Cela s’est atténué puis a disparu. Ce qui est resté, c’est ma volonté d’oser me donner, de travailler et d’être très attentif à ce qui peut arriver, d’intervenir quand c’est nécessaire. C’est une question d’assurance. Si je n’ai pas gardé de séquelles de cet accident, c’est un miracle. J’ai compris qu’il y aurait quelque chose d’autre dans ma vie, sinon je serais mort. Cela m’a insufflé beaucoup de courage. Je suis ouvert à la vie. Souvent, je me demande si je le suis suffisamment. J’ai parfois le sentiment d’être à la recherche de la raison pour laquelle je suis toujours en vie « .

Le tunnel

 » Le football est un jeu dont on pense qu’il ne faut plus rien inventer puisque tout l’a été. De grâce, cherchez, au sein des possibilités qu’on vous laisse, le bon équilibre et le bon caractère… On restreint donc son champ d’action puisqu’on fait la même chose pendant tant d’années. On ne se remet plus en question, on ne réfléchit plus. Quand vous arrivez à Bruges, la première chose qu’on vous dit, c’est de rester vous-même. Et vous rétrécissez encore, puisque vous êtes entouré de spécialistes.

Je suis dans un tunnel depuis sept ans, depuis mes débuts à Saint-Trond. Des gens plus chevronnés et sans doute plus sages que moi en matière de football disent qu’une période de repos de temps en temps constitue une bénédiction. Cela ne doit pas nécessairement rimer avec limogeage. Des entreprises accordent une année sabbatique à leurs cadres supérieurs et leur demandent de revenir avec l’esprit reposé, des idées claires. Sans pause, on fonce, on fonce et en fin de compte, on ne sait plus rien du tout. J’assimile des choses mais elles sont davantage bloquées que filtrées dans ma situation professionnelle. Peut-être faut-il lutter un peu contre la limite. J’ai grandi à Dilsen, un village. En le quittant, j’ai découvert un monde très différent mais qui reste malgré tout très étriqué. J’ai souvent l’impression de vivre sur une très petite planète, pas en espace mais en pensées. Peut-être m’arrive-t-il trop de sortir du cadre stricto-sensu du football. Tout ça est bien beau mais aurais-je peur de le quitter pour faire autre chose ?

Je mène beaucoup de luttes : avec la presse, avec mes adversaires… C’est la guerre du football. Il faut gagner, faire sentir qui on est, rester sur ses gardes. Si on me dit que les joueurs doutent quand ils sont dans le couloir au moment où ils sont sur le point de monter sur le terrain, je n’ai guère le choix. Je dois me montrer, intervenir, assumer des risques. Les coups que je reçois en échange, je les accepte, car ils font partie du processus. Si je forme un noyau plus sûr de lui, plus audacieux, je n’aurai pas pris des risques inutiles ni travaillé pour rien « .

par christian vandenabeele

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