OTTO destruction

Le coach allemand est quasi devenu un mythe dans son pays d’adoption. Notamment grâce à sa volonté de montrer à ses compatriotes qu’ils se sont lourdement trompés sur son compte.

Flash-back sur le 21 février 2004. On est à Larnaca, à Chypre, où l’équipe nationale locale rencontre le Kazakhstan en match amical. Otto Rehhagel frissonne. Environ 85 personnes assistent dans le petit stade à cette partie que les Chypriotes gagneront 2-1. Rehhagel, le coach désormais célébrissime de l’équipe nationale grecque et son assistant, Ioannis Topalidis, sont là parce que le Kazakhstan figure dans le groupe de la Grèce pour les éliminatoires de la Coupe du Monde 2006, en Allemagne.

Lorsque retentit l’hymne national chypriote, Rehhagel s’étonne auprès de son assistant :  » Mais c’est le même hymne que la Grèce ? » Lequel acquiesce et Rehhagel de se mettre à entonner à pleine voix l’hymne : – Je te reconnais au tranchant de ton épée, etc.

Un cameraman filme la scène et le lendemain, les Grecs sont pris d’hystérie collective lorsqu’ils découvrent les images à la télévision. Que quelqu’un sacrifie son week-end de libre pour aller visionner un prochain adversaire, passe encore. Les Hellènes mettent ça sur le compte du légendaire professionnalisme allemand. Mais que l’entraîneur, par ailleurs étranger, chante à pleins poumons l’hymne national, les Grecs n’en reviennent pas. Ils considèrent cet acte comme une déclaration d’amour à leur patrie.

Depuis qu’il avait repris en mains l’équipe nationale grecque, qui était à l’agonie voici deux ans et demi, et l’avait qualifiée pour l’EURO 2004 au Portugal, la réputation d’Otto Rehhagel à Athènes et dans les environs était sanctifiée. Et depuis qu’il a remporté le tournoi lusitanien, il a carrément rejoint Apollon, Zeus et les autres au panthéon des dieux grecs.

De toute façon, à 65 ans, Rehhagel ne payait déjà plus jamais l’addition à son café favori, le Dionysos, au pied de l’Acropole. Le patron régalait. Et s’il arrivait bien après minuit avec des compatriotes affamés à l’hôtel Metropolitan, le réceptionniste réveillait le chef coq… Et en échange d’une signature de Herr Otto, les policiers athéniens étaient subitement moins regardants au niveau de ses contredanses. Bref, dès avant l’EURO, Rehhagel était déjà bien parti pour devenir un héros grec moderne.

Pas prophète en son pays

En Allemagne, il en allait tout autrement. Là, Rehhagel fut conspué après son limogeage à Kaiserslautern, en automne 2000. Pendant 35 ans, il avait pourtant été de ceux qui faisaient la pluie et le beau temps en Bundesliga, d’abord en tant que joueur, comme entraîneur ensuite. Mais l’ingratitude semblait devoir être son lot, comme celui de nombreux coaches. Deux ans auparavant, il avait remporté le titre de champion d’Allemagne avec Kaiserslautern justement, club néo-promu la saison précédente.

En football, les Allemands semblent souffrir de la maladie d’ Alzheimer. Même les deux titres de champion, les deux Coupes d’Allemagne et la Coupe des Coupes remportés avec le Werder Brême furent subitement effacés des tablettes.

L’une des motivations de Rehhagel en tant que sélectionneur de l’équipe grecque, consiste d’ailleurs à blâmer les Allemands pour leur comportement à son égard. Et surtout ceux qui l’ont beaucoup fait souffrir outre-Rhin. Comme Franz Beckenbauer par exemple. Le président du Bayern Munich avait attiré Rehhagel en 1995 comme entraîneur principal, le remerciant à peine dix mois plus tard. Le limogeage au Bayern avait cassé le rêve de Rehhagel, qui considérait son séjour en Bavière comme un tremplin logique vers la Mannschaft.

Entre-temps, Rehhagel a revu ses ambitions. Ce dont il rêve à présent, c’est de qualifier la Grèce pour la Coupe du Monde de 2006 en Allemagne. Ce faisant, il ferait un beau pied de nez à tous ses compatriotes, dans leurs propres stades. En attendant, son exploit à l’EURO c’est déjà pas mal !

Mais pour arriver jusque-là et faire jouer les Grecs à l’unisson, Rehhagel n’a pas épargné ses efforts. Pour commencer, il s’est mis à dos une presse grecque qui ne supportait pas ses incessants retours au pays. Elle notait avec dépit que Rehhagel refusait d’apprendre le grec et déplorait sa méconnaissance du football local. Le journal sportif athénien Fos titra même un jour Auf Wiedersehen, Supertrainer après que son équipe ait perdu le deuxième match qualificatif pour l’EURO portugais. Après ce 0-2 face à l’Ukraine, le sort de Rehhagel semblait scellé. Pourtant, l’Allemand réagit par une série de 15 matches sans défaite. Le président de la république l’honora en public, alors que les lecteurs du plus grand quotidien, Ta Nea, l’élurent Homme de l’Année 2003…

Avant le retour triomphal du Portugal, Rehhagel avait déjà quelques scènes de folie dans ses tiroirs. De retour à Athènes après la victoire 0-1 en Espagne dans le cadre des éliminatoires de l’EURO, il demanda à un employé de la fédération grecque de déplacer sa voiture. Lorsqu’il lui tendit les clés, l’homme s’écria en faisant un signe de croix : -Vous êtes un magicien. Un rituel qui se répéta lorsque Rehhagel récupéra les clés de sa Mercedes.

Vassilis Gagatsis parle d’une véritable Ottomania en Grèce. Agé de 48 ans, le président de la fédération grecque de football est l’artisan de la venue de Rehhagel. Il a dû se mouiller pour arriver à ses fins, durant plus d’un an il fit le forcing pour contrer les farouches opposants à l’engagement de l’Allemand.

Un travail de longue haleine

Jusqu’il y a peu, il était tout naturel en Grèce que les clubs soient plus importants que l’équipe nationale. Cela a mené dans le passé à des situations rocambolesques et à des luttes de pouvoir incessantes au sein de la fédération grecque. Les présidents richissimes du Panathinaikos, de l’Olympiakos et de l’AEK Athènes, les clubs athéniens les plus puissants, y dictaient leur loi. Ils décidaient de tout : du sélectionneur national, souvent grâce à des relations dans la presse, jusqu’à la composition de l’équipe, en passant par le retrait ou l’ajout de joueurs dans le noyau au moindre contrecoup. Pour ces mag-nats, le football était un jouet. Lors des rencontres en déplacement, on rencontrait souvent ces hommes accompagnés de superbes créatures, dans le même hôtel que les joueurs. Cela ressemblait fort à une ruche très animée et l’équipe nationale nourrissait les intrigues.

Le mérite d’Otto Rehhagel est d’avoir donné un bon coup de pied dans le chaos grec. Les écuries furent nettoyées, en quelque sorte, et le coach isola l’équipe nationale de toutes ces influences néfastes. Les insiders estiment que c’est la mesure la plus importante prise par Rehhagel :  » Seul un étranger avec une réputation costaude pouvait se le permettre « .

Rehhagel sortit le football grec, qui avait perdu toute crédibilité, d’une spirale négative. Les arbitres étaient corrompus, une bonne partie des clubs était au bord de la faillite et la violence faisait des ravages dans les stades. Il ne se passait plus une journée de championnat sans que des sièges ne soient arrachés puis jetés sur la pelouse, avec des oranges et des lames de rasoir. Même pour les matches au sommet, seuls 2000 courageux allaient au stade, risquer leur peau.

Alors, Rehhagel est-il un magicien ? Non, il n’a aucun secret. Il a simplement instauré la discipline en équipe nationale. Ce faisant, il est resté fidèle à son credo : l’entraîneur est le maître absolu. Les joueurs ont appris (certains à leurs dépens) qu’il fallait travailler dur. Ils ont emmagasiné des concepts comme l’esprit d’équipe et la discipline collective. Dans sa politique de sélection, Rehhagel ne choisit pas les onze meilleurs mais le meilleur onze. Il se fiche de la réputation de l’un ou l’autre élément, reléguant aux oubliettes des joueurs comme Grigorios Georgatos (ex-Inter Milan) ou Akis Zikos (Monaco), qui avaient trop ouvertement critiqué ses options tactiques.

Pour Demis Nikolaidis, par contre, Rehhagel eut moins de rancune. Nikolaidis est l’étoile du football grec, le David Beckham hellène en quelque sorte. L’attaquant de l’Atletico Madrid est marié avec la diva pop Despina Vandi, use les voitures de luxe à son gré et a même des contacts avec des membres du gouvernement grec. Cependant, sur le terrain, il se plie aux ordres de l’entraîneur et cela lui vaut la grâce de Rehhagel, qui n’a pas son pareil lorsqu’il s’agit de mener les vedettes à la baguette. Rappelez-vous comment il dompta Mario Basler, l’enfant terrible du Werder Brême…

Otto résiste aux sirènes de la Mannschaft

La mission personnelle de Rehhagel est donc maintenant d’emmener les troupes grecques à l’assaut des stades allemands en 2006. Avant l’EURO, on susurrait un retour en Bundesliga, mais le principal intéressé démentait :  » Je ne travaillerai plus en Bundesliga. La dernière offre remonte à un an et émanait de Leverkusen. J’ai refusé « .

Mais en juin, alors que la Grèce progressait à l’EURO à la surprise générale, la Mannschaft avait déjà plié bagage. Et après la finale gagnée, la Grèce est devenue 14e nation mondiale dans le classement FIFA en gagnant 21 places et se situe deux positions seulement derrière l’Allemagne… qui en a perdu quatre.

Rudi Völler a démissionné de la Mannschaft et la presse allemande fait les yeux doux à Rehhagel tant elle estime û après les refus d’ Ottmar Hitzfeld et Christoph Daum û que Lothar Matthäus est trop inexpérimenté. Mais Otto a résisté. Normal, après toutes ses prises de position. Le bougre est courageux et sûr de lui. Comment expliquer autrement, d’ailleurs, son aplomb dans le fait d’imposer contre vents et marées un type de football de combat considéré comme dépassé par tous les observateurs avertis ? C’est le résultat qui compte…

Le président de la fédé grecque Gagatsis avait affirmé dès après la finale qu’il ne faisait aucun doute que Rehhagel resterait jusqu’en 2006 et il a eu raison. Mais pour les Allemands, le Roi de l’Europe reste bien Otto. Ils l’ont surnommé Rehakles, mais les supporters grecs sont peut-être ceux qui perçoivent le mieux sa personnalité. A l’EURO, ils n’ont cessé de chanter L’Allemand est fou et ce dernier communiait sans cesse avec eux. C’était impossible de briser cette connivence. L’Allemagne sera donc forcée à se choisir pour la première fois un coach étranger. On parle du Hollandais Guus Hiddink et du Danois Morten Olsen… Plus d’Otto.

La rédaction (avec Michael Wulzinger, ESM)

 » Rehhagel a réussi parce qu’il a donné un bon COUP DE PIED DANS LE CHAOS GREC  »

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