Orgueil & châtiment

Déjà tout jeune, Uli Hoeness était ambitieux et savait tout mieux que tout le monde. Peter Bizer a suivi la montée au firmament du président du Bayern Munich, qui vient d’être condamné à trois ans et demi de prison.

Pourquoi cet homme à la morale stricte, habitué au succès, cet homme qui voit tout en noir et blanc et veut toujours avoir raison, même s’il a une bonne nature et affiche un certain sentimentalisme, pourquoi cet homme se retrouve-t-il en prison ? C’est en quelque sorte le prix qu’il doit payer pour son principal trait de caractère : son orgueil. Selon ses propres termes, ce trait est impossible à corriger :  » C’est sans espoir.  »

Pour l’apaiser, Uli Hoeness a requis, toute sa vie, le droit à des récompenses. Monsieur-je-sais-tout-faire s’est glissé dans la camisole de force du succès. Écolier exemplaire, talent en football, manager et boursicoteur. Les personnes style Hoeness sont mues par une foi inébranlable en leur omnipotence : je suis le centre du monde, je suis capable de tout. C’est le fondement de leur vie.

Quand ces personnes échouent, elles deviennent des victimes et réclament de l’aide. 2013 a été l’année des plus grands succès sportifs pour le Bayern mais aussi l’année de la pire défaite imaginable pour son président. La Supercoupe et la super claque se sont enchaînées. Il a été inculpé de fraude fiscale et condamné à trois ans et demi de prison.

Debout à 6 heures du matin

Avec Susi, son ancienne camarade de classe, devenue son épouse, il a récolté de l’argent, jadis, pour le journal de l’école, dont la caisse était dans le rouge. Ensemble, ils ont mis sur pied la fonction de délégué de classe et organisé une fête d’école au Schubart-Gymnasium d’Ulm, une fête dont tous les anciens se souviennent encore.

À l’armée, la Bundeswehr, Uli a supervisé la confection d’un filet de camouflage de 600 mètres carrés dont il a recouvert l’école. Il a commandé des tables à bière, des saucisses à la boucherie familiale. Comme l’écrit le professeur Steinle dans le livre de Patrick Strasser,  » Voilà Hoeness ! « , c’était de la folie pour l’époque. La meilleure note. Un. Hoeness était déjà hors-norme. Gamin, il possédait déjà un orgueil et une ambitions démesurés.  » J’ai toujours évité de vivre sans objectif « , a-t-il confié, des années plus tard.

Quelques années plus tard, il rejoint Ulm 1846, qui lui offre de meilleures perspectives sportives. Uli découvre l’ampleur de son potentiel : il possède vitesse et puissance. Il demande à son père, qui travaille tous les matins dès trois heures dans la cuisine de sa boucherie, à Eselsberg, près de Ulm, de l’éveiller tous les jours à six heures pile. Pendant que ses camarades de classe dorment, il se rend à la plaine de jeux voisine et court autour du terrain, seul ou en compagnie de camarades. Il a fait lui-même son programme d’entraînement.

 » Uli a sans doute trop couru dans les bois « , a rigolé un jour Franz Beckenbauer. De fait, Uli Hoeness n’a jamais émargé à la catégorie des footballeurs de grande classe. Son talent reposait sur la volonté, l’énergie, le courage. Il est devenu un des ailiers les plus rapides du monde en courant le 100 mètres en 11 secondes. A quinze ans, Uli Hoeness poursuivait déjà un objectif bien précis, comme il l’a dit un jour à un copain :  » Regarde, les autres vont boire une bière mais nous, un jour, nous jouerons avec Beckenbauer et Müller.  »

Ni alcool, ni cigarettes, ni sorties

De fait, du moins pour Hoeness.  » Ma vie se résume à un calendrier établi heure par heure : entraînement, école, matches, entraînement, école. Pas une goutte d’alcool, pas de cigarettes ni de sorties nocturnes. C’est ma vie. Pendant que mes camarades sortaient au cinéma avec leur copine ou allaient se baigner, je courais. Il m’est arrivé de me demander pourquoi. Je n’ai jamais connu la vie insouciante de mes compagnons d’âge. Par exemple, je ne sais pas ce que ça fait de danser, d’aller en discothèque ou même de passer un week-end à la mer ou en montagne.  »

Le 4 novembre 1972, quelques jours avant un match international de la nouvelle Mannschaft championne d’Europe contre la Suisse, à Düsseldorf, les citoyens d’Ulm lisent dans le journal ce que souhaite leur dire Uli Hoeness. Le titre de la rubrique ?  » Ce que je pense.  » Le Donau-Zeitung a voulu savoir en exclusivité ce que pensait le nouveau héros car son talent ne se limite pas à taper dans un ballon. Il est cultivé, il sait écrire, s’exprimer. Les lecteurs découvrent donc une fois par semaine la vie de ce joueur qui est déjà connu, sa façon d’appréhender le monde du football.

Il tape ses articles à la machine, concentré. Il reçoit 150 Mark (75 euros) par papier. Ce n’est pas une somme énorme pour le jeune pro mais il n’a jamais craché sur un franc. En fait, il n’a jamais oublié que dans la boucherie familiale, on a parfois fouillé la caisse et ses environs à la recherche d’un Pfennig perdu. Pour tout autre collaborateur de presse, actif dans le domaine culturel, par exemple, une rentrée mensuelle de 600 Mark était une somme considérable. Uli Hoeness, lui, jouait dans une autre catégorie.

Il faisait la fierté du rédacteur en chef et face à ça, même l’Allemand le plus pingre se laisserait tenter d’ouvrir les cordons de sa bourse. En échange, on espère évidemment des nouvelles passionnantes de la vie intime du grand Bayern.

Plutôt le mark que Marx

De ce point de vue, l’envoyé spécial éprouvait quelques difficultés. Tout au plus les lecteurs ont-ils appris de la plume de cet auteur proéminent que  » les Bavarois pourraient avoir des problèmes car nos défenseurs, Beckenbauer et Breitner, sont trop avancés.  » La semaine suivante, il spécifie toutefois :  » Je suis sûr que nous allons être champions.  » De telles confidences ne surprennent pas les lecteurs et, sans préavis, le rédacteur en chef a mis fin à la collaboration d’Hoeness à son journal.

Uli Hoeness connaît la différence entre le net et le brut. Il n’est pas certain que son ami Paul Breitner la connaisse aussi bien. Avant un match international, il a déjà surpris celui-ci à lire des ouvrages sur l’éducation sans autorité. Breitner admire Mao et d’autres camarades, même s’il préférait quand même le Mark à Marx. Finalement, donc, Breitner est le partenaire commercial idéal pour Hoeness : il ne court aucun risque que celui-ci le contredise dans son business. Breitner avoue franchement :  » C’est incroyable mais Uli a l’art de faire du commerce avec n’importe quoi.  »

1974. Uli Hoeness étudie soigneusement toutes les offres de publicité qui lui parviennent avant le Mondial. En général, il n’accepte que des réclames organisées conjointement avec son ami Breitner, qui est étonnamment brillant dans les sports et les tournages, malgré son image de révolutionnaire.  » Pourtant, sans Uli, je n’aurais sans doute pas gagné un mark en dehors des terrains « , reconnaît Breitner. Entre-temps, Uli a acquis une BMW, une Porsche Carrera et quelques propriétés à Ulm. Kaufhof, Wienerwald, banque, margarine, slips, Hoeness se prête à tout pour autant qu’il en tire bénéfice.

ChristopheBauschwein a décrit  » cet appât du gain  » dans son livre  » Das Prinzip Uli Hoeness « .  » On peut interpréter son comportement comme une tentative de s’éloigner de la vie telle que ses parents la lui ont inculquée. Jusqu’à leur mort, ceux-ci ont mis de l’argent de côté pour assurer l’avenir de leurs deux fils, alors que ceux-ci gagnaient des millions.  »

Banco au Mondial

Hoeness et Breitner réussissent le coup de leur vie en association avec leur entraîneur, UdoLattek, qu’ils considèrent comme un second père. La maison d’édition Sigloch, sise au Württemberg, veut éditer un livre sur le Mondial, en 300.000 exemplaires. La valeur de l’ouvrage doit être rehaussée par la signature originale de Hoeness et de Breitner. 300.000 signatures, cela représente un travail titanesque.

Des marks dans les yeux, les deux comparses passent des mois à signer des piles de feuilles A4 à travers toute l’Allemagne, partout où les conduit leur travail pour le Bayern. Ces 300.000 signatures doivent ensuite être insérées page par page dans le livre, à l’imprimerie. La caisse des comparses sonne à chaque signature. 250.000 marks (125.000 euros) plus 100.000 marks de provision. À côté de ça, les primes accordées par le DFB pour le Mondial ne sont que de l’argent de poche : 15.000 marks pour la participation au tournoi, 60.000 pour le titre. À propos : la maison édition a vendu les 300.000 exemplaires.

PAR PETER BIZER

Dans la boucherie familiale, on fouillait les fonds de caisse à la recherche de l’une ou l’autre piécette égarée.

Banque, margarine, slips : Uli Hoeness se prête à tout pour peu qu’il en tire bénéfice.

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