Oppidum, Oppi-Daum ?

Lors des allers-retours par élimination directe, quand j’étais gosse, à la veille d’un premier match à disputer chez soi contre un adversaire de force équivalente, les protagonistes déclaraient à la presse qu’il allait falloir deux, voire trois buts d’écart, pour pouvoir ensuite se rendre chez l’autre avec un minimum de sérénité. Aujourd’hui, par contre, il est fréquent d’entendre que 1-0 à l’aller serait un excellent résultat ! Cela sous-entend que l’objectif prioritaire est de ne pas encaisser à domicile, quitte à n’avoir qu’un but d’avance avant le retour, car c’est cela qui augure des meilleures chances de qualification. C’est sans doute vrai et seule la victoire est jolie, mais cela confirme l’énormité d’une bêtise qui dure depuis 40 ans : instauré en 1971 pour rendre conquérant en déplacement, le but à l’extérieur prépondérant a rendu craintif à domicile !

Tout ça parce qu’au-delà des subtilités comptables, et surtout au-delà du talent offensif, le foot est un sport où il faut d’abord  » ne pas faire les cons derrière  » ! Christoph Daum vient d’arriver pour nous le rappeler : suite de victoires par 1-0 en championnat, service minimum contre Braga (1-1) pour assurer aux Brugeois la première place de leur groupe UEFA ! Ce ne sera certes pas toujours le cas (cf. le 3-4 à Maribor), mais cela risque avec Daum d’arriver souvent,… et seuls les utopistes déploreront alors la fréquence de victoires tristes, ou de réalisme au détriment du spectacle. Pas d’accord, bienvenue à Daum, vrai pro d’expérience ! Exit Adri Koster, qui avait pourtant le même look de vieux Beatle blond ridé. Mais Koster avait des yeux gentils de tendance Flower Power, alors que les yeux de braise et la moustache de Daum hurlent  » Arbeit macht frei «  ! Daum est un bosseur de type rock’n roll éructeur. Mais pas un clown.

Il s’est amené dans une équipe balourde quand il s’agissait de conserver un avantage, et qui avait chiqué 18 buts en 13 matches de championnat : et il n’en ramasse aucun lors des quatre suivants ! Bonheur, plaisir d’un premier boulot bien fait. Car pour un coach (lequel n’est pas son public ? ? ? ? ? ?), les victoires par 1-0 sont peut-être les plus jouissives. Etre dominé, résister, et péter un seul but (quitte à réaliser un véritable hold-up !), cela donne au coach le sentiment valorisant d’y avoir vraiment été pour quelque chose : bien davantage que quand l’adversaire est étrillé fastoche par quelques buts d’écart ! Et davantage qu’une victoire par un seul but d’écart, mais du genre 3-2 ou 4-3 !

Car le coach clairvoyant sait que planter les buts, il le doit beaucoup au talent des attaquants dont il dispose… et rien qu’un peu à sa p’tite science de bien les disposer ! A l’inverse, ne pas prendre de buts prouve davantage qu’il peut discipliner son groupe, freiner les instincts offensifs s’ils sont débridés, inoculer de la réflexion, organiser une récupération de ballon. Un bon coach n’est guère un buteur par procuration, c’est d’abord un bâtisseur de forteresse, d’oppidum,… d’oppi-Daum ! Gagner un match 4-3, c’est gagner avec le sentiment coupable d’avoir été supérieur, mais en sachant que quelque chose a pourtant foiré derrière. Et gagner tous ses matches par 4-3 ne ferait pas de facto du coach vainqueur un coach prônant l’offensive : mais plutôt quelqu’un n’exploitant qu’à demi les possibilités de son groupe, moins bien que le collègue qui remporterait tous ses matches 1-0… et qui ne serait pas de facto un entraîneur défensif ! Enfin, pour nombre de coaches, l’emporter par 4-0 est infiniment plus propre que par 8-2. Même si les supporters sont d’un autre avis.

On sous-estime le plaisir d’être la meilleure défense d’une compétition, et José Riga est fier à raison que le Standard n’ait pris qu’un but dans son groupe d’EL ! Et y a pas que José ! Nous, en P3 luxembourgeoise, ça ne marche pas mal pour l’instant, on n’a pris que… deux buts en 17 matches ! L’autre jour, on menait 0-8 juste avant le terme, lorsque l’adversaire a bénéficié d’un coup franc limite rectangle : sur le banc, on gueulait tous des directives, excités comme des puces à l’idée de s’en ramasser un, pareil que si c’était 0-0 en finale du Mondial ! L’adversaire a botté dans les nuages. Ouf.

PAR BERNARD JEUNEJEAN

On sous-estime le plaisir d’être la meilleure défense d’une compétition.

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