Opération Mambourg

Le nouvel attaquant des Zèbres espère résoudre les énigmes offensives de la bande à Brogno.

Le nom est Boeka. Lisasi Boeka. C’est pas 007 mais cet agent non-secret tourne une version de Meurs un autre jour à Charleroi. Son rôle consiste à tuer les barbouzes des défenses adverses. Boeka (prononcez Boéka et pas Bouka comme c’est le cas en Flandre), dont le sourire tranche dans un club où les problèmes sont plus grands que les vieux terrils de la région.

L’attaquant congolais découvre ce Pays Noir que personne, peut-être, n’a aussi bien chanté que Robert Cogoi. « Je ne suis pas venu ici pour descendre en D 2 », dit-il. Lisasi Boeka avait été contacté par Mogi, le neveu d’ Abbas Bayat, alors que Malines s’enfonçait dans la nuit. La semaine passée, Alex Czerniatynski, l’adjoint de Stéphane Demol, lui reprocha d’avoir filé à l’anglaise. Lisasi Boeka soupire un peu avant d’affirmer que le temps lui a manqué.

Tout a été très vite et il n’avait pas de cadeaux à faire à un club ne payant pas ses joueurs. « J’ai besoin de mon argent », lance-t-il. « Je ne roule pas sur l’or. J’ai une famille. Ma femme et ma fille sont à mes côtés en Belgique. Mais il reste tous les nôtres au Congo où cela ne va pas très bien. J’envoie 500 euros aux miens et 250 euros aux proches de mon épouse tous les mois. Cela leur permet de tenir le coup. A Malines, je ne pouvais pas les aider car je n’étais pas payé. Ma famille m’a dit de ne pas m’énerver, de trouver un autre club où je pourrais retrouver ma sérénité. J’ai eu des possibilités en Israël, à Dubaï et en Arabie Saoudite mais c’est l’offre de Charleroi qui me plaisait le plus. J’ai signé un accord jusqu’en fin de saison »

Bons baisers de Lokeren

Il sait, comme tous les amateurs de séries noires, que le sauvetage de Charleroi sera plus difficile à écrire qu’un roman de Ian Fleming. Mais Lisasi a l’habitude des missions délicates. Il était une des fines gâchettes de l’AS Vita Club de Kinshasa, au Congo, quand des Belges le contactent. Ils lui proposent de tourner Bons baisersde Lokeren. Un Africain ne résiste pas à la possibilité d’être en haut de l’affiche dans un pays européen. Il pense que Lokeren lui permettra d’attirer le regard du PSG, le club de ses rêves. On lui propose un fixe de 1.500 euros bruts par mois. Avec, en 1996, la promesse de revoir ce chiffre à la hausse quand tout ira bien.

Quatre ans et 70 matches de D1 plus tard, il rappellela promesse. On lui dit: -Non, Georges Leekens n’a plus besoin de lui, d’autres Africains sont là et on l’offre à 200.000 euros sur le marché des transferts. Comme les Maures vendaient des esclaves pour les cultures du coton en Amérique.

« Non, j’étais quand même heureux à Lokeren », précise tout de suite Lisasi Boeka. « Le président nous offrait souvent des primes spéciales. Surtout quand on avait bien joué contre Anderlecht ».

A Lokeren, Lisasi révèle des qualités de gros travailleur sous la gouverne de Fi Van Hoof et de Willy Reynders. Avec son ami Elos Elonga Ekakia, il devient le lieutenant de Jan Koller. Lisasi se sent bien derrière ce pivot et s’épanouit. Le ton change avec Georges Leekens et Lokeren joue en contres, adopte le pressing. « J’étais fait pour ce jeu-là aussi mais Leekens m’a progressivement ignoré », raconte Boeka. « Je jouais encore mais ce n’était plus la même chose. Leekens parlait beaucoup. Trop et cela me donnait mal à la tête. J’étais le plus souvent au centre de ses reproches. Je trouvais cela bizarre comme si… »

Docteur No à Westerlo

…comme s’il devait partir pour faire rentrer de l’argent dans les caisses et faire de la place pour d’autres perles noires? Boeka ne sait pas. Il sourit mais pas un mot sur ses lèvres. C’est la fin de Bons baisers de Lokeren. La rumeur le cite en Turquie. Il aurait accepté d’y aller. Il a quitté son pays pour gagner de l’argent. Boeka préfère la Belgique mais s’il le faut, le bougre irait au Cambodge, en Albanie ou en Amérique.

Heureusement, Westerlo le loue pour un an. Il s’y amuse beaucoup:  » Jan Ceulemans est totalement différent par rapport à Georges Leekens. Plus calme, plus posé. C’était super avec Vedran Pelic en pointe. J’ai marqué 12 buts en 30 matches de championnat. Westerlo, c’était une grande famille ».

Boeka découvre alors qu’il ne suffit pas d’être bon pour jouer. La coulisse, c’est parfois pire que Docteur No.James Bond y perdrait son revolver. Westerlo force les portes de la finale de la Coupe de Belgique contre Lommel. Une première consécration pour Lisasi Boeka. Pourtant, il ne jouera pas. Boeka est en super forme. Que se passe-t-il? Lokeren l’avait loué pour une saison à Westerlo avec une option d’achat de 200.000 euros. Une bonne prestation pouvait faire flamber son prix, en Belgique. Mais Willy Verhoost, le manager de Lokeren, rêvait peut-être de lui à l’étranger. Westerlo préfère ne pas l’aligner afin de faire baisser l’option d’achat. Cette spéculation coûta gros à Lisasi Boeka: « Ne pas jouer cette finale alors que je le méritais fut la plus grosse déception de ma carrière ». 200.000 euros, c’est trop pour Westerlo et il revient à Lokeren qui ne sait qu’en faire.

Goldfinger à Malines

Coach de Malines, alors en D2, Fi Van Hoof se souvient de ce Congolais à la mentalité européenne. C’est le début de Goldfingerà Malines qui offre 100.000 euros à Lokeren pour ce transfert. Boeka Lisasi survole la D2 et en devient le meilleur réalisateur avec 15 goals à la clef. Le bonheur sur toute la ligne avant que cela ne se corse fameusement. Stéphane Demol résout mille gros problèmes mais la lassitude s’installe.

Quatre mois sans solde, même les services secrets de sa Gracieuse Majesté finiraient par rendre les armes pour passer à l’ex-KGB. Boeka doute, s’interroge, souffre quand Charleroi vient frapper à sa porte. Il signe à deux mains. Malines est derrière lui avec son feuilleton à la Dallas, le président foufou, son perroquet Paco, la source d’or qui se tarit, les coups de canon dans la presse, le ridicule qui ne tue pas…

Le Congolais réussit un coup: il se libère alors de son contrat. Pour la première fois depuis le début de son séjour belge, il est totalement libre de choisir son destin

Lisasi Boeka sait que Charleroi tourne un navet pour le moment. Pour garder sa place en D1, Dante Brogno doit pondre un bon Opération Tonnerre Lisasi Boeka a déjà installé sa femme et leur fille, Jemima (deux ans) dans le Pays Noir. Plus facile de s’imprégner d’une mentalité quand on partage le quotidien d’une région. Charleroi se cherche derrière, au milieu et devant: c’est dire si le chantier est pharaonique. Tout reste à faire et Dante Brogno aura bien besoin de la pierre de Rosette de Jean-François Champollion pour déchiffrer les hiéroglyphes du jeu de son équipe.

Est-ce que la pyramide offensive passera le plus souvent par un trio Eduardo-Boeka- Kolotilko? Ou une doublette se détachera-t-elle? Le Congolais a marqué cinq buts pour le compte d’un Malines malade. Fera-t-il mieux à la tête de la division offensive d’un Sporting de Charleroi en salle de réanimation?

« Il reste encore beaucoup de matches à disputer avant de l’avoir tué », avance Lisasi Boeka. « Il suffit parfois d’un déclic pour lancer une équipe. Tout le monde sait que la situation est délicate. Tous les joueurs sont animés par l’ambition de rester en D1. Ce sera un combat jusqu’à la fin de la saison. Moi, peu m’importe quelle sera ma place sur le terrain au fil des matches. Le coach décide, je suis payé pour jouer et pour obéir. J’aime jouer derrière un pivot comme ce fut le cas avec Jan Koller à Lokeren. A Vita, au Congo, nous jouions à deux en pointe. Je peux aussi me démarquer sur les deux ailes car je joue aussi bien de deux pieds. Gaucher ou droite? Je ne le sais même pas. J’apprécie aussi de décrocher dans le jeu ».

Opération Mambourg: le plein à Carollywood?

Boeka sera entièrement au service de son équipe. Après la dernière CAN, il a renoncé à l’équipe nationale du Congo. Lisasi sait que les voyages vers l’Afrique sont terriblement fatigants. D’autres en profitent pour piquer la place. Le risque existe même d’en revenir avec une terrible malaria qui peut coûter une carrière. Boeka avance le fait que l’équipe nationale est trop désorganisée. On y perd son temps. Le néo-Carolo mesure que tout est terriblement fragile. Un de ses meilleurs amis, Ekakia, était promis à un bel avenir à Anderlecht. Un accident de la route a tout foutu en l’air. « Elos n’a pas perdu l’espoir de rejouer dans un bon club », dit Boeka. « Pour le moment, il s’entraîne tous les jours, tout seul dans un parc bruxellois ».

Lisasi se marre quand on lui parle de ses deux autres prénoms: Jean-Paul Gauthier. « Sur ma carte d’identité, je n’ai qu’un prénom: Lisasi », dit Boeka. « Lors de mon baptême,on m’a surnommé Jean-Paul, c’est resté. Quelqu’un a ajouté plus tard Gauthier pour rigoler et c’est resté aussi. C’était peut-être un admirateur du grand couturier, je ne sais pas ».

Pierre Bilic

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