« ON VOYAIT EN MOI LE NOUVEL ARUNA »

Il y a près de dix ans, Anderlecht le sortait de la misère au Cameroun mais il n’allait jamais réussir à s’imposer à la pointe de l’attaque du Sporting. Il est aujourd’hui médian et capitaine d’Ostende, avec qui il accueille le champion ce vendredi.

Les Ostendais sont à nouveau fiers de leur club de foot. Sur la digue, on met un go-kart à disposition de notre photographe et sur la plage, on l’autorise à utiliser un bateau de sauvetage  » parce que c’est pour le KVO « , ici représenté par SébastienSiani. La saison dernière, il a été élu Meilleur Joueur du club et pendant la longue absence de XavierLuissint, c’est lui qui porte le brassard de capitaine. Depuis son arrivée en Belgique, il a porté les maillots d’Anderlecht, de Zulte Waregem, de l’Union, de Saint-Trond et du Brussels mais jamais avec autant de succès qu’à Ostende. Il affirme que, pour lui, le match de ce vendredi représente quelque chose de spécial.  » Parce que le Sporting est le club qui m’a donné la chance d’être professionnel. Je m’y suis fait pas mal d’amis et j’en garde de bons souvenirs.  »

Quels amis, par exemple ?

SébastienSiani : VincentKompany, AnthonyVandenBorre, MboMpenza Ils ont toujours été là pour moi, ils m’ont soutenu et cela m’a aidé à m’adapter, à comprendre le fonctionnement du pays.

Tous trois ont des racines africaines. C’est important ?

Quand on arrive quelque part où tout est différent, c’est bizarre. Dans ces cas-là, il est important de pouvoir s’appuyer sur des gens qui ont les mêmes origines, histoire de se sentir moins seul. Cela m’a donné le courage de faire tout ce qu’il fallait faire. Le côté africain d’Anderlecht et les gens qui m’ont encadré m’ont permis de progresser. Les étrangers logeaient dans un appartement où la maman d’OlegIachtchouknous considérait comme ses propres enfants.

 » Je suis un guerrier  »

Qu’est-ce qui fut le plus difficile dans votre adaptation ?

Le trop grand écart de températures. Quand j’ai quitté mon pays, en janvier, il y avait 45 degrés. Ici, il faisait très froid. Je me suis demandé si j’allais supporter cela. A certains moments, quand j’enlevais mes chaussures, je ne sentais plus mes pieds, tant mes mains étaient gelées. Mais je n’ai jamais voulu abandonner. Tout plaquer juste parce qu’il faisait froid, cela aurait été synonyme d’échec. Comment allais-je expliquer cela à des enfants qui se lèvent le matin sans savoir s’ils pourront manger ? Je savais que des millions de gens auraient voulu être à ma place et cela me motivait. Lorsque j’étais tout seul, il m’arrivait de pleurer mais en présence des autres, je ne laissais entrevoir aucune fragilité. Je suis un guerrier. Je me suis forgé un caractère en suivant sans cesse mes propres idées et en vivant tout seul pendant 75 à 80 % de mon existence. Au Cameroun, j’avais en effet quitté ma famille dès mon plus jeune âge.

Dans quelles circonstances avez-vous grandi ?

Je suis né dans une famille très pauvre.

Que se passe-t-il quand on est enfant dans ces circonstances ?

Celui qui est né pauvre reste pauvre.

Que voulez-vous dire ?

Que même si je deviens un jour millionnaire, je ne serai jamais un enfant riche. Mes enfants le seront et je travaille pour qu’ils ne souffrent pas. Moi, je suis né pauvre et je connais la valeur de chaque chose. Le fait que je puisse me permettre aujourd’hui des choses dont je ne soupçonnais même pas l’existence me procure une satisfaction tout autre que si j’y avais été habitué dès mon plus jeune âge.

Quoi, par exemple ?

Se payer une voiture. Ou voyager en avion. Je n’avais jamais songé pouvoir me permettre cela un jour.

Que faisaient vos parents ?

Rien.

 » Il est difficile de sortir de la misère  »

Pourquoi ne faisaient-ils rien ?

Chez nous, il n’est pas facile de trouver du boulot.

Comment survivaient-ils, dès lors ?

C’est ça le secret des parents africains : on se lève le matin, on ne sait pas comment on va trouver à manger mais on y arrive toujours. Une fois qu’on est dans la misère, il est difficile d’en sortir. J’ai grandi avec ma grand-mère maternelle et je n’avais pas encore dix ans quand elle m’a dit : -Je sens que tu seras le chef de la famille.

Pourquoi disait-elle cela ?

A l’époque, déjà, j’étais considéré comme le petit chef. Je m’occupais des autres et je savais partager. Lorsque j’avais un pain, je mangeais un petit morceau et je distribuais le reste. Curieusement, dans la famille, je suis aussi le seul à jouer au football.

Comment cela se fait-il ?

Le football m’a toujours passionné. Tout petit, je jouais au foot dans la rue et à l’école, j’avais écrit sur la première page de mon cahier que je rêvais de devenir joueur professionnel. J’ai eu la chance, à l’âge de 13 ans, de pouvoir intégrer le sports-études de la Kadji Sport Academy à Douala, le centre de formation d’où sont issus de nombreux internationaux. C’est en équipe première de Kadji Sport que messieurs Deraeve et Collin m’ont découvert. Après un match amical, le coach est venu me chercher dans le vestiaire pour me présenter à monsieur Deraeve. Celui-ci m’a demandé de faire quelques accélérations sur cinq et dix mètres pour juger de mon explosivité. Par la suite, il est encore venu me voir deux ou trois fois en championnat et, en janvier, j’ai pu partir à Anderlecht pour six mois.

Quel était votre sentiment en montant dans l’avion ?

Je me posais beaucoup de questions. Je ne savais pas où j’allais ni ce qui m’attendait.

Vous aviez peur ?

Oui, peur d’échouer. Heureusement, Anderlecht m’a laissé le temps. En avril, lorsqu’il a commencé à faire beau, j’ai pu montrer mes qualités et on m’a fait signer un contrat de cinq ans.

 » Je n’oublierai jamais mon but au Real  »

Anderlecht, pour vous, aujourd’hui, c’est un rêve brisé ?

Un rêve brisé… Quand on va quelque part, on veut montrer de quoi on est capable et on a envie de réussir. A Anderlecht, je n’ai pas eu l’opportunité de démontrer ce que j’ai pu faire avec Ostende la saison dernière. C’est dommage mais c’est le passé et je ne dois pas regarder derrière moi. Après quelques mois, FrankyVercauteren m’a sorti du noyau B pour jouer en équipe première contre Roulers. Mais cette génération était très forte avec Zetterberg, Wilhelmsson, Jestrovic, Aruna, Vanderhaegheet Hasi. Pour les jeunes comme Odjidja, Tioté, Lamah, Allagui et moi, il n’était pas facile de se faire une place.

Vous avez marqué en Supercoupe face à Zulte Waregem et en match amical face au Real Madrid.

Je n’oublierai jamais cette volée dans l’angle au Stade Bernabeu. Elle m’a mis en confiance mais la semaine suivante, face au Club Bruges, j’étais dix-neuvième homme, dans la tribune. De mon point de vue, le coach a manqué de psychologie sur ce coup-là. J’étais jeune et je ne comprenais pas, cela m’a un peu cassé. Finalement, à la trêve, j’ai demandé à être prêté à Zulte Waregem. Il est difficile de se montrer en ne jouant que dix minutes, un quart d’heure de temps en temps. En Belgique, sur ce laps de temps, on ne touche que deux ou trois ballons si tout va bien.

Quel genre de joueur étiez-vous à l’époque ?

Anderlecht voyait en moi le successeur deDindane : Africain, la même taille, peut-être un peu le même style… J’étais perçu comme le nouvel Aruna. Moi, je nous trouvais plutôt différent et, pour un jeune joueur, il n’était pas évident de succéder à une telle star. J’avais tapé dans l’oeil des recruteurs d’Anderlecht lorsqu’ils s’étaient déplacés au Cameroun pour voir ErnestNfor. Dans ce match-là, j’avais joué en pointe mais en fait, j’ai été formé comme médian. En Belgique, je me suis adapté au rôle qu’on m’a donné mais heureusement, j’ai rencontré un entraîneur qui me connaît parfaitement et m’a confié un rôle de médian central.

Vous n’avez pas été frustré de vous retrouver en D2 ?

Il m’est arrivé de me demander si je retrouverais la D1 un jour. Oui, c’était un peu frustrant mais à Saint-Trond, j’ai connu deux belles années avec un titre de champion en D2 puis les play-offs en D1. En fin de saison, cependant, je devais chaque fois retourner à Anderlecht en sachant que je n’y jouerais pas et en me demandant ce qu’il adviendrait de moi la saison suivante. Ça, c’était dur. Je manquais de stabilité.

 » Vanderbiest n’aimait pas jouer contre moi  »

Au Brussels, Didier Beugnies estimait qu’en tant que patron de l’équipe, vous ne tapiez pas assez du poing sur la table. Il disait que vous étiez trop réservé, trop respectueux, pas assez méchant.

C’est vrai que je suis plutôt gentil et que j’aime dire les choses avec un brin d’humour et de philosophie. Parfois, il faut pouvoir taper du poing sur la table mais j’essaye toujours de trouver le meilleur moyen de faire comprendre quelque chose à quelqu’un. Je suis un capitaine à ma façon, je parle avec les gens.

Avec des gens comme Fred Vanderbiest, Elimane Coulibaly et Bjorn Ruytinx, le vestiaire promet pourtant d’être explosif cette saison.

C’est un vestiaire de D1, avec de fortes personnalités et des mentalités différentes. Nous nous débrouillerons. Il se trouvera toujours des gens pour allumer le feu et d’autres pour l’éteindre. Moi, je suis plutôt le pompier de service.

Vous avez joué contre Fred Vanderbiest. Ce n’était pas un comique.

Non, c’était un casseur de pieds et moi, je dribblais rapidement et je bougeais beaucoup. Il n’aimait pas cela. Il s’est passé des choses mais ça reste entre nous. Dès qu’il est devenu entraîneur, il a insisté pour que je rejoigne son équipe. Il a cependant fallu attendre le mois de janvier de l’année dernière, lorsque j’ai été libéré du Brussels.

Il vous aligne en tant que meneur de jeu devant la défense.

La plupart des gens qui m’ont connu à Anderlecht sont surpris. Même FrankyVercauteren m’en a parlé la saison dernière après le match face au FC Malines. Ma meilleure place, c’est au centre du jeu mais on dépend toujours de l’équipe. Si je suis bon, je le dois aussi à mes équipiers. C’est l’équipe qui me facilite la tâche.

Etes-vous trop peu égoïste pour jouer en pointe ?

On me le dit souvent, en tout cas.

Dans quelle mesure avez-vous évolué sur le plan humain en Belgique ?

Je supporte mieux la pression que quand je suis arrivé. J’ai déjà connu pas mal de vestiaires et j’ai beaucoup appris. Aujourd’hui, si j’ai un problème, je vois le bon côté des choses et j’essaie de trouver une solution. Avant, je m’énervais plus vite.

 » J’entretiens une vingtaine de personnes au Cameroun  »

La saison dernière, après avoir été élu Meilleur Joueur d’Ostende devant Fernando Canesin et Didier Ovono, vous avez dit que vous le deviez à Dieu. N’était-ce pas plutôt grâce à vous ?

Oui mais je crois qu’il y a quelqu’un au-dessus de nous qui nous surveille. Je pense que quand on croit en Dieu, on finit par atteindre ses objectifs.

Mais il faut tout mettre en oeuvre pour cela.

Evidemment. Si j’ai l’intention de traverser la rue pour atteindre ma voiture et que j’y vais en fermant les yeux, je n’y arriverai pas. Je me ferai écraser par le tram.

Vous avez 27 ans. Quels objectifs vous fixez-vous encore ?

Jouer dans un plus grand club qu’Ostende. Certains étaient intéressés la saison dernière mais je pense que je dois d’abord confirmer avant de partir.

Combien de personnes entretenez-vous au Cameroun en tant que chef de famille ?

Cousins compris, ça doit faire une vingtaine. Ce sont les enfants de mes trois oncles et de ma tante, les frères et soeur de ma mère. Je les considère comme mes frères.

Vous semblez être un garçon très sérieux.

Je ne sors pas beaucoup en tout cas. La saison dernière, je suis sorti deux fois : une fois à Bruxelles avec quelques équipiers et une fois à Ostende. Au pire, je bois un verre. D’ailleurs, c’est toujours moi qui conduis. Vous ne me verrez jamais ivre. L’alcool ne m’intéresse pas, le tabac non plus. Je ne comprends pas pourquoi les gens fument : pourquoi avaler de la fumée puis la recracher ? Entre-temps, j’ai une nouvelle compagne, une institutrice primaire d’Oudenburg. Je lui ai expliqué la situation et j’ai pris mes responsabilités. Avant le stage en Angleterre, Rose a passé deux semaines avec moi. Sa maman habite à Liège, ce n’est pas l’idéal mais nous voulons trouver la meilleure solution pour l’enfant.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS : KOEN BAUTERS

 » Jamais, je n’aurais imaginé pouvoir me payer un jour une voiture ou voyager en avion.  »

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