» ON SOUS-ESTIME LE PLAISIR « 

L’homme estime qu’on associe encore trop souvent le coach mental à un psychiatre.

Cet été, Roulers s’est assuré les services d’un coach mental : Diego Dupont. Sa collaboration avec les Roulariens a pris fin.  » Il y a un monde de différence entre le suivi d’une équipe de football et celui d’une entreprise « , estime-t-il.  » Entre les différents sports aussi, il y a des différences. Je m’occupe par exemple de l’équipe nationale ukrainienne de jumping, mais j’y procède différemment. Les cavaliers viennent me trouver spontanément, pas les footballeurs. Surtout, le foot est un sport collectif. Le suivi n’est pas aussi personnel mais je dois être attentif aux problèmes et aux caractères de tous car il y a interaction. Les footballeurs sont moins pris par leur métier que les cavaliers ou les employés d’une société. Ils voient donc moins l’intérêt d’un coach mental, surtout les plus anciens. Le foot est aussi un sport de machos « .

Quels sont les problèmes des footballeurs ?

Diego Dupont : La perte de concentration est un classique. Il faut se concentrer pendant 90 minutes alors qu’en jumping, tout se joue en 70 secondes. Le niveau d’attention est inférieur mais quand ça va mal, il faut se ressaisir. Roulers a souvent été confronté à un but dès la première minute. On peut crier aux footballeurs de se concentrer mais mieux vaut chercher les raisons du problème. Or, il s’agissait d’un excès de concentration. Les joueurs étaient crispés en montant sur le terrain. Ils pensaient qu’ils allaient perdre. Ce n’est pas anormal contre le Club Bruges : ils affrontent des joueurs qu’ils ont admirés et qu’ils admirent peut-être toujours. Après le premier but, ils montrent qu’ils savent jouer car ils sont délivrés de la pression. Il s’agit alors de les délivrer de cette image négative qu’ils ont d’eux-mêmes. A Mouscron, en première période, Roulers était intimidé. Les supports locaux étaient en voix, Roulers a laissé trop d’espaces entre les lignes. Nous avons rétabli la confiance au repos, en disant : – Nous allons refaire notre retard.

Le faites-vous collectivement ou individuellement ?

Je commence par observer l’équipe pour déterminer où se trouvent les difficultés. J’ai des entretiens individuels. Je dois jauger la façon de réagir des joueurs à différentes situations. On peut rectifier le tir individuellement aussi, mais l’équipe reste l’essentiel. Il faut promouvoir un solide esprit de groupe et lui donner de l’assurance.

Mettre les différends de côté

Comment améliorer l’esprit ?

En obligeant les gens à travailler ensemble, à atteindre un objectif commun impossible à réaliser sans la collaboration de tous. Ainsi, Pierre et Paul qui ne se parlent plus doivent mettre leur différend de côté. A Amsterdam, j’ai envoyé un groupe à la recherche d’une peinture. Chaque membre avait un indice. La communication est capitale. Il ne faut pas crier mais parler de manière constructive.

Comment raviver la confiance après la raclée de Roulers à Chypre ?

Je n’ai parlé à aucun joueur en particulier dans le quart d’heure qui a suivi, afin qu’ils digèrent le résultat. Il faut leur rappeler leur objectif : le maintien, dans leur cas. La Coupe d’Europe était une belle aventure qui ne cadrait pas avec cet objectif. Il faut donc oublier ce revers et rappeler quand même qu’avant, il y a eu trois bons matches.

Si le match constituait un objectif, il aurait fallu situer les problèmes : qui n’a pas fait ce qu’il fallait ? Un match doit être préparé puis analysé, de sorte que le joueur monte sur le terrain avec une tâche très claire à laquelle se raccrocher, surtout s’il manque d’assurance. Ainsi, il ne prête pas attention aux supporters ni aux caméras. Toutes ces tâches forment une chaîne. La solution évidente n’est pas toujours la bonne. Il se peut qu’un joueur qui signe plusieurs mauvais matches mais reste aligné y puise du courage.

Intervenez-vous en cas de blessure ?

Un exemple en cas de blessure courte : le gardien Jurgen Sierens se rétablit mais il voit que sa doublure joue bien. Il veut donc reprendre le plus vite possible et risque une rechute. Il faut en discuter avec le staff médical et le convaincre éventuellement de ne pas courir de risque. Si la blessure est longue à guérir, surtout si ce n’est pas sa première, le joueur craint pour sa carrière. C’est très frustrant. Il faut aussi préparer un joueur à son retour : qu’attend-on de lui et quand ? Pour bien intervenir, je dois connaître son état physique exact.

Les feux de la rampe jouent-ils des tours aux footballeurs ?

Personne n’est insensible aux regards braqués sur lui. Ce n’est pas nécessairement mauvais. Certains se défont de leur nervosité dès qu’ils sont sur le terrain. C’est une question de concentration. Les caméras et les supporters ne peuvent pas distraire le joueur.

Pouvez-vous aider tout le monde ?

Oui. Wouter Biebauw manquait de confiance. En peu de temps, il a beaucoup changé. Après le match contre Skopje, il m’a dit parvenir à se concentrer pleinement sur le match. On avait scandé son nom mais il l’avait à peine entendu. Il doit maintenant conserver cette confiance même quand ça va moins bien. Wouter est réaliste, il se connaît et a une bonne mentalité. Il y parviendra. J’ai été moi-même un gardien qui gérait mal la pression. J’étais nerveux des heures avant le match. Je sais aussi ce qu’être blessé signifie. J’ai dû renoncer au football pro à 23 ans à cause de mon genou.

Traduire la théorie en exercices techniques

Un coach mental doit-il avoir l’expérience du sport ?

Absolument. Je comprends mieux les émotions des joueurs et, surtout, le football. Il ne faut pas avoir étudié 20 ans pour être coach mental, mais connaître son sujet. En foot, il faut traduire la théorie en exercices techniques. Quelques heures de théorie dans une classe n’intéressent pas les joueurs. Roulers a établi une liste de points théoriques importants et l’a affichée dans tout le vestiaire. Ce cinéma attire l’attention et marche mieux. Des exercices concrets me permettent de tester la rage de vaincre d’un joueur par rapport à sa peur de perdre. Je compose deux équipes en fonction de mes impressions et je les oppose. Dans l’équipe B, les joueurs que je soupçonne d’avoir plutôt peur. Je place les deux équipes à chaque bout de la ligne médiane et elles doivent courir l’une vers l’autre jusqu’à ce que l’entraîneur crie A ou B. Cette équipe doit tenter de toucher un membre de l’autre équipe, laquelle doit se retirer. L’équipe A a couru jusqu’au bout, la B s’est retenue un peu pour ne pas être touchée. Les joueurs réfléchissent au résultat quand on leur explique ensuite l’objectif du test.

Que faites-vous d’un joueur qui a trop d’assurance ?

Pas grand-chose. Je ne crois pas en l’excès de confiance. C’est une façade qui dissimule des lacunes. Il faut du temps pour la fissurer mais est-ce nécessaire ? Améliore-t-on les performances de quelqu’un en forçant sa muraille ? Il ne faut agir que si le cran se mue en agressivité. Moi-même, je donnais l’impression de déborder apparemment de confiance alors que je me rongeais les sangs.

Suivez-vous aussi le staff ?

Nous travaillons ensemble. Je ne l’ai pas fait assez à Roulers, avec le kiné notamment. Je le ferai davantage au Beerschot. Le kiné est la personne de confiance de beaucoup de joueurs. Certains demandent un massage alors qu’ils n’en ont pas besoin physiquement mais ça les calme. Dirk Geeraerd et moi connaissions nos tâches. Je m’occupais des prestations sportives et il écoutait les joueurs qui avaient des problèmes personnels, comme la perte d’un être cher.

Pourtant, un traumatisme peut être à l’origine d’un manque de confiance qui va influencer les performances…

En effet. On sous-estime souvent cet aspect, surtout chez les jeunes. La peur de l’échec, le manque de confiance viennent d’expériences précédentes. On peut étouffer des souvenirs mais ils remontent tôt ou tard à la surface. Un entraîneur de jeunes qui se fâche fait du tort aux joueurs : après quelques colères, il va se retenir, il apprendra moins, perdra sa confiance et aura moins de plaisir à jouer. Or, le plaisir de jouer est capital pour un jeune. A cet âge, le suivi mental fait des miracles.

Faut-il des coaches mentaux dans les équipes d’âge ?

J’en suis partisan. Il faut former les entraîneurs des jeunes. Ils ne doivent pas devenir des psychologues mais comprendre les aspects de base du suivi mental. Ils sous-estiment l’importance du plaisir, en match et à l’entraînement. Il faut insuffler confiance aux joueurs, les stimuler. Ronaldinho s’amuse comme un gamin sur le terrain mais il a été un footballeur des rues. Ici, nous n’en avons plus. Dommage.

ILKA DE BISSCHOP

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