» On sera moins banal « 

Le technicien marocain revisite une année blauw en zwart tumultueuse et se projette dans un avenir prometteur, à la hollandaise…

Le visage porte encore les stigmates des crampons d’Olivier Deschacht mais le sourire reste en place. Et pour cause : Nabil Dirar (23 ans) vient de faire la tournée des potes de Bruxelles. La ville où il a grandi et où il vient paradoxalement s’oxygéner plusieurs fois par semaine. Bien loin de la quiétude de Jabbeke, commune voisine du stade Jan Breydel, où est situé son appartement :  » Cela me fatigue de rester au calme ( sic). J’ai besoin de venir à Bruxelles, je deviendrais presque nerveux si je restais en place. Bruxelles, c’est ma famille, mes copains ; une sorte d’équilibre.  »

D’équilibre, il en a été très peu question sportivement et en coulisses. Bruges aura passé une nouvelle saison à se chercher. Le dernier choc face à Anderlecht n’a fait qu’attester de lourds manquements où même la combativité, marque de fabrique du club, a très vite décampé :  » Anderlecht avait envie de jouer, de notre côté, ça ne se voyait pas. Il suffit de se rappeler des duels ; on les a tous perdus.  » L’arcade sourcilière contusionnée, Van Damme qui le ramasse après seulement deux minutes, cet excès de brutalité que certains ont déploré ne peut pas faire figure d’excuse dit-il :  » Les joueurs d’Anderlecht nous ont fait comprendre qu’ils étaient chez eux. On n’a pas réagi comme on aurait dû. Et puis la D1, ça reste gentil. En D3, avec Diegem, je passais des rencontres à ne pas toucher un ballon, à être matraqué pendant 90 minutes. C’était un tout autre traitement. Rien de comparable, non plus, avec le tournoi des latinos de Bruxelles que je disputais quand j’avais 18 ans. On jouait sur des terrains en brique pilée, les arbitres osaient à peine siffler, même quand un joueur avait la jambe pétée. Les tackles vous arrivaient très hauts et si tu ne voulais pas te faire bouffer, fallait du répondant physique. Des gens pariaient sur ces matches, les joueurs gagnaient de l’argent, etc. Je peux vous assurer que la nervosité et l’agressivité étaient plus importantes que lors d’un Anderlecht-Bruges. Bon, quand Van Damme me dit qu’il ne m’a pas touché après son tackle, là ça me fait sourire. C’est vrai que j’essaye de l’éviter avant qu’il ne me choppe mais si je ne le fais pas, je vais chercher ma cheville un peu plus loin… Après il y en a encore qui vous parlent de simulation ( il rit).  »

La rencontre à Anderlecht était symptomatique d’un certain malaise brugeois. Mohamed Dahmane qui refusait de monter au jeu, vous qui tirez la tête lors de votre remplacement. Ça ne respirait pas le grand amour…

C’est normal. On me retire pour un attaquant alors que tu joues le tout pour le tout. Tu espères plutôt qu’on va retirer un défenseur. Jacky Mathijssen m’a dit que mon remplacement était dû à ma blessure à la tête… Quant à Momo, il reste sur le banc, ne s’échauffe même pas et on lui dit à dix minutes de la fin de rentrer directement dans le match. De cette manière, tu peux facilement te claquer.

Mathijssen est-il la source de beaucoup de maux ?

Non, je ne crois pas. Je n’ai aucun problème avec Mathijssen, au contraire. Il m’a toujours beaucoup parlé, encouragé. Humainement, c’est quelqu’un que j’apprécie.

Avez-vous senti qu’il perdait son emprise sur le groupe ?

Au fil de la saison, j’ai vu de la tristesse sur son visage. Trop souvent, Bruges a joué comme une équipe normale, banale, pas comme une équipe du top. Et ce manque de résultats, de jeu, l’ont beaucoup marqué.

 » L’équipe n’est pas équilibrée « 

Beaucoup d’observateurs critiquent la politique des transferts à Bruges. Que ce soient ceux qui portent la griffe Mathijssen ou ceux étiquetés Luc Devroe.

Sans pour autant viser Devroe, qui est quelqu’un qui connaît le football, c’est vrai qu’on a le sentiment qu’au mercato hivernal, on a assisté à des transferts de dernière minute. On achète, Marc-André Kruska et Vadis, deux bons joueurs mais deux milieux défensifs alors qu’en magasin on avait déjà Geraerts, Jonathan Blondel ou Philippe Clement pour ce poste. Au back droit, par contre, on trouve aujourd’hui Karel qui n’est pas du tout à sa place. L’équipe n’est pas équilibrée et c’est frappant. Quelqu’un comme Laurent Ciman a rarement reçu sa chance alors qu’il pourrait nous aider à droite.

Comment Ciman vit-il sa situation ?

Il reste souriant mais je suis sûr que tout seul chez lui, il doit se prendre la tête. A l’entraînement, il est souvent victime des remarques des autres qui le dirigent avec exagération. En plus, les remarques en flamand, ça sonne différemment, on peut par moments percevoir ça de manière agressive.

Vous aussi avez connu des frictions à l’entraînement.

Oui, mais rien de très grave. C’est vrai que j’entends parfois les joueurs me dire -Lâche ta balle avant que je ne l’aie au pied. Et à la fin, ça peut m’énerver, surtout vu la manière dont c’est dit. Et puis il y a une partie du groupe qui veut que l’on s’entraîne comme l’on joue. En théorie, c’est bien, mais en pratique, tu arrives alors au match avec sept joueurs. Si je reçois un tackle trop appuyé, je peux devenir agressif et je n’hésite pas à dire ma manière de penser. Jeroen Simaeys m’avait un jour très durement tacklé. J’ai voulu me venger et le coach a été obligé d’arrêter l’entraînement après une heure. Ce genre de situations n’est cependant pas propre à Bruges. A Westerlo, j’ai connu des tensions également. Mais comme Bruges est un club médiatique et que les résultats ne sont pas au rendez-vous, on en fait plus facilement écho. Aujourd’hui avec Jeroen, il n’y a plus aucun problème, avec personne d’autre d’ailleurs.

On a évoqué des clans dans le vestiaire pour expliquer les mauvais résultats.

La plupart du temps, les francophones se retrouvent avec les Sud-Américains et les autres joueurs étrangers tandis que les joueurs flamands restent ensemble. Mais cette fracture n’est pas source de conflit. J’imagine que c’est comme ça dans beaucoup de clubs. Honnêtement, c’est un groupe pépère.

Lors d’une interview au Laatste Nieuws début février, ce n’est pas ce que vous avanciez. Juste après la parution de l’article où vous étiez critiqué par rapport à l’ambiance dans le vestiaire, le public vous a copieusement sifflé. Comment avez-vous réagi à ces sifflets ?

Très mal. Au début du match, je n’entendais rien des sifflets qui m’étaient adressés. Quand je suis dans mon match, je fais le vide. Ce n’est que dans le dernier quart d’heure, au moment où le score était de 3-0 et que toute l’équipe a commencé à lever le pied, que j’ai entendu ces sifflets. Je ne comprenais pas d’autant que le score était acquis et que je disputais un bon match. Qu’on siffle quand ça ne va pas, c’est normal, les gens payent leur place. Mais ce jour-là…

Vous vous sentiez comme le bouc émissaire de la mauvaise passe de Bruges ?

Oui, même si après coup, j’ai compris. Mais quelques heures après ce match face à Tubize, j’avais le sentiment que mon public était raciste. Qu’une frange extrémiste avait dressé les autres contre moi. Avec le recul, j’ai compris qu’il était fâché sur moi car j’avais critiqué le Club dans la presse. D’une certaine manière, j’avais touché leur fierté.

 » J’espère jouer bientôt à l’étranger « 

Aujourd’hui, comment ça se passe avec le public ?

Beaucoup mieux, très bien même. Je reviens d’une fête d’un club de supporters de Maldegem où ils ont été super avec moi. Ils m’ont dit qu’ils m’aimaient ; ça m’a fait chaud au c£ur. En match, il arrive que le public continue à s’énerver quand je garde trop la balle ou que je ne fais pas le bon choix. Mais ça, je peux parfaitement le comprendre. Ils sont en droit d’attendre davantage que ce que nous avons montré cette saison. Et puis, il y en a aussi qui payent cher leur place mais qui n’ont jamais tapé dans une balle,… comme chez les journalistes. Et ça, on ne peut rien y faire…

Vous regrettez d’avoir choisi Bruges alors qu’en début de saison, Anderlecht et même l’Ajax étaient sur la balle ?

( Silence). Non pas vraiment, même si la proposition de l’Ajax était concrète et que le défi aurait été beau. J’ai signé pour le club qui me voulait le plus. Et je crois avoir eu raison puisque j’ai disputé tous les matches cette saison.

Vous serez toujours au Club l’an prochain ?

J’imagine. Même si j’espère jouer bientôt à l’étranger ; et avec comme rêve ultime la Premier League. Mais je vois mal un club mettre beaucoup d’argent sur moi après une saison comme celle-ci, d’autant qu’il me reste quatre années de contrat.

On a l’impression que Bruges fait difficilement sa mue. Que le passage du jeu physique, comme on l’a longtemps connu, à un jeu plus technique avec des joueurs comme vous, Vargas voire Vadis ne colle pas à l’identité du club.

C’est vrai que c’est un club qui a toujours été connu pour son engagement. Aujourd’hui, beaucoup de joueurs savent jouer au ballon mais peu sont capables de tirer les autres, de donner de la voix et d’aller au combat. Clement n’est peut-être pas le plus beau à voir jouer mais il nous a manqué énormément cette saison. Par exemple, à Mons on a été chercher la victoire dans les derniers instants en grande partie grâce à lui. Quand on le voit gagner des duels, se donner à fond à son âge, ça impose le respect et on l’écoute quand il vous gueule quelque chose sur le terrain. Dans ce registre, il est trop isolé.

Bruges n’était pas en mesure de lutter avec le Standard ou Anderlecht ?

La grande différence avec ces deux équipes, c’est que les joueurs ont l’habitude depuis plusieurs années d’évoluer ensemble. Chez nous, il a fallu tout construire avec des nouveaux joueurs et surtout des gars qui ne connaissent pas le championnat de Belgique. Au Standard, on transfère des footballeurs issus de la compétition belge, pas des étrangers qui ont besoin d’un temps d’adaptation.

 » Le nouvel entraîneur va arriver avec un vrai schéma tactique « 

Qu’est-ce que le nouvel entraîneur, le Hollandais Adrie Koster va pouvoir apporter ?

Déjà, il va arriver avec un schéma tactique bien précis. Il suffit de regarder le foot hollandais pour voir que les équipes ont un jeu bien défini. Et puis, il va arriver sans a priori. Les dossiers sur Ciman ou d’autres seront effacés. Tout le monde devrait partir à égalité.

Qu’est-ce qu’il vous manque à vous pour progresser ?

L’intelligence. Je veux dire l’intelligence de jeu ( il rit). J’en suis conscient. Je ne demande pas assez la balle en profondeur, je ne me démarque pas à bon escient et puis je ne lâche pas assez vite la balle.

Leko avait donc raison de dire en début de saison qu’il faudrait deux ballons en match : l’un pour vous et l’autre pour les deux équipes…

Je sais que je dois simplifier mon jeu. Ce n’est pas évident, dribbler c’est mon truc. Si je n’avais pas cette faculté, je ne serais pas ici. Mais c’est vrai que quand je regarde une équipe comme Barcelone, à part Lionel Messi qui cherche l’exploit individuel, tout le monde joue simplement même Thierry Henry, Samuel Eto’o ou Andres Iniesta. Je devrais peut-être m’en inspirer ( il rit).

par thomas bricmont

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