« On se sent seul au monde »

Invité à Bruxelles dans le cadre du RefereeDay, l’Anglais, considéré comme le meilleur de sa catégorie, s’est confié à Sport/Foot Mag.

Vous avez expliqué aux aspirants-arbitres que vous ne vous étiez tourné vers l’arbitrage qu’à 18 ans, faute d’atteindre un niveau suffisant en football. C’était cette discipline-là ou le journalisme ?

Howard Webb : Mes goûts ont changé avec l’âge. Au départ, l’anglais était ma branche favorite à l’école primaire et j’aimais écrire. Je m’imaginais donc bien dans la peau d’un rédacteur. Mais, j’ai ensuite été attiré par l’uniforme. Mon ambition était de devenir agent de police… ou arbitre. À douze ans, je pensais, comme tous les gamins de cet âge, être capable de réaliser une carrière professionnelle en football au poste de défenseur central. Ou, à défaut, de devenir arbitre, comme mon père. Pendant des années, j’ai joué au football tous les dimanches matins, avec mes amis. Après coup, je dirigeais un match de jeunes. Ensuite, j’allais voir mon équipe favorite : Rotherham United. Le football a toujours dominé ma vie.

Luc Wouters, un de nos arbitres de D1, nous a récemment confié que les premières années sont les plus dures, vu qu’on siffle alors devant une vingtaine de personnes et qu’on entend tout ce que les gens crient.

En effet, et cela arrive au moment où on a peu d’expérience et où on commet encore souvent des erreurs. On est donc très fragile, au risque de décrocher. L’Union Belge m’a dit que 800 candidats-arbitres se présentaient chaque année mais que la moitié abandonnait très rapidement suite à des incidents ou des critiques. C’est pour cela qu’il est très important de sensibiliser les referees en herbe.

Selon vous, quel aspect sous-estiment le plus les jeunes arbitres ?

La solitude. Je la ressens toujours. Je me sens parfois seul, même dans un stade de 70.000 personnes. Heureusement, le football de haut niveau met à notre disposition un système de communication qui nous permet de parler à nos adjoints. Nous nous sentons donc plus soutenus et c’est très important.

Un arbitre doit-il entretenir de bons contacts avec les joueurs ou doit-il plutôt conserver ses distances ?

Une ligne claire et nette doit séparer les officiels des joueurs mais la communication est aussi très importante car mes décisions sont rarement en noir et blanc. Généralement, la moitié des personnes les trouve correctes et l’autre moitié pas. Je suis constamment dans une zone grise.

Avoir l’air sévère, comme vous ou comme Pierluigi Collina jadis, constitue-t-il un avantage ?

L’apparence peut être utile, mais la personnalité et le regard sont tout aussi importants. Voyez Frank de Bleeckere : il n’en impose pas particulièrement par son aspect mais, sur le terrain, il rayonne. Il est toujours bien situé. Le plus important, selon moi, est d’être en parfaite condition physique. C’est autrement plus important que le gabarit. Les joueurs vous croient plus facilement si vous êtes proches de l’action.

 » L’arbitre a la meilleure place du stade  »

Quelle est la différence entre la Premier League et la Champions League ?

Le jeu est plus rapide par moments en Angleterre. La Ligue des Champions est un peu plus facile à gérer car elle n’a pas la même intensité pendant 90 minutes. En revanche, je suis sans doute plus détendu en Premier League, dans la mesure où j’y ai affaire aux mêmes joueurs et aux mêmes équipes.

Parvenez-vous à savourer un match, par exemple quand Lionel Messi réalise un superbe dribble ?

Naturellement ! Un arbitre a la meilleure place du stade. Quand un match est difficile, je n’en profite pas beaucoup mais il m’arrive de temps à autre de me régaler. Le meilleur match que j’ai dirigé, c’est Arsenal-Liverpool il y a trois ans. Il s’est achevé sur le score de 4-4. Andreï Arshavin a marqué les quatre buts des Gunners. C’était une joute passionnante et je n’ai dû siffler que huit fautes au total.

Est-il difficile de réfréner ses émotions pendant un match ?

Un arbitre doit être prêt en permanence, sans avoir de préjugés. Il ne peut pas tenir compte de la réputation de l’un ou l’autre, comme d’un joueur qui se laisse vite tomber, par exemple. S’il y pense, il prendra une mauvaise décision.

Je ressens toujours une saine nervosité avant un match important. Mais dès que je monte sur le terrain, je suis dans ma bulle et j’essaie de ne pas trop penser aux spectateurs ou téléspectateurs, comme lors de la finale du Mondial. Le public a un impact sur le comportement des joueurs. Il peut les exciter. À notre niveau, il faut être suffisamment fort, mentalement, pour gérer ça.

Vous avez traversé un moment difficile pendant l’EURO 2008 : des hooligans polonais vous ont menacé, ainsi que votre famille restée en Angleterre après une décision douteuse lors de la rencontre d’ouverture entre l’Autriche et la Pologne.

C’était mon premier grand tournoi, un véritable honneur. Ces menaces étaient évidemment moins marrantes, surtout qu’elles concernaient aussi ma famille. L’arbitrage est mon choix, pas le sien. Je n’ai pas eu peur mais je ne me suis pas senti tout à fait à l’aise non plus. Je me suis dit que seule une infime minorité réagissait ainsi. Dans une situation de ce genre, il faut faire confiance aux gens qui vous entourent et l’UEFA m’a beaucoup soutenu.

J’ai aussi discuté avec ma femme de la possibilité de quitter le tournoi avant terme mais elle a jugé que je devais rester.

Quel est l’impact réel de la corruption et des manipulations de matches ?

Nous savons que c’est une menace. L’UEFA et la FIFA la prennent au sérieux. Récemment, la FIFA a consacré un séminaire à la corruption, à la manière dont nous pouvons la déceler et comment la gérer. Certains sont des cibles faciles pour les mafieux, et les arbitres émargent à cette première catégorie. Mais, en 23 ans d’arbitrage, je n’ai jamais été directement confronté à ce problème.

PAR MATTHIAS STOCKMANS

 » Je n’ai jamais été directement confronté à un problème de corruption. « 

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