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 » ON SE LASSE VITE D’UNE VIE TROP CALME « 

Rarement épargné, souvent critiqué, constamment épié, Geoffrey Mujangi Bia se met au vert depuis deux ans du côté de Sion. L’occasion de prendre un peu de recul sur une première partie de carrière contrastée.

Geoffrey Mujangi Bia connaît la route. Celle qui mène du Valais à Anvers. De Sion au cabinet de Lieven Maesschalck, plus exactement, pour un homme qui n’a pas été épargné par la guigne ces deux dernières saisons. C’est donc assez naturellement chez lui, à Zellik, qu’on retrouve ce Bruxellois passé par Charleroi et le Standard. Là, précisément, où il a grandi entouré de son cousin, Pelé Mboyo, et de ses deux potes de toujours, Anthony Vanden Borre et Hervé Kagé.

Aujourd’hui éparpillée aux différents échelons du football pro, la bande semble pourtant plus soudée que jamais. Dix ans après ses débuts professionnels, Geoffrey Mujangi Bia dresse, lui, pour la première fois le bilan d’une décennie passée en pleine lumière. Des spotlights aveuglants de la Premier League aux charmes plus intimistes de la Super League Suisse, retour sur une trajectoire décidément pas comme les autres.

Le grand public t’a découvert il y a tout juste 10 ans avec Charleroi. Qu’est-ce qui a changé chez Geoffrey Muganji Bia en une décennie ?

GEOFFREY MUJANGI BIA : C’était à Zulte en décembre 2006, très exactement ! Je n’ai rien oublié, mais je vois le foot différemment avec le recul. À 17 ans, t’es un ado plein de rêves ; à 27, t’es un adulte qui commence à comprendre la vie, c’est toute la différence. Au moment où je dispute ce premier match en D1, je me souviens qu’il n’y avait que le foot dans ma vie. J’étais plein d’ambitions, je rêvais d’une carrière de dingue mais je n’avais pas conscience du monde dans lequel je venais de mettre les pieds. Après 10 ans dans ce milieu, tu comprends qu’il y a des choses plus importantes que le ballon. Aujourd’hui, je sais d’où je viens. J’ai aussi compris qu’il y avait des choses pires que le football ou de ne pas aboutir au Real Madrid. La vie de famille, la vie en général, les responsabilités : c’est ça le plus important pour moi aujourd’hui.

À t’entendre, on a l’impression que tu es un peu désabusé, presque dégoûté par le milieu. Est-ce à dire qu’il n’y a plus rien qui te fait rêver aujourd’hui dans le foot ?

MUJANGI BIA : Pas forcément. J’ai réalisé quelques-uns de mes rêves, pas tous, mais je suis fier de pouvoir dire que j’ai fait une carrière. Peut-être pas celle attendue, mais j’ai percé, j’ai réussi. Et faire une carrière quand on vient des quartiers, ce n’est pas évident. Nous, sur une bande d’une dizaine, on n’est que 4 à l’avoir fait. On ne s’en rend pas compte, mais c’est déjà énorme. Gamins, on n’avait que Patrick Dimbala comme exemple de réussite d’un jeune des quartiers. Et puis, certains l’oublient, mais j’ai quand même joué en équipe nationale (2 sélections lors de la Kirin Cup 2009, NDLR). J’ai aussi découvert la Premier League à une époque où il n’y avait pas encore 80 % de Diables en Angleterre. Quand j’étais petit et que je regardais la Premier League, il n’y avait aucun Belge, à part peut-être Luc Nilis ou Carl Hoefkens plus tard. C’était considéré comme le sommet de jouer en Angleterre. En tant que jeune, je me disais : ‘Si seulement moi aussi je pouvais jouer ne fût-ce qu’une minute dans ce championnat ? ‘ Bon, ben 10 ans plus tard, je peux dire :  » mission accomplie « . C’est clair qu’une fois que tu y as goûté, tu en veux toujours plus. Mais des fois dans la vie, il faut aussi pouvoir se contenter de ce qu’on a.

 » APRÈS CHARLEROI, J’AI DÛ SAUTER DANS LE VIDE  »

Quelle différence entre toi et d’autres Diables qui se sont installés dans la durée en Premier League ?

MUJANGI BIA : Quand je pars à Wolverhampton en 2010, j’ai 20 ans et je n’ai vraiment connu que Charleroi. J’étais beaucoup trop jeune, je manquais d’expérience. Tu ne peux pas passer de Charleroi au meilleur championnat du monde, ce n’est pas possible. Vous allez me dire qu’Adlène Guédioura ou Christian Negouai l’ont fait, mais ils avaient déjà un certain bagage. Le problème se situe au niveau de mon entourage et du club. Dans les coulisses, il s’est passé beaucoup de choses à l’époque. J’ai été sollicité par des plus gros clubs belges, comme le Standard, mais Charleroi était trop gourmand. Ça m’a fermé beaucoup de portes, à commencer par le marché belge. J’aurais pu, comme d’autres, découvrir l’Europa League ou la Ligue des Champions, avant de partir. Mais non, j’ai dû sauter dans le vide. À Charleroi, on s’entraînait une fois par jour, on faisait de la muscu de temps en temps et je débarque en Angleterre face à des monstres physiques, mon corps n’a pas tenu.

Pourquoi ne pas avoir retenté ta chance en 2015, au moment de quitter le Standard pour Sion ?

MUJANGI BIA : A cause de mes expériences passées à Wolverhampton et Watford, l’Angleterre, ça devenait compliqué. C’était un peu fermé pour moi. Et puis, on ne va pas tourner autour du pot, j’avais 26 ans, il était temps de rentabiliser ma carrière. C’est vrai, j’ai été sollicité par des clubs de championnats peut-être plus réputés que le suisse, comme la Ligue 1, mais je n’avais pas envie d’aller en France pour gagner moins que ce que j’avais au Standard. Ce n’est pas l’argent qui dicte tout, mais cela fait partie d’un tout. À mon âge et dans ma situation, je me devais d’évoluer sportivement et financièrement. Beaucoup de gens n’ont pas compris que je signe à Sion mais, concrètement, qui peut me dire aujourd’hui que le Standard est plus ou moins fort que Sion ?

Ce qui pourrait te manquer, c’est cette ferveur propre au foot en Belgique qu’on imagine moins forte en Suisse ?

MUJANGI BIA : Bien sûr que la ferveur du foot en Belgique me manque, mais regretter non, jamais ! Mon choix, je l’assume. Le problème, c’est qu’en deux ans, je n’ai jamais vraiment été à 100 % physiquement. Il n’empêche que quand j’étais apte à jouer, j’ai toujours évolué à un bon niveau. Et je n’ai pas encore dit mon dernier mot. De toute façon, partir ou rester, cela ne dépend jamais vraiment du joueur. Il me restera un an de contrat cet été, on verra ce qu’il y aura sur la table à ce moment-là. Mais moi, je n’exclus rien. Je ne me prends pas la tête. À Sion, j’ai un certain confort de vie. Le problème, c’est que je n’ai jamais été habitué à ce confort-là. On se lasse vite d’une vie trop calme.

 » RÉUSSIR, C’EST FAIRE DES SACRIFICES  »

Tu te serais imaginé cette vie bien rangée, loin de l’agitation bruxelloise il y a quelques années à peine ?

MUJANGI BIA : Non, clairement pas. Je ne voyais pas ma vie comme ça. Après, il y a un tas de points positifs, notamment pour l’éducation de mes enfants. J’aurais, par exemple, pu aller en Turquie, gagner 10 fois plus d’argent, mais quelle vie aurais-je offert à mes proches ? Ici, il y a l’école en français, ils peuvent aller skier, se balader en montagne, ils ont la belle vie.

Avec le temps, on se doute que ton statut dans le vestiaire a évolué aussi. Tu es devenu petit à petit l’ancien, celui dont on attend qu’il guide les jeunes. C’est un rôle qui te plaît ?

MUJANGI BIA : Ici, on est plus cool qu’en Belgique, on ne cherche pas à avoir des leaders partout, les gens se mettent moins de pression. Les petits, ici, parfois ils m’appellent le vieux. Ça chambre un peu, mais ça fait partie de la vie, on doit s’y faire.

Je n’ai pas peur de vieillir, ça me fait plaisir de voir des jeunes monter en équipe première. J’essaie de leur apporter quelque chose. D’abord, pour qu’ils ne fassent pas les mêmes erreurs que moi, ensuite pour qu’ils arrivent plus loin que moi.

Avec Hervé Kagé, Pelé Mboyo et Anthony Vanden Borre, vous avez lancé en 2015 votre projet social, MiB, pour aider les jeunes Bruxellois à s’inscrire dans un projet sportif. Où en est-il aujourd’hui ?

MUJANGI BIA : Le but initial, c’est d’être une aide à la jeunesse bruxelloise dans toutes sortes d’activités, mais essentiellement sportives, parce qu’on connaît tous les difficultés que ces jeunes-là peuvent rencontrer. On veut surtout éviter que ces gamins aient les mêmes problèmes que nous, à l’époque. Tous ont des rêves, des objectifs. On aspire juste à rendre tout ça possible. Beaucoup de jeunes me contactent sur Facebook pour me dire :  » Ouais MiB, trouve-moi un test, je suis dans tel club, mais mon entraîneur ne me fait pas jouer. Je veux changer, etc…  »

Je réponds toujours qu’à partir du moment où tu es déjà dans une structure, tu dois en profiter. Ce n’est pas nous qui allons leur ouvrir les portes du foot pro. Nous, ce qu’on veut, c’est les pousser à apprendre que réussir, c’est faire des sacrifices. Tu as des gamins qui te disent vouloir être pro, et puis, quand tu vois leurs photos, tu te rends compte que les gars passent leur vie en boîte de nuit. Les réseaux sociaux, c’est parfois encore pire que les médias (rires).

 » LA PRESSE A FAIT DE NOUS DES BAD BOYS  »

Les médias, justement, ça a souvent été le nerf de la guerre pour vous. Tu penses que ta carrière aurait été fort différente sans ce matraquage médiatique dont vous avez parfois fait l’objet tous les quatre, compte tenu de vos tempéraments respectifs ?

MUJANGI BIA : Évidemment, on a tous loupé des possibilités de transfert à cause de l’image que les médias ont voulu donner de nous. C’était quoi, la réflexion de l’époque ? Faire de 4 jeunes potes de Bruxelles, avec un peu de caractère et quelques petites histoires à gauche et à droite, les bad boys du championnat. Je vais vous donner un exemple qui reflète bien l’impact qu’ont eu les médias sur ma carrière. C’était à l’arrivée d’Astrit Ajdarevic au Standard. Premier jour d’entraînement, il se fait tacler par Seijas, se relève et lui dit avec de grands yeux :  » C‘est la dernière fois que tu fais ça.  » Que dit le coach :  » Faut le comprendre,c’est un joueur de caractère.  » Trois jours plus tard, il y a un petit qui perd la balle deux fois de suite. Je lui dis de faire attention, il me répond de me taire et là je répète un truc du même genre qu’Ajdarevic 3 jours plus tôt. Ron Jans vient me voir et me dit d’arrêter de menacer les jeunes à l’entraînement. Ça, pour moi, c’est ce qu’on appelle les étiquettes. La différence de traitement entre ce qu’on considère comme un bad boy et  » un joueur de caractère « .

Tu crois toujours qu’il faut avoir un certain profil pour réussir à Anderlecht par exemple, ton club formateur ?

MUJANGI BIA : Je ne sais pas s’il faut un profil particulier, mais je n’avais sans doute pas le bon. Le truc, c’est qu’on a grandi entre deux mondes. Moi, petit, les gens que je voyais au quotidien dans mon quartier, ils n’avaient pas d’argent de poche. C’est bête, mais s’ils avaient envie d’une paire de baskets, ils ne pouvaient pas aller dire à leur mère :  » Donne-moi 100 ?, je vais m’acheter des chaussures « . Donc, il faut se débrouiller. Et puis, toi, tu vas au foot à Anderlecht et tu joues avec de belles baskets, tu es dans un cadre complètement différent et tu comprends qu’il y a des injustices partout. La frontière est parfois mince entre ces deux mondes. D’autant que nous n’avions pas d’exemples de réussite, à l’époque. Aujourd’hui, c’est plus simple pour les jeunes. Il suffit de leur dire :  » Tu veux faire quoi ? Une carrière comme Vincent Kompany ou aller en prison, comme d’autres ? « . Pour nous, à 12 ans, la première option, elle n’existait pas encore et je suis fier de faire partie de ceux qui l’ont rendue possible.

La génération 1997 qui monte à l’heure actuelle, c’est celle des Tielemans, des Dimata… Elle te rappelle tes jeunes années ?

MUJANGI BIA : Je les ai tous connus à Neerpede avec les autres. Landry Dimata, Youri Tielemans, Musonda Jr, Dodi Lukebakio, Aaron Leya Iseka, on les a vus petits. On est content pour eux de voir que ça marche. On espère qu’ils feront mieux que nous, mais on ne se compare pas à eux. Ce sont des jeunes qui ont beaucoup de talent et qui ont la chance d’être bien encadrés. Tous ont pu profiter du projet  » Purple Talents « , c’est quelque chose dont on a rêvé pendant 10 ans à Anderlecht. Nous, on a grandi avec des maquettes du centre de formation, eux ils l’ont eu à disposition pendant l’ensemble de leur formation. C’est un outil formidable. Ils doivent se servir de ce bagage-là pour aller le plus haut possible.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Avec le recul, j’ai compris qu’il y a des choses pires, dans la vie, que de ne pas aboutir au Real Madrid.  » GEOFFREY MUJANGI BIA

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