On se déchaîne !

Ces trois experts distribuent les bons et les mauvais points à un football belge sorti de dépression.

Nos trois interlocuteurs de luxe débarquent dans les locaux de Sport/Foot Magazine casquette vissée sur la tête. Marc Degryse est devenu le consultant numéro un du paysage médiatico-footballistique belge. Marc Wilmots a, lui, retrouvé le terrain et harangue du Diable au côté de Dick Advocaat. Quant à Stéphane Pauwels (tout auréolé du Moustique d’or de l’impertinence), il continue à dézinguer sur Studio 1/La Tribune, et ailleurs, avant d’espionner plus ou moins anonymement le jeune talent pour l’AS Monaco.

Singulièrement différents dans le style, tous les trois ont en commun de bouffer du terrain toutes les semaines et de porter un regard vif, à contre-courant parfois, sur notre football. Le mélange des genres détonne mais fonctionne : analyse toute en technicité, verve bundesliguienne ou ambianceur, nez rouge et saillies bien senties, y en a pour tous les goûts …

Anderlecht en roue libre ?

Qu’est-ce qu’Anderlecht doit encore craindre ?

Wilmots : De croire qu’il est champion.

Degryse : De perdre rapidement des points. Mais Bruges devrait aussi en gaspiller. Pour moi, le champion est connu.

Wilmots : En tout les cas, ce serait une énorme surprise si Anderlecht ne l’est pas.

Pauwels : Je ne pense pas que le titre soit joué. Six points, ça se perd vite. Et comme dit Marc, tout va se jouer dans les premiers matches de play-offs. Tout le monde va vouloir se farcir les Mauves, prestige oblige. Et cela pourrait bénéficier à Bruges. N’oublions pas non plus que c’est le Club qui est sorti vainqueur moral des deux duels face à Anderlecht. Je le répète : l’exclusion de Vargas est pour moi le tournant du championnat. Si les Brugeois gagnent ce soir-là, ils reviennent à trois points des Mauves, qui auraient alors pu tergiverser.

Quelle différence par rapport à l’Anderlecht de l’an dernier ?

Pauwels : Tactiquement, je n’en vois pas beaucoup. Anderlecht est plus régulier et l’ambiance dans le vestiaire me semble positive. Aussi, et je sais que ça va faire hurler, ils ont eu un calendrier favorable. Avec des matches qui se mettaient bien… Sans oublier, Lukaku dont les Mauves sont devenus dépendants, plus Legear qui se soigne mieux et dont le talent est indiscutable.

Wilmots : La grande différence, c’est qu’Anderlecht s’est doté de Mario Innaurato, un préparateur physique full-time. Il a réussi à mettre tout le monde au pied du mur en leur parlant à chacun de leurs faiblesses. D’autre part, il a façonné un programme individualisé pour chaque élément. Si Suarez ne joue pas, il a un programme spécifique le dimanche matin, ce qui lui permet d’avoir la même dose de travail que les autres, de pouvoir être dans le coup plus rapidement si on fait appel à lui. Le meilleur exemple : la très bonne rentrée de Nemanja Rnic face à Charleroi. Le Serbe n’avait plus joué depuis une plombe mais a su être dans le coup directement.

Degryse : Les jeunes m’ont positivement marqué. Ils ont superbement progressé surtout si on se réfère à l’équipe qui avait affronté Bate Borisov il y a plus d’un an et demi.

Wilmots : Si tu prends Proto-Mazuch-Kouyaté-Biglia-Lukaku, tu trouves un axe très jeune et très intéressant.

Et au niveau du jeu ?

Degryse : Je note une évolution dans le pressing. Il y a un an, Anderlecht n’était pas capable de prendre un adversaire à la gorge. Maintenant, le pressing est juste, équilibré. Surtout dans le registre de Biglia et de Kouyaté. Et n’oublions pas la solidité défensive, hormis lors des deux matches face à Hambourg…

Quelle est la touche Jacobs dans ces bons résultats ?

Degryse : Il sait où il va et travaille en conséquence.

L’an passé à la même époque, le discours était plus dur…

Degryse : Oui, car Anderlecht n’était pas capable à ce moment-là d’imposer son rythme sur la rencontre, de dominer l’adversaire en toutes circonstances. Le changement est récent car à Zagreb, Anderlecht s’est montré très, trop prudent, à la maison face à l’Ajax, également.

Wilmots : L’ensemble me parait moins complexé. Surtout depuis Bilbao. Observez quelqu’un comme Kouyaté, que ce soit face à Barcelone ou face à un sans-grade, faut pas se tracasser, il va galoper. La saison dernière, on avait tendance à attendre beaucoup trop de Mbark. Toute la pression était sur lui. Maintenant, il est davantage libéré parce qu’il sait qu’autour de lui, il y a Biglia, Lukaku, Legaear, Suarez qui savent faire une action.

Pauwels : Jacobs a su créer une dynamique collective dans son vestiaire et c’est déjà très fort. Jacobs, son premier métier c’était entraîneur des jeunes en équipe nationale et on sent qu’il les comprend, qu’il sait comment ils fonctionnent. Il a cette faculté de dialoguer avec eux et de ne pas les écraser. Et il a su donner une régularité à plusieurs joueurs dont Biglia qui reste pour moi un joueur moyen mais qui est désormais performant dans la durée.

Degryse : C’est un bon joueur mais pas pour le top.

Jacobs est-il un entraîneur offensif ?

Wilmots : Cela veut dire quoi ça ? Un entraîneur offensif, c’est un entraîneur qui gagne.

Degryse : Jacobs est un entraîneur réaliste. Quand il se rend compte que son équipe n’est pas capable de faire le jeu, il dispose ses pions de façon plus attentiste. Depuis qu’il voit que ses joueurs entreprennent d’aller de l’avant, il ne les freine pas. C’est malin : il faut savoir jauger les qualités de son équipe à des moments précis. Mais pour moi, le seul entraîneur de Belgique qui peut avoir l’étiquette d’entraîneur offensif, c’est Koster. Lui recherche l’attaque à chaque occasion.

Quels secteurs Anderlecht doit-il améliorer ?

Degryse : Au niveau des deux backs. Gillet-Deschacht, ce n’est pas suffisant si tu veux être performant sur la scène européenne. Mais je sais que trouver un arrière aile de talent, c’est très difficile. L’équipe nationale a le même problème.

Sexy Bruges ?

Comment définir le Bruges de Koster ?

Pauwels : C’est pour moi l’équipe qui joue le mieux au ballon.

Degryse : Avant Noël, il a été plusieurs fois impressionnant, comme à Courtrai par exemple. Je ne suis pas un grand fan de Nabil Dirar mais je trouve qu’il manque actuellement au niveau de la création. Il ne fait pas tout le temps les bons choix mais il est le seul capable de faire la différence quand tout est fermé.

Wilmots : Dans le milieu, c’est costaud avec Vadis qui grandit, Geraerts qui revient en force, tout comme Blondel. Tous les trois peuvent apporter le surnombre offensivement. Plus Perisic en n°10 qui fait de ces quatre là un ensemble très complet. La grande surprise, reste Kouemaha. Lui, c’est un b£uf. Akpala est un ton en dessous, même s’il est encore jeune.

Degryse : Koster me fait penser à la période Houwaart que j’ai connue au Club Bruges avec cette même philosophie : marquer un but de plus que l’adversaire. Le Bruges actuel est même encore plus technique.

Koster n’est-il pas trop naïf parfois ?

Degryse : Je l’ai pensé à certains moments.

Wilmots : En tout cas, c’est une équipe qui ramène les gens au stade. Au Standard, c’était 3-0 à la pause et pourtant il a encore sorti Vermeulen, mis Sonck dans la bagarre. Il risquait une casquette. Mais, au final, ils sont revenus dans la rencontre. On a affaire à une véritable personnalité qui est venue dans le football belge et qui a dit :- Avec moi, on joue comme ça, un point c’est tout.

Degryse : De plus, il n’a pas l’image du Hollandais arrogant qui passe difficilement chez nous. D’un point de vue du jeu, son approche est typiquement batave mais sa personnalité est plutôt belge.

Pauwels : On a de la chance en Belgique de pouvoir attirer ce genre d’entraîneur. C’est d’abord un excellent formateur et qui s’impose comme un excellent entraineur.

Le plan de MPH

A-t-on pointé Gand trop haut en début de saison ?

Degryse : Gand n’a jamais été une équipe pour le titre mais bien pour une troisième place. Quand, en l’espace de quelques mois, vous perdez Ruiz et Maric, comment voulez-vous avancer ?

Wilmots : Ils avaient une certaine complémentarité dans l’entrejeu qu’ils ont perdue depuis le départ de Maric.

Pauwels : Je ne suis pas convaincu que Gand soit une équipe irrégulière. Ce qu’il leur manque surtout, c’est de l’efficacité. Custovic ne paye pas de mine mais en terme de ratio but par minute, on fait difficilement mieux. Mais il a été blessé longtemps. Olufade est sur le flanc depuis un petit temps. Ils dépendent de Coulibaly qui n’est quand même pas le plus grand technicien.

Wilmots : Mais il pèse sur une défense. Toutefois, Steph à raison : ils en loupent de trop. Ruiz, il est à près de 20 buts aux Pays-Bas et Maric était capable de te sortir un coup franc quand c’était bouché. Des gars comme ça, ça fait huit à dix points de plus en fin de saison.

Degryse : N’oublions pas que Michel a un plan sur trois ans. Cette année, il devrait jouer troisième et gagner la Coupe. Ce qui serait quand même une belle réussite. Et l’an prochain, je le voit jouer avec pour le titre.

Pauwels : Ce club est en progression constante. Le fonds de jeu est meilleur cette année que l’an dernier.

Degryse : Et pourtant les supporters n’étaient pas contents. Et ça Michel, ça l’énerve. Tout le monde connaît son extrême sensibilité ( il rit).

Magic Brepoels, Leekens le briscard, et Dury le craintif

Comment expliquer la surprise trudonnaire ?

Degryse : Brepoels, c’est un magicien.

Pauwels : C’est un miracle ce qu’il a réalisé.

Wilmots : Quand ils sont montés de D2 en D1, tout le monde disait qu’il leur fallait trois à quatre joueurs. Et pourtant, ils ont gardé le même noyau avec quelques joueurs clefs qui se sont révélés comme Mignolet ou Sidibé. Et d’un point de vue tactique, ils sont parfaitement en place. A l’image de Zulte, c’est un club où l’environnement est sain où l’on te laisse travailler. L’encadrement est là aussi.

Pauwels : Courtrai, c’est la même chose. Jean-Marc Degrijse, l’actionnaire majoritaire du club ne voit par exemple jamais son équipe jouer. Il est toujours à gauche à droite pour scruter tel ou tel joueur. C’est pourtant le boss numéro un de Courtrai. Il faut le connaître, il est un peu ronchon mais c’est un véritable passionné, qui ne recherche aucune publicité. Et puis y’a Leekens, un phénomène. Chaque fois que je le vois il me dit :- Steph, y a pas d’argent ici.

Degryse : Y a pas d’argent mais il a eu au moins dix joueurs au début de saison.

Pauwels : Il a eu tout ce qu’il voulait. Et il se plaint. Mais faut reconnaître qu’il arrive toujours à mettre le tout en musique.

Degryse : Psychologiquement, il est fort. Si tu as de l’expérience, tu rigoles peut-être avec sa façon de faire mais si tu veux te relancer, comme c’est le cas de beaucoup de joueurs à Courtrai, c’est l’homme idéal.

Pauwels : Et comme c’est un vieux briscard, il pense avant tout résultat. Il est capable de fermer la boutique pendant 90 minutes et de gagner 0-1. Il s’en fout pas mal que ça siffle, lui c’est les trois points qui l’intéressent, rien d’autre.

A quand son retour dans un club du top trois ?

Degryse : Je n’y crois pas trop.

Pauwels : A la place du Standard, je le prendrais.

Degryse : Dans une équipe du top, il faut travailler différemment. Dans le même ordre d’idées, les méthodes de de Mos à Anderlecht ne sont pas passées aussi facilement qu’au temps de Malines. A un moment, le joueur te dit :- Arrête, on n’est pas des gamins. L’aspect paternel à l’extrême, je ne crois pas que cela fonctionne avec tout le monde. C’est comme Jacky Mathijssen à Bruges. A vouloir surprotéger son groupe, il a fini par produire l’effet inverse, c’est-à-dire : l’épuiser.

Pourquoi un club comme Zulte Waregem réussit-il avec du Français alors que Charleroi se plante ?

Pauwels : J’ai beaucoup de considération pour la cellule de recrutement de Zulte. Ce sont des gars qui travaillent très bien. Avant d’engager un joueur, ils vont le voir dix fois. Teddy Chevalier, par exemple, ils l’ont suivi du temps où il évoluait à Gueugnon. Ça remonte à trois ans. Aucun détail n’est négligé. Et ils ne prennent pas les fonds de tiroir. Alors que Mogi, lui, fait du copinage d’agents. C’est toujours les deux trois mêmes agents qui leur fourguent des joueurs.

Degryse : Je connais très bien les jeunes arrivés de Bruges : Buysse, Matton, Roelandts. Ce sont tous de bons joueurs mais qui n’émargent pas au top. Voilà pourquoi, ils sont parfaitement à leur place à Zulte.

Dury tire-t-il le maximum de son groupe ?

Degryse : Je le trouve assez prudent. Je pense que Zulte compterait encore plus de points si ses joueurs osaient davantage car c’est une très belle équipe, avec de belles individualités. Face à Bruges, Berrier était outstanding. Tous les ballons qu’il touchait étaient parfaitement dosés. A la 41e minute, il a commis sa première petite erreur. C’était magnifique à voir. Pour moi, au niveau potentiel et avant la blessure de Berrier, Zulte avait les mêmes qualités que La Gantoise.

par thomas bricmont

« Koster est une véritable personnalité qui a dit dès son arrivée :-Avec moi, on joue comme ça, un point c’est tout. (Wilmots) »

« Gillet-Deschacht, ce n’est pas suffisant si tu veux être performant sur la scène européenne. (Degryse) »

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