ON RESTE, VOUS PARTEZ !

Une fois n’est pas coutume, Sport/Foot Magazine s’est intéressé au futsal. Mais la raison première de cet intérêt tient au fait que deux rencontres avaient lieu, le samedi 2 décembre, à la prison d’Ittre. C’était l’anniversaire des dix ans de l’action : Foot enprison. Enzo Scifo et quelques avocats emmenés par Me Jean-Philippe Mayence étaient présents. L’expérience fut avant tout humaine. C’était l’occasion de se pencher sur les bienfaits du sport en milieu carcéral. Mais il était aussi important de mettre en évidence le comportement des détenus et les conditions dans lesquelles ils ont pu vivre l’expérience. Une pléiade de journalistes télé et de la presse écrite avaient répondu favorablement à l’invitation.

Le décor allait vite être planté. La prison d’Ittre, de haute sécurité, se situe à deux pas des anciennes forges de Clabecq. Le quartier est donc assez triste. L’établissement pénitentiaire en impose. Il est entouré de grands murs et de fils barbelés. Le parking des visiteurs est désert. Il semble que l’on soit les premiers. Après une petite hésitation, on se dirige vers la porte d’entrée où l’on sonne. Il n’y a pas de comité d’accueil. Un gardien nous demande pourquoi nous sommes là. Nous lui répondons que c’est pour les dix ans du Foot en prison.

 » Carte d’identité, s’il vous plaît « , lance le gardien. On obtempère. Il précise également qu’il est interdit d’entrer avec un téléphone portable et qu’il est préférable de le laisser dans la voiture car la consigne n’est pas sûre. De retour du parking, on nous prend en photo et on nous confectionne un badge. Prochaine étape : le détecteur de métaux. L’atmosphère se détend quelque peu et nous échangeons quelques mots avec des gardiens.

Après le contrôle, nous pénétrons dans l’enceinte de la prison, accompagnés par une gardienne munie d’un talkie-walkie. Pour chaque porte, elle signale notre présence. L’ambiance devient alors très pesante. Tout est gris ou blanc. Il y a des barreaux à toutes les fenêtres. Nous croisons quelques regards avec certains prisonniers vêtus de tuniques blanches. Après une dizaine de portes, nous arrivons dans un long couloir qui donne sur la cour de la prison. Au milieu de celle-ci, il y a quelques plantations. Nous apprendrons par la suite que l’horticulture fait partie des activités des détenus. En face de ce couloir, nous apercevons les cellules. Posées sur des barreaux, des chaussures de sport et une tenue nous font penser que le sport est omniprésent dans la prison. Mais la vision reste triste et dérangeante…

Le gardien reçoit alors un appel sur son talkie-walkie.  » Les détenus arrivent ! « . Nous nous dirigeons alors vers le couloir. Nous apercevons alors un gardien avec deux ballons et les prisonniers en tenue de sport. Impressionnant…

Ils sont extrêmement enthousiastes et semblent un peu déstabilisés par l’objectif. Ils entrent alors dans la salle puis se dirigent vers leur vestiaire. Impossible de le rater puisqu’il y est annoté  » Douches détenus « . Ils sont alors mitraillés par les photographes. Ça les fait rire. Un prisonnier profite des douches pour se raser. On échange alors quelques mots avec un détenu. Il s’appelle Mohamed. Il semble assez déprimé. Son visage est même triste mais il nous précise que cela fait du bien ce genre d’initiatives.  » Ça fait cinq ans que suis ici. Et franchement, ça nous change du quotidien « .

Un joueur prend alors la parole. Il s’appelle Emile. Il avait déjà purgé une peine de prison et, à sa sortie, il avait été intégré à l’équipe de futsal Action 21 en tant que professionnel. Mais il est retombé à cause d’une bagarre…  » Les gars ! On est là pour donner une image positive de la prison ! « . Il semble être le leader de l’équipe. Ce qui se confirme sur le terrain. Il distille alors quelques conseils aux plus jeunes. Emile est très athlétique. Une base, comme on dit. Nous entamons alors une petite discussion avec lui. Il ne paraît pas ses 36 ans et est très sympathique.  » Ici, on trouve de tout. Ça va du voleur de poule au meurtrier en passant par le braqueur de banque « .

Nous lui demandons alors si la prison est bien l’école de la récidive comme d’aucuns s’accordent à le dire.  » Ça dépend de ta volonté. Si tu veux t’en sortir, il faut affronter la réalité et purger ta peine en réfléchissant. On nous demande de nous réinsérer mais ce n’est pas facile. Trouver un emploi est déjà difficile en temps normal. Ajouter la prison à votre C.V., toutes les portes se ferment. On commence à travailler en prison mais l’on touche un salaire de misère : 80 centimes de l’heure. De plus en prison, il faut tout acheter. Que ce soit le papier toilette ou encore le dentifrice. Et c’est plus cher qu’à l’extérieur ! Par exemple, la télé, c’est 22 euros par mois ! Pour chaque compartiment de l’établissement, on doit porter une tenue différente. Dans cet univers, le sport est donc important, car il n’y a pas grand-chose à côté pour se divertir. Certains prisonniers en viennent à se gaver de médicaments pour oublier. Pour le foot, je suis un peu le leader. Cela s’est fait naturellement car j’ai été joueur professionnel. Les contacts avec les gardiens sont la plupart du temps très bons même si certains installent une distance. On leur donne de l’autorité et ils se sentent donc supérieurs à toi. Mais il n’y a pas de grandes différences. Le métier de gardien n’a pas été un choix pour eux. Il s’est imposé : il constitue pour eux la dernière issue avant le chômage ! « .

Au bout de ce couloir, une porte entrouverte sur laquelle est collée une feuille en papier avec comme message :  » Tout détenu surpris à fumer au-delà de cette porte se verra gratifier d’un rapport disciplinaire « . Passé la porte, nous découvrons la salle de sport. Un gardien a remplacé sa collègue. Il nous informe que la prison est destinée aux personnes condamnées à une lourde peine, c’est-à-dire de 5 à 33 ans, ce qui équivaut à la perpétuité. Marc Dutroux y séjourne d’ailleurs.

La salle de sport est banale et ressemble à toutes les autres, à l’exception d’une petite pièce vitrée destinée à la surveillance. Il y a deux buts, deux panneaux de basket et quelques chaises. Le gardien nous précise que pour participer à une activité sportive les détenus doivent s’inscrire. Ils ont le choix entre le basket, le foot et la musculation. Pour cette dernière discipline, ils bénéficient d’une salle très bien équipée.

Les détenus sont divisés en deux équipes. L’une va affronter la formation des avocats et l’autre celle de futsal. Avant la première rencontre, tout le monde se réunit et le directeur de la prison, Alain Fonck, prend la parole.  » Je remercie d’abord l’Union Belge qui a permis cette collaboration. Je remercie aussi Pierre Bodenghien d’être présent chaque semaine pour coacher les détenus. Nous bénéficions d’infrastructures modernes et il faut les rentabiliser. Le sport permet aux détenus de se maintenir en bonne condition physique et de laisser échapper une saine agressivité. On est tous gagnants dans cette histoire ! Joueurs, entraîneur et gardiens. Cette initiative permet aux détenus d’être responsables. Ils ont pu démontrer précédemment qu’ils jouissaient d’un excellent niveau. Merci à tous les joueurs et que le sérieux règne pour ce dixième anniversaire ! « .

Le directeur semblait ému pendant son discours. Ce qui semble logique car choisir un tel métier ne relève pas du hasard. C’est une démarche altruiste. Maître Mayence y va aussi de son petit mot.  » Ce match permet de démontrer que nous ne sommes pas vraiment différents. D’habitude pour moi c’est la toge et pour les détenus, les menottes. Sur un terrain de foot, il n’y a rien de tout cela ! « .

Vient ensuite l’accolade. S’y ajoute Scifo qui sert la main à chaque détenu. Freddy lui fait un sourire espiègle et Scifo rigole et lui tape sur l’épaule. La première rencontre peut commencer.

Les propos d’Emile étaient réfléchis. En arrivant à la prison, on s’attend à rencontrer des personnes complètement différentes de celles que l’on côtoie au quotidien. Mais la différence n’est pas flagrante. Il n’y a aucune agressivité et ils sont tous contents que nous soyons là. Le reste de la presse débarque, suivie de l’entraîneur bénévole déféré par l’Union Belge Pierre Bodenghien, les avocats, une équipe professionnelle de futsal et Enzo Scifo. Les détenus frappent dans le ballon. Bodenghien les convoque alors dans le vestiaire. Il leur fait un discours pour le moins rassurant.  » Allez les gars ! Il y a beaucoup de détenus qui aimeraient être à votre place. J’ai dû faire un choix. Sur le terrain, on s’auto-arbitre. Je ne veux pas de contacts. Et s’il y a une petite faute, on ne discute pas et on donne le ballon. Le principal, c’est de se faire plaisir. On est cool, ok ? Tout va bien ! « .

L’engagement est de tous les instants, dans un camp comme dans l’autre. Freddy nous confirmera par la suite.  » Il jouent très physique les avocats « . Assis sur une chaise, le bourgmestre sortant d’Ittre, Daniel Vankerkove se passionne pour le match. Il nous informe aussi sur l’événement.  » Ces matches font partie d’un ensemble de manifestations à l’intérieur de la prison. Plusieurs bénévoles de la commune participent à différentes activités : peinture, exposition, lecture ou encore arts plastiques. Je visite la prison trois ou quatre fois par an. Principalement pour y célébrer des mariages. On ne peut pas empêcher les gens de le faire. Se marier à un condamné à une longue peine est éprouvant pour l’épouse. Mais cela permet aux détenus d’apercevoir le bout du tunnel. Les matches d’aujourd’hui sont très bénéfiques pour les détenus. Cela leur permet d’avoir un contact avec le monde extérieur « .

La rencontre se poursuit. Les prisonniers mènent à la marque par trois buts à un mais se font rattraper par des avocats très efficaces. On oublie presque que l’on est en prison. Pourtant, il suffit de lever la tête et de regarder les fenêtres pour observer qu’elles sont munies de barreaux, même si elles sont inaccessibles. Le score est de quatre buts partout en fin de rencontre. Momo, attaquant et à ne pas confondre avec Mohamed gardien, reçoit le ballon, effectue un contrôle orienté et tire sur le poteau. Dommage ! En l’espace de 20 minutes, nous sommes devenus supporters des détenus. A la dernière minute, Momo plante un goal ! Victoire cinq à qua-tre. Il est l’homme du match.

A la fin de la rencontre, il nous interpelle. Voyant que certains de ses camarades se font interviewer par la télé, il nous demande la pareille. Désolé, nous, c’est la presse écrite. En rigolant, il affirme qu’il prendrait le micro et crierait son bonheur.  » Cette journée, je ne pourrai jamais l’oublier ! C’était génial. Ça nous a permis de nous défouler « .

De leur côté, les avocats demandent une bière en rigolant. En vain. Un gardien nous avait d’ailleurs informé que les détenus n’avaient pas droit à l’alcool. Ils ont seulement droit à une bière sans alcool le jour du Nouvel An. Le deuxième match commence. Même intensité. Mais l’opposition est plus forte. En face, ce sont des pros. Petite anecdote : un des joueurs de futsal joue contre son frère, prisonnier. Si l’équipe emmenée par Emile fait bonne figure, elle ne peut résister aux assauts de l’adversaire. Défaite quatre à six. Mais l’objectif est atteint ! Les détenus se sont fait plaisir.

A la fin de la deuxième rencontre, c’est séance de stretching pour tout le monde. Nous croisons à nouveau Freddy. En entrant dans la salle, il n’avait pas esquissé de sourire. Maintenant, c’est tout le contraire. Il nous exprime ses sentiments.  » D’habitude, on se sent vraiment oubliés en prison. C’est vraiment chouette que l’on s’intéresse à nous. Personnellement, j’ai bientôt terminé ma peine. Il me reste deux ans. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans sport. Après ce match je me sens vraiment soulagé. Ce fut une très belle journée. Je ne l’oublierai pas ! C’est si rare d’avoir des contacts avec le monde extérieur. On se sent presque comme dehors… en liberté. Les détenus n’ont pas que des mauvais côtés. Nous l’avons prouvé aujourd’hui. On a vu des personnes que l’on ne voit pas tous les jours, comme Scifo ou le bourgmestre. Maintenant, c’est bientôt terminé. Nous, on reste ici ! Vous, vous rentrez chez vous. Ça me fait mal au c£ur, rien que de le savoir. La prison, ça m’a fait énormément réfléchir. Je regrette vraiment ce que j’ai fait « .

En voyant les prisonniers, nous avons été choqués par une chose et nous ne pouvons le nier. Ils étaient presque tous Noirs, Magrébins, Turcs ou encore Albanais. Pas de purs Belges, comme diraient certains – non sans être médisants. Ils sont tous issus de l’immigration et pour la plupart de la couche la plus pauvre de la société. Bodenghien l’illustre parfaitement.  » Pour ma sélection, j’ai dû faire des choix. J’ai pris un échantillon représentatif de la population carcérale. La prison m’a appris énormément de choses. Vous prenez la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et son article 1er qui stipule en substance que les hommes naissent égaux en dignité. Et vous l’oubliez ! Vous pouvez même arracher la page. C’est faux ! Tout le monde n’a pas le même chemin de vie. On ne rencontre pas les mêmes difficultés. Humainement, cette expérience est très enrichissante. Il y a beaucoup de détenus qui vous tendent la main. D’autres, non. Mais si l’on gratte un peu, on remarque qu’ils ont un gros c£ur. Notre société a vraiment un problème. Il faut que ça change « .

Notre expérience en prison prend peu à peu fin. L’ambiance devient presque suffocante car nous ressentons l’impression d’être enfermés. Nous demandons donc au garde de nous ramener à la sortie. Dans le long couloir qui donne sur les cellules, nous entendons un musulman murmurer. D’un ton très péjoratif, l’agent nous dit :  » C’est Abdoul qui fait sa prière. Ils prient tous ici ! « . Racisme ou manque d’ouverture d’esprit ? Nous ne le saurons jamais. Ce que nous savons, c’est qu’en prison comme en dehors, il y a des bons et des mauvais.

TIM BAETE

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