On remarque toujours les chauves

Bruno Govers

Son avant croate n’en doute pas: Anderlecht est définitivement lancé.

Pour Anderlecht et son entraîneur, Aimé Anthuenis, ce qui s’apparentait au match de la dernière chance, à St-Trond, a finalement débouché sur une victoire. 0-2, un score quelque peu flatté, toutefois, dans la mesure où les Sportingmen, batailleurs en diable mais en mal d’inspiration, ont simplement profité de deux bévues du gardien trudonnaire, Dusan Belic, pour faire la différence.

Il est heureux que dans leurs rangs, ils aient pu compter une fois de plus sur un Filip De Wilde en forme internationale. A trois reprises au moins, il s’interposa avec brio face aux attaquants locaux, alimentés par un Danny Boffin survolté.

Pour les besoins de ce déplacement au Staaienveld, le coach des Mauve et Blanc crut bon, une fois de plus, de revoir complètement sa copie. En lieu et place d’une défense à quatre, il se prononça effectivement pour une ligne arrière à cinq (de droite à gauche: Joris Van Hout, Olivier Doll, Bertrand Crasson, Aleksandar Ilic et Mark Hendrikx).

Aruna Dindane, fréquemment aligné en pointe depuis le début de la saison, retrouva pour sa part son poste de prédilection sur le flanc droit de la ligne médiane, tandis qu’à l’avant, Ki-Hyeon Seol doubla in extremis Ivica Mornar, victime d’une petite élongation le jeudi. A cet effet, le Coréen fit davantage que se débrouiller, puisque c’est lui qui exploita les deux erreurs du portier local.

Ivica Mornar: Je râle d’avoir loupé cette rencontre en raison de cette douleur que j’ai soudain ressentie au quadriceps. J’étais sûr que nous réaliserions un bon résultat chez les Canaris. Au cours du premier tiers du championnat, le Sporting n’a guère fait honneur à son rang. Mais comment aurait-il pu en aller autrement dans la mesure où le coach n’a jamais pu compter durant tout ce temps sur tout le monde? Semaine après semaine, il a dû composer avec de nouvelles têtes, selon les disponibilités du moment. En matière d’homogénéité, ce n’était pas l’idéal. Depuis une quinzaine de jours, abstraction faite de la malencontreuse blessure de Glen De Boeck contre Lokeren, on sentait quand même le vent tourner. Je n’ai jamais vu autant de monde à l’entraînement que durant cette période, en tout cas. C’est le signe que tout le monde revient dans le parcours. Aussi, à partir du moment où le staff technique aura la possibilité de reconduire le même onze de base, de match en match, la stabilité sera complètement retrouvée. Et on n’en est plus très loin, manifestement. C’est ce qui m’autorise à dire qu’Anderlecht a pris son véritable envol.

Une intégration sans problème

De tous les nouveaux venus, cette saison, vous êtes celui qui s’est le plus facilement intégré. Etes-vous surpris?

Pas vraiment. Contrairement à un garçon tel que l’Egyptien Tarek El Saïd, par exemple, qui avait encore tout à découvrir, je m’étais déjà habitué au football belge en trois campagnes au Standard. Ce vécu est d’application, aussi, à Mark Hendrikx, qui a passé plusieurs années à Genk avant d’aboutir ici. En revanche, quand on fait un saut dans l’inconnu, l’intégration est susceptible de poser des problèmes. Personnellement, j’en avais fait l’expérience, jadis, en transitant chaque fois l’espace d’un an seulement à l’Eintracht Francfort d’abord, puis au FC Séville et enfin au CD Orense avant de me stabiliser à Sclessin.

On dit souvent que l’acclimatation est d’autant plus difficile qu’un footballeur joue haut dans une phalange. Mais compte tenu de votre statut de meilleur buteur actuel chez les Sportingmen, vous tordez le cou à cette réalité-là aussi?

C’est vrai que la tâche est plus compliquée aux avant-postes, où il convient de jouer à la fois plus vite et de manière plus précise que dans les autres secteurs pour être pleinement performant. D’un autre côté, c’est sans doute à l’attaque aussi qu’un footballeur peut se permettre, plus qu’ailleurs, de dépouiller son jeu au besoin. Car quel est le problème d’un arrière ou d’un médian fraîchement arrivés dans une équipe qui ne tourne pas, comme ce fut fréquemment le cas, à Anderlecht, cette saison? Ceux-là, censés aller de l’avant, n’oseront tout bonnement plus rien faire et préféreront se cacher, de peur d’hériter du ballon. Aux avant-postes, c’est différent. Quand l’inspiration fait défaut, il est toujours possible de transmettre le ballon vers l’arrière, dans de bons pieds, sans encourir les sifflets du public. Ailleurs, sur le terrain, c’est différent, car dans un club comme le Sporting, les gens n’admettent pas qu’un défenseur ou un médian ne se prononcent pas en faveur d’une option offensive. A ce niveau-là, je suis un privilégié: j’ai, précisément l’embarras du choix. Lorsque la forme est au rendez-vous, je multiplie dans ce cas les débordements, jaillissements et autres actions incisives. A défaut, je simplifie mon jeu à l’extrême, tout en restant disponible pour mes équipiers. C’est pourquoi, quelle que soit la tournure des événements, les supporters ne pourront jamais dire de moi qu’ils ne m’ont pas vu sur le terrain.

Populaire

Ce souci de donner toujours le meilleur de vous-même est-il de nature à expliquer votre incroyable popularité auprès du public? L’assistance anderlechtoise vous fait les yeux doux, au même titre que les inconditionnels de Sclessin.

La belle cote dont je jouis découle en grande partie, sans doute, de mon attitude sur le terrain. En réalité, aussi loin que je me souvienne, les sympathisants des différents clubs où j’ai joué m’ont toujours eu à la bonne. Bien que les motifs de cette ferveur n’étaient pas partout les mêmes. A l’Hajduk Split, les gens me portaient aux nues car, à 16 ans à peine, j’étais le plus jeune de l’histoire du club à forcer les portes de l’équipe-fanion. Plus tard, c’est mon look, à coup sûr, qui m’aura valu une appréciation toute particulière. Je n’avais pas du tout le crâne rasé en tout début de carrière. Que du contraire, même, car mes cheveux tombaient sur mes épaules ( il rit). Il y eut même une époque où je me singularisai par une seule mèche sur le haut du front. Mais, depuis, je reste fidèle à la boule à zéro. Peut-être contribue-t-elle à ma popularité elle aussi. On remarque toujours les chauves ( il rit). En tout cas, je n’ai qu’à me louer du public anderlechtois, qui est formidable avec moi. Tout ce que je souhaite, c’est qu’il se montre plus clément envers son équipe en général. Par rapport aux supporters liégeois, les Bruxellois sont beaucoup plus critiques. A Sclessin, même quand le spectacle n’était pas à la hauteur, les gens étaient bons princes. Je ne me souviens pas y avoir été sifflé un jour. Quand j’étais joueur là-bas, du moins ( il grimace)…

Justement, à l’occasion de votre retour au Standard, un gigantesque calicot avait été déployé sur lequel on pouvait lire: -Mornar, sais-tu comment nous jugeons les traîtres à Sclessin? Comme dans ton pays. On imagine que cette banderole a dû vous faire très mal?

Effectivement. Je pouvais certes admettre qu’on me hue, car ce n’est jamais de gaieté de coeur, évidemment, qu’un supporter retrouve l’un de ses favoris dans le camp adverse. Surtout, lorsqu’il s’agit de l’ennemi juré, Anderlecht. Néanmoins cette allusion à la guerre dans mon pays, m’a fait très mal, comme on s’en doute. Mais cette page est tournée pour de bon à présent. Après ce regrettable épisode, j’ai reçu un abondant courrier de la part de supporters du Standard, qui se distanciaient de ce qui avait été écrit à mon sujet cette fois-là. Si leur réconfort m’a fait plaisir, je déplore quand même qu’une inscription pareille puisse être déployée dans un stade. Ce n’est pas permis.

A un autre moment encore, cette saison, votre popularité a été mise à l’épreuve: sur la scène du penalty que Glen De Boeck et vous-même désiriez à tout prix botter contre Halmstad?

Je me sentais parfaitement bien et j’ai voulu m’acquitter de cette tâche, dans la mesure où il n’y avait pas, à ce moment-là, de véritable spécialiste-maison en la matière. A mon grand étonnement, notre capitaine s’était porté à ma hauteur alors que je venais de placer le ballon. « Laisse-moi faire », me dit-il. Je ne comprenais pas car Glen n’avait pas été désigné pour cette mission. Je me serais incliné, le plus naturellement du monde, s’il s’était montré insistant. Mais au lieu de m’adresser la parole, il préféra s’emparer de la balle, tout en me bousculant quelque peu au passage. Je ne pouvais pas l’admettre et c’est pourquoi je n’ai pas voulu m’effacer sur cette phase. S’il n’y avait pas eu tous ces enfantillages, j’aurais transformé ce coup de réparation au lieu d’envoyer le cuir sur le piquet. Dommage, car j’aurais compté un goal de plus à mon compteur personnel aujourd’hui.

Pas un finisseur

Avec quatre buts en championnat, deux en Coupe de Belgique et deux en Coupe d’Europe, vous êtes pour l’instant le meilleur réalisateur du Sporting. N’est-ce pas étonnant dans le chef d’un joueur davantage réputé pour ses assists que pour ses dons de finisseur?

J’en suis le premier surpris. Car si mes quatre passes décisives en championnat relèvent d’une certaine logique chez moi, vu mes qualités intrinsèques, les huit goals que j’ai inscrits jusqu’ici constituent un petit exploit. Je ne suis pas, à proprement parler, un finisseur. Je me considère plus volontiers comme un joueur de débordement, aussi bien à droite qu’à gauche, que comme un attaquant purement axial. S’il a fallu que je m’exprime quelques fois en tant que tel depuis le début de la saison, c’est parce qu’Anderlecht, pour des tas de raisons, n’a pas souvent pu compter sur un élément de ce type. Combien de fois, par exemple, n’ai-je pas été amené à composer la ligne offensive avec Aruna Dindane? Or, lui et moi présentons à peu de choses près les mêmes caractéristiques, à cette nuance-près qu’il me devance au plan technique tandis que je suis plus puissant que lui. A divers moments, il nous est arrivé de concert de nous retrouver sur la même portion du terrain, sans que notre entreprise trouve son prolongement dans les 16 mètres faute de partenaire à cet endroit. A force d’entendre dire que l’un de nous deux devait impérativement faire irruption dans la surface au moment où l’autre tentait une incursion sur les flancs, j’ai pris la résolution de plonger plus régulièrement dans le grand rectangle adverse. Parfois avec bonheur, comme contre Lokeren, en Coupe de Belgique, notamment. Mais le déchet au plan de la concrétisation est trop important, pour moi, dans ce registre.

Coupe du Monde

Anderlecht ne possède pas moins de sept avants. Outre vous-même, il y a Oleg Iachtchouk, Dindane, Ode Thompson, De Bilde, Seol et, finalement, Nenad Jestrovic qui n’a encore guère joué jusqu’ici. Estimez-vous logique qu’on attende encore ce dernier comme le Messie?

Dans une certaine mesure, oui. Pour avoir joué pendant deux ans à ses côtés, à l’OFK Belgrade, de 1994 à 96, je sais à quel point Nenad nous sera d’un concours précieux dès qu’il aura retrouvé toutes ses sensations. Il n’est sûrement pas le seul à pouvoir officier comme avant de pointe. De Bilde et Iachtchouk peuvent fort bien s’acquitter eux aussi. Mais pour donner la pleine mesure de ses possibilités, à ce niveau, il faut du rythme. Or, pour ne guère avoir été sollicité pendant deux ans en Angleterre, le premier est, selon moi, toujours à la recherche de cette vivacité-là. Et ce constat vaut aussi pour l’Ukrainien qui a longtemps été diminué par des blessures ces dernières années. Par rapport à eux, Nenad présente l’avantage de n’avoir dû mettre sa carrière en veilleuse que pendant quelques mois. A partir du moment où il pourra s’aligner sans arrière-pensées, il reviendra rapidement dans le parcours et nous fera profiter de sa force de frappe.

Le jour où il sera opérationnel, il terminera meilleur réalisateur chez nous cette saison. Personnellement, si je termine meilleur passeur, je serais aux anges. Cela signifierait que j’aurais continué sur ma lancée actuelle. Or, la concurrence sera rude dans les semaines à venir. Je ferai toutefois tout pour m’imposer: l’année 2002 est synonyme de Coupe du Monde. Et je veux participer à cet événement. Ce ne sera pas une sinécure car le talent ne manque pas avec Alen Boksic, Davor Suker, Zlatko Vlaovic et Bosko Balaban. Mais j’escompte avoir ma place dans le noyau.

Bruno Govers

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