« On peut former un Messi « 

Principal candidat au titre en D2, les Lierrois espèrent réussir un beau coup mardi prochain à Sclessin en Coupe.

Septembre 2007. Joueurs et employés du Lierse n’étaient plus payés depuis des mois, le club venait d’être rétrogradé en D2 et l’affaire Ye restait une épée de Damoclès. Deux mois plus tard, un homme d’affaires égyptien, Maged Samy, reprenait le club, via son holding, Wadi Degla Lierse. Ses ambitions ? Revenir en D1, muer le Lierse en grand club belge, jouer la Ligue des Champions et ériger un stade de 40.000 places. La semaine d’après, tout le monde était payé.

La saison passée, les Jaune et Noir ont raté la montée d’un cheveu et ont trébuché en demi-finales de la Coupe. Malgré les critiques que suscite sa collaboration avec Turnhout et son académie des jeunes, Samy continue à agir. Le Lierse a conservé Tomasz Radzinski et enrôlé Eric Deflandre, Tim Matthys et Gunter Thiebaut. Herman Helleputte dirige un noyau professionnel de 28 joueurs.

Vous ne seriez jamais arrivé au Lierse sans Ye…

Maged Samy : Un investisseur étranger aboutit toujours dans un club en crise : il n’a de chance que quand la trésorerie est dans le rouge. Je comprends que la présence d’Américains et d’Asiatiques ne réjouit pas les supporters européens. Il y a vingt ans, mon pays se méfiait de l’invasion économique de l’Occident mais on ne peut freiner la globalisation, quel que soit son sens.

J’ai visité quelques clubs à vendre mais j’en ai conclu que l’Angleterre n’avait rien à offrir à notre entreprise. Celui qui recherche le prestige doit opter pour l’Angleterre et l’Espagne, pas celui qui recherche des bénéfices : il est très difficile d’engager en Angleterre un joueur hors-CE. Il doit être international et est donc cher. Si on cherche des talents pas trop onéreux, la France, la Belgique et les Pays-Bas sont plus intéressants.

 » Je me suis fait tout seul « 

Pourquoi Wadi Degla, une entreprise immobilière, investit-elle dans le football ?

Je lis chaque année les rapports de Deloitte. Découvrir les bénéfices qu’on peut réaliser avec les transferts donne envie. Je pense que si on a une bonne vision et une méthode à l’avenant, on peut former un Ronaldo ou un Messi et récupérer son investissement.

Peut-être nul n’émergera-t-il de votre école ?

Ronaldo et Messi ont du talent et sont sérieux. Le premier est inné, le sérieux s’inculque. La Belgique a profité de Mido pendant un an, avant qu’il ne rejoigne l’Ajax, comme Zlatan Ibrahimovic. Ses statistiques étaient meilleures que celles de Zlatan mais aujourd’hui, celui-ci est à Barcelone et Mido à Zamalek, son ancien club. C’est une question de mentalité. Si Mido, à onze ans, avait appris à se comporter en professionnel, il serait au Real.

Vous ne cherchez donc pas la notoriété ?

J’ai 41 ans, je ne viens pas d’une famille riche mais je dirige une multinationale. Je me suis fait tout seul. Mon père était ingénieur aéronautique mais travaillait pour l’Etat. Il ne gagnait donc pas beaucoup. Je décèle des choses que les autres ne voient pas, y compris en football. La plupart des grands clubs tentent de retirer de l’argent des droits TV, du sponsoring, de la billetterie. C’est possible en réalisant des transferts onéreux, comme Manchester City, ou en créant des centres de formation en Afrique et en Amérique, comme Arsenal. Je me suis dit : si je faisais le contraire ? Si je montrais mes joueurs en Europe ? En les transférant par après, je récupère ma mise. J’investis peu en comparaison avec les propriétaires de Chelsea ou du PSV. Je verse des peanuts au Lierse.

Comment avez-vous découvert le Lierse ?

En discutant avec un journaliste égyptien, qui recevait un ami, un Egyptien qui travaillait aux Pays-Bas et était impliqué dans le football. Je lui ai dit que j’aimerais reprendre un club européen et que je voulais offrir aux jeunes d’Afrique la chance de réussir en Europe. Il m’a dit avoir des contacts aux Pays-Bas et en Belgique. Jan Gisbers, un ancien directeur d’équipe cycliste, m’a ensuite présenté Leo Theyskens. J’ai découvert un club de tradition, doté d’un avenir, un stade convivial, un club propriétaire de son terrain. Je n’achetais pas qu’un nom mais aussi une propriété.

N’était-ce pas un pari ? Des experts fiscaux belges vous ont-ils déconseillé l’affaire ?

Je ne suis pas un parieur. Il y a sept ans, j’ai discuté de la fondation d’un club privé en Egypte avec une entreprise fiscale. On me l’a déconseillé : c’était un suicide économique. Mais c’est devenu un des plus grands succès de l’économie égyptienne. J’ai pris un risque calculé en rachetant le Lierse. Dans le pire des cas, je peux vendre le domaine et récupérer ma mise. Le complexe vaut 10.000.770 euros.

Vous avez payé moins mais le club risquait la D3 ?

Légalement, on ne peut infliger de sanction sportive deux ans après les faits.

Au début, vous avez dessiné l’avenir du Lierse : la remontée, la mue en grand club belge, la qualification pour la Ligue des Champions et un nouveau stade de 40.000 places. C’est toujours d’actualité ?

Je n’ai pas fixé de délai. Cela peut prendre dix ans. Nous avons raté de peu la montée de même que l’Europe via la Coupe l’année dernière. C’était un départ prometteur. Je ne veux pas gagner un titre, faire la fête puis rester là avec la gueule de bois et devoir tout reprendre à zéro.

En déplacement avec le car des supporters

Pourquoi vivez-vous à Lierre ?

Ce projet est important. Je dois le contrôler. Disons que je passe la moitié de mon temps ici et l’autre en Egypte.

Les supporters sont étonnés de vous voir si abordable : ils peuvent boire une bière avec vous au Themacafé.

Peut-être d’autres présidents ont leur propre entourage et il faut des relations pour les approcher. Je ne suis pas comme ça. Je suis un supporter aussi. Je ne viens pas pour le seul argent mais aussi par passion pour le football. Ainsi, j’aime effectuer le déplacement avec le car des supporters. Nous buvons une bière, mangeons un hamburger et chantons. Après une victoire, je fais la fête au local des supporters, avec plus de bière et de chansons. C’est plus agréable que de rouler dans ma coûteuse Mercedes aux côtés d’une belle fille qui ne s’intéresse qu’à mon argent.

Les gens étaient étonnés de vous voir boire.

Je suis chrétien copte, pas musulman. La bière belge est la meilleure du monde. Je l’ai découvert en arrivant ici.

Avez-vous été surpris que tous exigent de l’argent de votre part ?

J’ai beaucoup payé, même les salaires et les primes de joueurs inculpés dans l’affaire Ye. Mes prévisions représentaient 70 % de ce que j’ai finalement versé. Il fallait sortir de ce cercle vicieux. Le Lierse avait la réputation de ne jamais rien payer. Maintenant, les sociétés effectuent les travaux et envoient la facture ensuite. A mon arrivée, c’était impossible : il fallait avancer l’argent.

On a redouté un nouveau Beveren. Du temps de Jean-Marc Guillou, il alignait onze Ivoiriens.

Mon équipe comprendra toujours un axe de cinq ou six Belges, complétés par cinq ou six Egyptiens ou joueurs d’un autre pays.

Combien d’années patienterez-vous avant de rejoindre la D1 ?

Vingt ans. Wadi Degla a un plan échelonné sur dix ans. Jamais je n’ai échoué. Je ne raterai pas ici non plus.

Que répondez-vous à vos partenaires égyptiens quand ils demandent combien de temps et d’argent vous allez consacrer au Lierse ?

Ils savent que le football n’est pas une société comme une autre. On y a besoin de temps, aussi pour commettre des erreurs.

Traite d’enfants

Radzinski ne voulait pas d’une seconde année en D2. Qu’avez-vous fait pour le convaincre ?

Des clubs de D1 s’intéressaient à lui sans pouvoir payer son salaire. Nous ne lui avons pas proposé plus, il coûte moins que l’année dernière. Je lui ai expliqué mes projets. Il m’a dit que j’étais convaincant.

En annonçant la création d’une académie de jeunes et votre collaboration avec Turnhout, vous vous êtes exposé aux critiques. Vous êtes surpris ?

Je suis surpris que les Européens me montrent du doigt parce que je veux faire avec de jeunes Européens ce qu’ils font depuis des années avec des footballeurs africains là-bas. Nul ne parle de traite d’enfants quand des Européens attirent des jeunes Africains ici. D’ailleurs, est-ce de la traite que de demander à un jeune doué de s’entraîner trois heures par jour au lieu d’une demi-heure ? Lui interdire de jouer plus d’une demi-heure serait de la maltraitance car on l’empêcherait de progresser.

Tout le monde n’est pas d’accord avec les pratiques des Européens en Afrique.

Nous ne vendons pas des gens mais des contrats et des prestations. Kaká aurait gagné plus et rapporté davantage à son club s’il avait accepté l’offre de Manchester City, ce qu’il n’a pas fait : il a rejoint le Real, pour une somme moindre. S’il n’était qu’un objet, il serait à City. Carl Hoefkens ne pouvait-il pas aller en Turquie pour beaucoup d’argent, quand il était lierrois ? Il n’y est pas allé.

Mais on l’a versé un moment dans le noyau B pour faire pression sur lui.

Si c’est le cas, c’est une mauvaise décision. Les joueurs bénéficient de leur transfert. Grâce à Ahmed Hassan, on a investi dans son village. Est-ce mal d’offrir une vie meilleure à ces Africains et à ces Brésiliens, de même qu’à leur région ?

L’arbitrage en cause ?

Avez-vous commis une erreur en sponsorisant Turnhout ? Vous avez annoncé avoir eu, un moment quatre clubs : deux en Belgique, deux en Egypte.

Il était sans doute erroné d’investir à Turnhout avant que le Lierse n’ait rejoint l’élite. Turnhout est un problème : s’il tombe en faillite, j’aurai perdu mon argent et les gens de Turnhout n’auront plus de club.

Que redoutez-vous cette saison ?

Je veux observer l’arbitrage un an de plus. J’espère me tromper mais j’ai parfois l’impression qu’on nous empêche la montée. Le projet d’académie gêne beaucoup de monde. On nous accuse de pratiques maffieuses.

A terme, pouvez-vous continuer à soutenir le Lierse seul ?

De nouveaux investisseurs sont bienvenus. Ils viennent du Golfe, pas pour le football mais pour Wadi Degla. Nos activités footballistiques représentent 5 % de notre budget total, à l’avenir, elles peuvent atteindre de 30 à 40 %.

Allez-vous investir dans d’autres clubs ?

Je ne sais pas mais nous resterons actifs en Belgique car elle est le plus court chemin vers la Ligue des Champions. Il est plus facile et moins cher d’y être champion que de figurer dans le top-4 anglais ou italien.

Cette année, vous voulez le titre et la Coupe. Vous mettez l’entraîneur, Helleputte, sous pression ?

Non. Tout club de D1 peut rêver de gagner la Coupe et nous avons le niveau d’un club de D1. Herman a bien travaillé l’année dernière et son équipe est meilleure cette saison. Il n’a qu’à être champion…

par geert foutré – photos: reporters/ gouverneur

Nul ne parle de traite d’enfants quand des Européens transfèrent de jeunes Africains.

Mon équipe s’appuiera toujours sur cinq ou six Belges.

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