« ON PEUT BATTRE MILAN »

Le grand blond aux chaussures noires est de retour. Il y a 15 jours, Nicolas Frutos a inscrit le but d’Anderlecht à l’AEK Athènes, en Ligue des Champions. L’espoir d’une victoire en terre hellène ne dura malheureusement que trois minutes, mais un point, c’était toujours cela de pris. L’attaquant argentin, qui s’était rapidement imposé la saison dernière avant de devoir passer sur la table d’opération, est surtout un modèle d’intégration : il s’est adapté à la vie bruxelloise aussi facilement qu’au football belge, au point que certains lui prêtent déjà l’intention de demander la nationalité belge.

Votre petite fille Sofia est née en Belgique il y a cinq mois. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

NicolasFrutos : Rien de particulier. Qu’elle soit née en Belgique ou en Argentine, l’essentiel est qu’elle soit en bonne santé. Et c’est le cas. Je suis donc très heureux.

Votre adaptation a été phénoménale. Après moins d’un an, vous êtes déjà capable d’accorder une interview en français à la télévision et vous vous sentez comme un poisson dans l’eau à Bruxelles.

Je me suis, effectivement, facilement adapté. Beaucoup plus facilement que je ne l’imaginais. J’ai sans doute eu le nez fin en choisissant ma destination. Mais je dois dire, aussi, qu’Anderlecht m’a énormément facilité la vie. On m’a bien entouré et mes nouveaux équipiers m’ont accueilli à bras ouverts. On pourrait penser que, pour un Argentin, l’adaptation soit plus facile en Espagne en raison de la langue. Mais ce qui est vrai dans la vie de tous les jours ne l’est pas nécessairement dans le vestiaire. En Espagne, et en particulier à Las Palmas où j’ai joué une saison, on était habitué à avoir beaucoup de joueurs espagnols. Et un étranger qui débarque tombe parfois dans le groupe comme un cheveu dans la soupe. Anderlecht, c’est depuis de nombreuses années une équipe internationale et multiculturelle. L’accueil d’un étranger se fait naturellement.

L’effort est également venu de vous : dès votre arrivée, vous avez manifesté l’intention de prendre des cours de français et de vous fondre dans le groupe.

Je crois que c’est nécessaire lorsqu’on veut s’imposer ailleurs.

Vous n’avez plus la nostalgie de l’Argentine ?

Je n’irai pas jusqu’à dire que je ne pense plus à mon pays natal. Ma famille et mes amis d’enfance y résident toujours. Mais je me sens très bien en Belgique. Je suis aux côtés de mon épouse, de ma fille… Il ne me manque pas grand-chose.

Devenir Belge ? Attendons un peu !

C’est à ce point vrai qu’on vous prête l’intention de demander la nationalité belge ?

Non, cela, ce sont des supputations de journalistes. J’aime beaucoup la Belgique, mais de là à demander la nationalité belge, c’est peut-être aller un peu vite en besogne. Je ne vis dans votre pays que depuis un an.

Pouvez-vous nous parler plus en détail de votre évolution depuis que vous séjournez en Belgique ?

Je crois que c’est comme être humain que mon évolution a été la plus flagrante. J’ai appris une autre langue, je me suis intégré dans une nouvelle culture. La naissance de ma fille m’a, aussi, rendu plus responsable, même si je me suis toujours considéré comme un être responsable. Je crois que ma trajectoire a été idéale : j’ai d’abord quitté Santa Fé pour Buenos Aires ; puis, l’Argentine pour les îles Canaries, où on parle la même langue ; et aujourd’hui, je découvre le Vieux Continent. Foot- ballistiquement aussi, j’ai évolué. Mais je pense que mon évolution comme footballeur est davantage liée au fait que je possède une année d’expérience supplémentaire qu’au fait que je joue désormais en Europe.

On a pourtant l’impression qu’à la limite, vous vous sentez plus à l’aise dans le football belge que dans le football argentin ?

Non, c’est une fausse impression. Je me sens surtout à l’aise lorsque je joue chaque week-end. C’est vrai que mes débuts dans le football argentin n’ont pas été faciles, mais je n’avais que 20 ans lorsque j’ai commencé en D1 alors que j’en avais 24 lorsque j’ai débarqué à Anderlecht. Je sortais, en outre, de deux saisons consécutives durant lesquelles j’avais été titulaire. La confiance qui m’habitait était donc plus grande. Un jour, un entraîneur m’a dit : – Lorsqu’onsaitjoueraufootball, celanes’oubliepas. Maislorsqu’onnesaitpasjoueraufootball, c’estdifficiledel’apprendre. Je pense que j’ai toujours su jouer au football : on a coutume de dire qu’un Argentin naît avec un ballon aux pieds. Mais il est important de pouvoir jouer chaque semaine pour entretenir sa confiance et sa forme.

Seul Maradona peut offrir un titre

Pour votre première demi-saison en Belgique, vous avez inscrit 9 buts en 14 matches. Que répondez-vous à ceux qui affirment que vous avez offert le titre à Anderlecht ?

Dans toute l’histoire du football, je n’ai vu qu’une seule équipe qui a remporté le titre grâce à un seul joueur : c’était l’Argentine en 1986, grâce à Diego Maradona. Le football se joue à 11 et il est impossible qu’un joueur fasse la différence tout seul. Je suis conscient d’avoir contribué à la conquête du titre, et j’en suis très fier, mais d’autres ont également apporté leur écot.

Cet été, vous êtes passé sur la table d’opération et la saison a débuté sans vous. Lorsque vous étiez guéri, vous avez logiquement récupéré votre place de titulaire, mais Anderlecht a dû adapter son jeu. Aux petits formats vifs et techniques, qui avaient entamé le championnat, est venue s’ajouter une tour de contrôle.

C’est bien d’avoir des variantes, non ? L’entraîneur peut alors choisir en fonction de l’adversaire ou du déroulement du match. Que l’équipe ait gagné sans moi au début, était positif pour moi aussi : cela signifiait que je pouvais prendre mon temps pour me soigner. Anderlecht possède un noyau très large et la blessure d’un élément ne peut pas influencer le rendement de l’équipe.

Votre premier match aux côtés de Mémé Tchité, à Westerlo, fut bon : vous avez tous les deux trouvé le chemin des filets. Depuis, on semble toutefois chercher la meilleure formule. Même si c’est l’entraîneur qui décide, que préférez-vous personnellement : un 4-4-2, avec vous comme pivot et un deuxième attaquant rapide qui tourne autour de vous, ou un 4-3-3 où vous pouvez être alimenté par les flancs ?

Ma réponse sera simple : ce que je préfère, c’est jouer, peu importe le système de jeu. On a déjà essayé les deux systèmes. Parfois cela a bien fonctionné, parfois un peu moins bien. Mais les journalistes commettent parfois l’erreur de penser que l’entraîneur change de système parce que le précédent n’a pas bien fonctionné. C’est faux. Il change parfois de système parce que les circonstances l’exigent, tout simplement.

N’aimeriez-vous pas, cependant, plus de stabilité ?

Oui, c’est clair : pour une équipe, l’idéal est de pouvoir jouer le maximum de matches avec le même onze de base. Mais c’est impossible, lorsqu’on joue deux matches par semaine, que les joueurs s’en vont en équipe nationale lorsque le championnat est interrompu, et qu’il y a des blessures et des suspensions. Frankie Vercauteren change beaucoup, c’est vrai. Dans les circonstances actuelles, avec tous ces matches et toutes ces modifications, il est assez difficile de voir quel est le système idéal et quel est le onze de base idéal. Cette manière de procéder avait bien réussi la saison dernière, puisqu’on a été champion alors que certains avaient parlé de crise quelques semaines plus tôt…

Le championnat est encore long

Trouvez-vous des automatismes avec Mémé Tchité ?

Oui. Plus on jouera de matches ensemble, mieux on se comprendra. A Athènes, les combinaisons avaient très bien fonctionné entre nous. Contre Genk, on a souvent cherché ma tête et cela avait très bien fonctionné également : j’ai gagné énormément de duels. Malheureusement, je n’ai pas réussi à cadrer mes reprises. On a perdu un match, pas le championnat. Certains pensaient peut-être qu’on allait survoler la compétition ? C’est une grosse erreur ! La presse écrit ce qu’elle veut : l’important est que les joueurs soient conscients qu’ils doivent, chaque semaine, remettre l’ouvrage sur le métier.

Quelle équipe considérez-vous comme votre rival le plus dangereux ?

Pour l’instant, Genk est le plus régulier. Mais je crois que Bruges et le Standard vont revenir. Dans une compétition aussi longue que le championnat de Belgique, (NDLR : 34 matches, contre 19 en Argentine), la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain. L’important est d’être bien placé au moment d’aborder le sprint final : il s’agit d’être encore en course à quatre ou cinq journées de la fin, puis de produire son accélération.

Et en Ligue des Champions : jugez-vous le point récolté à Athènes comme suffisant, à l’heure d’affronter Milan à deux reprises ?

L’avenir nous l’apprendra. De toute façon, il est inutile de revenir là-dessus. La Ligue des Champions se joue sur six matches, et il faut regarder devant. On peut battre Milan, j’en suis convaincu.

Ces deux confrontations contre Milan risquent d’être décisives, car dans le même temps, Lille affrontera l’AEK Athènes à deux reprises. Le trou risque alors d’être fait entre les deux premiers et les deux autres.

Partir du principe que Lille battra Athènes et qu’Anderlecht sera battu par Milan, c’est parler dans le vide. Je le répète, je suis convaincu qu’on peut battre Milan. Et rien ne permet d’affirmer que, dans le même temps, Lille s’imposera face à Athènes.

Jouer contre l’AC Milan en Ligue des Champions, c’est un rêve qui se réalise pour vous ?

Non. J’adore jouer et j’éprouve toujours autant de plaisir sur le terrain, quel que soit le rival. C’est surtout un bon test pour se prouver qu’on a les capacités de jouer à ce niveau.

L’invasion argentine

C’est tout de même pour jouer ce genre de matches que vous êtes venu à Anderlecht ?

Pas uniquement. Je suis venu à Anderlecht pour jouer au football, point à la ligne. Mais, si je peux affronter ce genre d’équipe, tant mieux, évidemment.

En tout cas, la participation d’Anderlecht à la Ligue des Champions s’est révélée décisive pour vos trois compatriotes, au moment de choisir leur club.

C’est possible, effectivement, qu’ils aient préféré Anderlecht à une équipe moyenne d’un autre pays et je peux les comprendre : Anderlecht est une grande équipe, qui joue chaque année pour le titre national, et c’est mieux que de lutter contre la relégation. Mais la Ligue des Champions, c’est la cerise sur le gâteau.

Si vous n’atteignez pas le deuxième tour de la Ligue des Champions, ce serait une déception ?

Oui, car cela signifierait qu’on aurait loupé notre objectif. La saison dernière, Anderlecht était tombé dans un groupe infernal avec Chelsea, Liverpool et le Betis Séville. Cette saison, le groupe n’est pas facile mais tout de même plus accessible.

Vous avez ouvert la porte du championnat de Belgique aux footballeurs argentins. En êtes-vous fier ?

Oui, car cela signifie que l’on est content de ce que j’ai apporté à Anderlecht. Aujourd’hui, il y a huit nouveaux Argentins dans le championnat de Belgique, dont trois au Sporting. Trois très bons footballeurs, qui passent également par une période d’adaptation, comme moi au début. Le fait que j’ai joué le rôle de pionnier est peut-être un avantage pour eux. Le club s’est, aussi, mieux structuré pour accueillir des footballeurs de langue hispanique.

Le club a même conçu une version en espagnol de son site internet…

Oui, c’est une délicate attention. Cela permet à nos familles et à nos amis, restés au pays, de nous suivre plus facilement.

Vous avez joué avec Lucas Biglia à Independiente. Quelle est sa meilleure position : médian offensif ou médian défensif ?

Je crois que c’est surtout un joueur très dynamique, à l’activité débordante. Il peut se débrouiller aussi bien dans un rôle offensif que défensif. Mais, en raison de la période d’adaptation que j’ai évoquée, il n’a pas encore atteint son meilleur niveau.

Christian Leiva devrait-il jouer davantage ?

C’est un très bon joueur, et dans les matches qu’il a disputés, il s’est très bien débrouillé. Il doit attendre son tour, tout simplement, et saisir sa chance lorsqu’elle se présentera. Chaque joueur dispose de trois ou quatre années de contrat. Ils ne doivent donc se faire aucun souci.

Anderlecht n’est pas un tremplin

Vos compatriotes ont tous souffert de petites blessures. Y a-t-il un rapport avec leur adaptation au championnat de Belgique ?

Le rythme d’entraînement est différent, mais leurs blessures résultaient toutes de coups reçus. Elles n’ont donc rien à voir avec la préparation. Le fait qu’il y ait eu un été assez chaud a, au contraire, facilité leur adaptation. Il faudra voir, maintenant, comment ils s’adapteront à l’hiver. L’Argentine a aussi un climat tempéré, mais je trouve que le froid se ressent plus en Belgique. En outre, les journées sont plus courtes ici : en hiver, il fait nuit à 17 heures et c’est ce manque de clarté qui m’avait le plus perturbé. En Argentine, même en hiver, le soleil ne se couche qu’à 19 heures. En tout cas, dans la région dont je suis originaire.

Vous-même, comment considérez-vous votre passage au Sporting : comme un tremplin vers de plus hautes destinées ou comme une destination finale où vous aimeriez rester le plus longtemps possible ?

Pas comme un tremplin, en tout cas. Je veux remporter le plus de trophées possibles, et nourrir de telles ambitions ne serait pas nécessairement possible ailleurs. En outre, la vie en Belgique est tranquille et sécurisante. C’est un élément important. Mon épouse n’est pas inquiète lorsque je pars à l’entraînement ou en déplacement. En Argentine, il en allait parfois différemment.

Malgré votre réussite en Belgique, il semble que vos chances d’enfiler un jour le maillot de l’équipe nationale argentine soient minces.

Rien n’est impossible. Mais je ne dérogerai jamais à un principe : pour un footballeur, le plus important est de donner le maximum dans son club. Une éventuelle convocation en équipe nationale passera de toute manière par là. Après, adviendra ce qu’il adviendra.

DANIEL DEVOS

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