« On pense à lui tous les jours »

Sa maman et un de ses frères nous ouvrent leur cour.

L’automne ne sème pas que des feuilles rouillées au hasard des magnifiques paysages où se blottit Julémont, charmant et paisible coin du pays de Herve. Au loin, les arbres rougis par les gelées du matin ressemblent à de grosses grappes de chrysanthèmes déposées dans la nature en souvenir de Régis Genaux.

Son frère, Terrence, le cadet de la famille Genaux, y a trouvé son équilibre auprès de sa compagne, Virginie, originaire de la région. Il ressemble tellement à Régis… Deux gouttes d’eau. Terrence a d’ailleurs tatoué le prénom de ses frangins sur son bras : Régis et Gilles, le plus âgé, sportif accompli et gendarme à l’ESI, l’escadron spécial d’intervention, resté dans la région de Charleroi où il élève aussi des chiens.

Le football a un peu éparpillé la famille. Régis vivait près de Liège, comme c’est toujours le cas pour Terrence. Leur maman, Marie-Françoise, est installée chez Gilles. Son mari, Claude Genaux, a choisi de refaire sa vie en Afrique du Nord. Gilles-Régis-Terrence. Un trio pas comme les autres,  » le même sang « , comme dit Terrence qui maîtrise bien ses émotions même si son regard ne cache pas son amour pour ses frangins :  » La colère a quand même cédé sa place à la tristesse. Il faut faire son deuil, accepter sans oublier…  » Terrence sait qu’il  » doit avancer et Régis n’aurait pas supporté le moindre sur-place : avec lui, il fallait toujours travailler. Gilles est beaucoup plus âgé que nous, j’ai toujours été plus proche de Régis qui était un père pour moi. Rien ne lui échappait. J’étais tout le temps avec lui.  »

Le destin a rendu son verdict le 8 novembre 2008 quand Régis fut emporté chez lui par une embolie pulmonaire. Terrence avait encore assisté à un de ses matches entre copains l’après-midi. C’est sa fille, Summer, qui a entendu un bruit sourd à l’étage, la chute de Régis.

Elle a alerté la famille et les secours. Rien n’y fit. Un homme jeune et plein de projets était fauché. Son histoire d’amour avec Vanessa, la mère de ses enfants, était terminée. Il entrevoyait de nouveaux horizons sentimentaux avec Bouchra et son divorce devait être prononcé une semaine après son décès. L’école de football qui porte son nom à Flémalle connaissait le succès. Il attendait une nouvelle chance pour exercer son métier d’entraîneur. Et tôt ou tard, Régis aurait repris le chemin de l’Italie et d’Udine où il sentait tellement bien. Terrence voit régulièrement les deux enfants de Régis. Il sourit en parlant d’eux, en évoquant leur caractère, le talent de footballeur du petit Mathias qui joue avec la hargne de son papa, à Beaufays .

Marie-Françoise regarde Terrence comme seule une maman peut le faire. Elle le suit aussi tous les week-ends quand il joue au SK Hasselt, en D3B.  » Même si je me suis intéressé au foot par obligation, en raison de la passion de deux de mes fils, j’adore assister à ses rencontres « , affirme-t-elle.  » Régis était back droit tandis que Terrence plante sa solide carcasse au centre de la défense. Quand j’arrive dans un stade, je reconnais tout de suite mon gamin. Je suis chaque fois envahie par une autre émotion et je me dis : – Tiens, je suis en retard, Régis est déjà parti… Je suis incapable de me détacher de ce qui est arrivé. Un fils ne peut pas partir avant sa mère. Je ne peux pas accepter, je n’accepterai jamais. Je suis fière de mes trois fils. Terrence et Gilles surmontent cette épreuve à leur façon. Moi, j’ai besoin d’en parler sans cesse. Il faut que cela sorte et que les gens sachent qui était Régis. On connaît le joueur rugueux et fort en gueule qu’il pouvait être sur le terrain. Mais dans la vie de tous les jours, il n’y avait pas plus doux et attentionné que lui. Nous pensons tous les jours à lui. Régis avait un vélo de course. Je l’ai enchaîné à mon lit, comme si j’avais peur qu’on me le vole. Je le donnerai un jour à Terrence. J’écris beaucoup. Depuis des années, j’ai noirci des centaines de pages. Il y a des textes, des photos, des collages, de l’humour, des révélations. Je suis en contact avec un éditeur et j’espère que ce livre paraîtra dans un an, on verra. C’est peut-être une forme de thérapie. En tout cas, comme Terrence, j’aimerais qu’on se souvienne d’une chose en parlant de Régis : sa franchise…  »

 » C’est certainement en Italie que Régis a été le plus heureux « 

Un bouquin, cela fait penser à la douleur de la maman de François Sterchele. Marie-Françoise et Terrence la comprennent. A chacun de traverser cette épreuve à façon et Terrence ajoute :  » Je peux imaginer ce qu’elles ressentent. Je préfère un peu plus de calme, quand même.  » Dans son livre, Marie-Françoise soulignera des traits de caractère de Régis. Il a toujours adoré la nature et les animaux. Petit, il obligea sa maman à acheter un vieux cheval de manège. La bétaillère était là pour l’emporter à l’équarrissage. Régis le savait. Un petit chèque fut vite échangé contre la pauvre Laïka. Voilà comment ont devient proprio d’un cheval. Il a eu de superbes kois (poissons rouges japonais) chez lui et quand il fut transféré à Coventry, Marie-Françoise fut chargée de lui amener ses poissons exotiques en Angleterre, ce qui ne fut pas une mince affaire. Cela aussi, c’était Régis.

 » Un jour, il a surpris deux gamins qui tentaient de voir par la fenêtre quels joueurs se trouvaient dans le vestiaire « , se souvient Marie-Françoise.  » Il se rua hors de la douche, un essuie autour des hanches et rattrapa les jeunes. Régis a offert une de ses chaussures de foot à chacun d’eux ! « 

C’est certainement en Italie que Régis a été le plus heureux.  » Udine et le Frioul, c’est merveilleux « , avance Terrence.  » Tout est à portée de la main là-bas : la mer, la montagne, d’autres belles villes qu’Udine, etc. Régis y a trouvé ses marques et était très apprécié dans le club. Le Calcio, c’était sa tasse de thé. Son caractère l’a servi et desservi là-bas. Il a été à deux doigts de signer à l’AC Milan qui avait déjà pris le coach d’Udine, Alberto Zaccheroni, qui appréciait beaucoup Régis. Silvio Berlusconi téléphona personnellement à Régis. Le président milanais lui demanda même de choisir son numéro de maillot. L’affaire échoua finalement et Milan opta pour Thomas Helveg. Je suppose que Régis n’avait pas été assez diplomate durant les dernières négociations. Zaccheroni n’en n’a jamais fait un secret plus tard : il a toujours regretté de ne pas avoir eu Régis sous ses ordres à Milan.  »

Régis a ouvert les portes d’Udine à son frérot. Une belle aventure familiale même si la maman précise :  » Avec Régis, il y avait des ouvertures et des fermetures. A Udine, ce fut utile et Régis était très sévère avec son frère. Avoir un frère connu ne constitue pas nécessairement un avantage : quand il a eu des ennuis à La Louvière (où il entraînait les jeunes), Terrence, qui venait à peine d’arriver au Tivoli fut rayé de la carte en même temps que lui. De plus, Terrence a réalisé de belles choses à Udine. Moi, j’ai interrompu ma carrière dans l’enseignement pour être proche d’eux. Je me suis installée dans le Frioul. Je galopais tellement que j’ai eu une grosse alerte cardiaque au volant de ma voiture. « 

A Udine, Terrence s’est entraîné avec Régis mais n’a jamais joué avec lui.  » Je l’ai remplacé lors de l’un ou l’autre match amical. Il n’aurait jamais dû quitter l’Italie pour revenir au Standard. Mais c’était le club de sa vie et il n’a pas résisté. S’il y a une chose que Régis détestait par-dessus tout, c’était l’injustice, que ce soit à son égard ou pas. Certaines choses n’ont pas été respectées. Il a quasiment joué pour rien à Sclessin. Moi, j’aurais gardé cela pour moi mais, lui, c’était impossible : il a explosé. Régis a eu des déclarations tapageuses, notamment à propos de Michel Preud’homme. S’il y allait fort, ce n’était cependant pas avec l’intention de blesser quelqu’un. Je connaissais son côté bougon. Cela me dérangeait parfois car cette facette de son comportement cachait la richesse du vrai Régis, celui que le grand public ne connaissait pas.  »

Ses nombreuses blessures l’ont peut-être fragilisé. De même, il s’est entraîné à la dure durant toute sa jeunesse. Et il y eu quelques coups d’éclats et autres javas avec Michaël Goossens et Philippe Léonard.  » Je ne savais pas qu’ils s’amusaient à dévaler le plus vite possible du Sart-Tilman à Sclessin « , raconte Marie-Françoise.  » C’était dangereux, évidemment. Un jour, en équipe nationale, ils ont dévalisé les minibars de leurs chambres et ont été malades. La fédération me signala qu’il n’était pas sur le bon chemin : or, ce n’était qu’une bêtise de gosses. S’il n’avait pas été sérieux, il n’aurait jamais vécu une aussi belle carrière.  »

Son amour du football ne lui a-t-il pas volé 40 ans de sa vie ? Les terribles exigences du sport moderne ne l’ont-elles pas tué à petit feu ?

 » Non, pas du tout « , intervient Terrence.  » Régis se soignait. Il l’a toujours fait et n’aurait pas supporté d’avoir un gramme de trop. En Italie, il se méfiait même des vitamines. Il refusait tout. Avec un peu de chance, il aurait évidemment dû avoir une carrière plus longue. Le destin en a décidé autrement. Et c’est la fatalité aussi qui l’a emporté. Régis s’était plaint d’une douleur à la poitrine une semaine avant son décès. Puis, il n’y a plus pris garde. Quand je suis arrivé chez lui, la situation était déjà désespérée : Régis n’aurait jamais accepté de vivre diminué. A Udine, ou même en Belgique, je croise des gens qui me demandent de ses nouvelles. Ils ignorent que Régis n’est plus là. Pour ne pas les embarrasser, je leur réponds qu’il va bien… « 

par pierre bilic

Des gens qui ignorent que Régis n’est plus là me demandent de ses nouvelles. Pour ne pas les embarrasser, je leur réponds qu’il va bien… (Terrence)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire