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On ne va pas en faire tout un saladier

Portée par un David Goffin stratosphérique face à la France, la Belgique s’est hélas inclinée pour la deuxième fois en trois ans en finale de la Coupe Davis. Une défaite collective logique, mais non moins cruelle. Récit d’un week-end pas comme les autres où l’ego de Yannick Noah l’a emporté sur le collectif cher aux Diables blancs.

« Tu sais pourquoi les Belges s’entraînent au tennis avec des boulons ? « Non…  » Pour la Coupe Davis !  » La France du tennis n’est pas passée loin de comprendre la genèse d’une des répliques cultes de Jean-Luc Couchard. Un acteur dikkenek au grand coeur au pays de l’arrogance. Le raccourci tient du cliché, mais a longtemps fait écho dans la gigantesque arène du LOSC, transformée, le temps d’un week-end, en temple du tennis.

Dire que la France n’a pas douté contre la Belgique de Johan Van Herck serait mentir. Réputée imperdable pour les Bleus, cette finale n’aura finalement pas fait mentir l’adage selon lequel l’équipe réputée la plus complète est aussi bien souvent la mieux armée pour remporter le Graal dans ce qui équivaut à la Coupe du Monde de tennis. Avec dix joueurs dans le top cent à l’heure actuelle – pour six dans le top cinquante – la France n’a pas volé son statut de championne du monde de la catégorie. Loin de là.

Un moindre mal pour une génération de mousquetaires longtemps snobée par la gloire et qui avait pris, ces dernières années, la mauvaise habitude de se prendre les pieds dans le tapis. Un revers contre la Belgique, aurait, c’est certain, définitivement fait entrer la bande à Jo-WilfriedTsonga et RichardGasquet au panthéon des éternels losers du sport français. Pour autant, leur victoire ce week-end n’aura jamais le retentissement de celles de 1991, 1996 ou 2001. Moins prestigieuse, moins éclatante aussi. Et sans réel frisson, le seul argument capable d’élever un exploit sportif au rang de vrai moment d’histoire pour toute une nation.

Les larmes de Benneteau

Comme pour mieux s’en convaincre, le journal L’Équipe relativisait déjà, vendredi, la portée de l’exploit potentiel que constituerait un dixième sacre pour cette équipe de France-là face à une équipe belge incomparable, selon elle, à l’Australie de Pat Rafter et Lleyton Hewitt vaincue en 2001. Comprendre que l’apothéose lilloise n’effacerait en rien les échecs répétés de la décennie écoulée face à la Russie en 2002 (Marat Safin, Yevgeni Kafelnikov), la Serbie en 2010 (Novak Djokovic) ou la Suisse en 2014 (Stan Wawrinka, Roger Federer).

Une victoire contre la Belgique ne serait pas un exploit pour la simple et bonne raison qu’en France, cette finale contre une équipe sans numéro un mondial actuel, passé ou futur ( ? ) n’aura jamais le prestige sportif des précédentes. Au point de se demander si cette finale débutée un jour de Black Friday n’avait pas des allures de finale au rabais ?

Au rabais, peut-être pas, mais un rien tristounette quand même. Les larmes de Julien Benneteau, consolé par Nicolas Mahut – les deux recalés de dernière minute de la sélection française – lançaient la thématique d’un week-end pluvieux et d’une fragilité émotionnelle rare. Point de départ d’une improbable succession d’épiphénomènes, les sanglots de Benneteau lancent aussi Yannick Noah dans son opération commandant en chef des armées.  » J’ai vu (au sujet de Benneteau, ndlr). Depuis, j’essaie d’oublier.  » Court et concis, Noah pose sa patte.

1h59 et une leçon de tennis plus tard, David Goffin place la sienne. Et en profite pour jeter sa petite larme à son tour au micro de l’ami Nelson Monfort en bord terrain. De quoi émoustiller lui-même le polyglotte le plus chéri de l’Hexagone.  » C’est le week-end des grandes premières « , s’émeut-il.  » Tous sports confondus, je n’avais jamais vu une telle ambiance et une si belle émotion chez David. Honnêtement, s’il joue comme ça dimanche, le saladier sera pour vous. Vous avouerez que je ne suis pas chauvin…  »

Un  » double  » problème

Monfort à tort, mais fait du Monfort. Ce qu’il sait faire de mieux. En vrai, dictée par écran géant interposé, l’ambiance est presque pesante, lourde et un rien préfabriquée. Pour peu, on se croirait à un meeting du FN. Sans la passion malsaine propre à l’événement. Noah pointe les spectateurs comme principaux coupables. En attendant, la France a pris une claque et Xavier Bertrand, ancien ministre sous Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, aujourd’hui président du conseil régional des Hauts-de-France, en vient à implorer le Dieu ivresse.  » Par pitié, faites-moi plaisir et faites-moi sortir David Goffin ce soir. Je connais de très bons endroits à Lille. Vous allez à l’Australian Bar et vous me le ramenez lessivé vers 5-6 h du matin. C’est notre seule chance de s’en sortir.  »

Pas franchement réputé pour être grand spécialiste de la balle jaune, le député des Républicains a pourtant visiblement compris avant tout le monde que la cote de David Goffin pour être aligné en double était en train de monter en flèche. En même temps que celle de Jo-Wilfried Tsonga, tout aussi expéditif dans son traitement des affaires courantes face à Steve Darcis. 1-1, balle au centre et un double au coeur de toutes les discussions au moment de faire les comptes vendredi soir.

Il y a les pros et les antis. Ceux qui pensent que David peut enchaîner et doit donc en être et ceux, comme Thierry Van Cleemput – l’entraineur du n°1 belge – que la perspective de voir David présent 3 jours de suite sur le court n’enchante pas.  » Il est préparé pour cela, mais je ne préfère pas que cela arrive. Je ne crois pas que ce soit réellement une option et je ne pense même pas qu’il en ait réellement envie lui-même.  »

Faux. 48 heures plus tard, quelques minutes après une nouvelle démonstration de sérénité contre Tsonga, et alors que Darcis est en train de couler contre Lucas Pouille dans le cinquième match décisif, David Goffin avoue avoir dès l’avant-veille plaidé sa cause pour être présent au côté de Steve Darcis pour le double. Problème, à court de rythme, le Shark n’est pas prêt à enchaîner 3 matchs en autant de jours. Et David ne se voit visiblement pas être aligné au côté de RubenBemelmans ou JorisDe Loore. La défaite belge prend donc naissance dès vendredi soir, dans cette discussion sans issue entre Johan Van Herck et le n°7 mondial.

Le coup de bluff de Noah

Une impasse dont profitera Yannick Noah pour instaurer le doute. Tantôt loquace, tantôt cassant, le capitaine français répond aux médias comme on distribue les bons points et à ce petit jeu-là, la presse hexagonale part visiblement avec un train de retard. Pas d’info donc, mais Noah joue le jeu et valide la fausse thèse selon laquelle JWT pourrait en être. Un joli coup de bluff.

Le lendemain, la sanction tombe.  » Pas de changement, pas de changement.  » La salle de presse du Stade Pierre Mauroy grouille d’excitation. L’info vient de tomber, il est 13 h ce samedi et la partie de poker menteur vient de prendre fin. Tout ça pour ça. Gasquet/Herbert versus De Loore/Bemelemans. Comme annoncé lors du tirage officiel deux jours plus tôt. Des tonnes d’encres couchées sur papier pour rien. Noah prend donc le risque fou d’aligner une paire sans aucune expérience commune. Un effet de manche, génial ou pathétique, l’histoire tranchera. Ou pas.

 » Le succès du double français n’est en rien un coup de génie de Yannick Noah « , tranche d’entrée un éditorialiste hexagonal dans son édition dominicale. Un avis partagé par l’ensemble des observateurs présents à Lille pour qui la paire belge ressemble à la plus mauvaise doublette rencontrée par la France en un demi-siècle de Coupe Davis !  » À la limite, on aurait préféré qu’il perde, se mouille une plume bien connue en France. Ça nous aurait permis de voir si on avait une vraie équipe ce dimanche.  »

En attendant, Noah exulte et relance la machine à rêve.  » Normal, j’ai pris une décision difficile et pas franchement populaire dans et hors du groupe. C’est plus simple de prendre des décisions politiquement correctes, ça évite les problèmes.  »

L’homme a pris l’habitude de convoquer le passé pour vendre l’histoire en marche. Et adore décidément cette position du seul contre tous. Un Calimero finalement sorti vainqueur sportif d’un week-end contrasté, mais publiquement affaibli. La nette victoire de Pouille sur Darcis dans un match expéditif privera même le public français du moindre éclat. Pas même une larme pour le local de l’étape, juste le sentiment du devoir accompli.

Une culture de la lose balayée

Les heures qui suivent la victoire de Pouille sur Darcis sont éloquentes. En tribune, le stade se fait rapidement désert. Les derniers confettis traînent encore au sol, mas plus rien ne sera bientôt là pour se rappeler d’un dimanche finalement terriblement ordinaire ou la logique aura trop vite pris le dessus sur la passion.

En conférence de presse, Noah sort l’artillerie lourde. Un prêche de près de 20 minutes où il évoque principalement cette  » culture de la lose  » enfin balayée. Un discours auto-centré terminé, les yeux rougis, qui laisse la salle pantoise. L’assistance ne bronche pas, Lucas Pouille réclame plus d’applaudissements. En vain.

Cette équipe de France formatée par Yannick Noah ne fédère décidément pas. Tout l’inverse de la bande à Goffin. Le coeur gros, le team Belgique se présente au complet devant la presse. Steve Darcis préférerait disparaître, mais revient sur ses  » deux branlées « . Goffin discourt sur son avenir et Johan Van Herck, pourtant abandonné par ses cordes vocales, termine par un petit mot envers les médias et plus globalement son public.

L’ovation qui suit est sincère, spontanée. Un geste simple, mais qui veut dire beaucoup. L’histoire entre les Diables blancs et leur public est loin d’être terminée. Celle du tennis français reste en chantier. Un chantier terminé à temps, mais aux finitions mal senties. Quelque chose de surfait qui n’a pas su séduire son public dans sa large majorité. Pour une fois, la France aurait presque le succès modeste.

par Martin Grimberghs, à Lille – photos Belgaimage

L’équipe de France formatée par Yannick Noah ne fédère pas. Tout l’inverse de la bande à Goffin.

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