» On ne se dispute pas assez à l’entraînement « 

Le rugueux défenseur brésilien pose son regard d’ancien sur les dernières semaines tumultueuses à Sclessin. Interview.

Chers supporters, le vol Standard 0016 traverse actuellement une zone de turbulences. Nous vous prions de rester assis sur votre siège, d’attacher vos ceintures et d’attendre que ça passe. Surtout, nous vous demandons de rester calmes. Le commandant Mircea Rednic et son équipe font tout ce qui est en leur pouvoir pour redresser la situation mais un peu d’aide extérieure ne serait sans doute pas négligeable. « 

Voici, en substance, le message que Kanu aurait délivré s’il avait été steward de l’avion chargé d’amener le Standard à bon port cette saison. Un avion pris dans une sorte de triangle des Bermudes, qui réapparaît tantôt dans le signal des radars pour mieux en disparaître par la suite.

Tandis que les observateurs redoutent le crash, on sent le personnel de bord aussi tendu que les passagers, d’autant que la confiance dans le matériel mis à sa disposition par le propriétaire de la compagnie aérienne n’est pas à son comble.

Allô Papa Tango Kanu ?

Qui est responsable de la situation actuelle du Standard ?

Kanu : Mon rôle n’est pas d’établir les responsabilités. Je suis employé par le club pour jouer, donner le meilleur de moi-même. Comme mes équipiers. Après, si cela ne suffit pas, ce n’est pas à moi de chercher d’autres raisons.

Avant le match contre Mons, le dernier de Ron Jans, vous aviez affirmé à Standard TV que vous aimiez beaucoup cet entraîneur, que la direction a ensuite désigné comme responsable. Etait-ce donc de sa faute ?

Non. Je continue à dire que Ron Jans était un bon entraîneur et tout le groupe pense la même chose. Je n’affirme pas non plus qu’il n’a aucune part de responsabilité dans la situation actuelle mais il ne pouvait pas faire de miracle. Peut-être n’était-il pas là au moment adéquat.

A-t-il voulu changer trop de choses après le départ de José Riga ?

Il a hérité de dix nouveaux joueurs, il ne pouvait pas faire autrement que de changer. Son système était bon et nous le comprenions mais nous n’avons pas réussi à l’appliquer.

Si ce n’est pas lui, ce sont les joueurs ?

En tout cas, c’est nous qui jouons.

Jans a parlé d’un manque de qualités. D’accord avec lui ?

Non, pas sur ce point. De la qualité, il y en a certainement dans le groupe. Mais ce n’est pas suffisant pour gagner un match. Il faut aussi de l’expérience, de la dignité, de la concentration et de l’ambition. Nous pouvons et nous devons être meilleurs. Ce qui est inquiétant, ce n’est pas tellement que Mons nous ait battus : c’est que nous n’avons pas montré que nous étions plus forts que cette équipe. Le problème actuel, c’est que plus personne n’a peur de nous. Même le Cercle est venu à Sclessin en se disant qu’il y avait moyen de nous mettre en difficulté.

Qui sont les coupables ?

Les fans pointent du doigt le président et le directeur sportif. Ont-ils raison ?

Le Standard a perdu beaucoup avec le départ de Luciano car il n’a plus personne qui connaît vraiment le monde du foot en profondeur. Le président en est conscient mais c’est évidemment plus facile de désigner un ou deux coupables que 25. Je constate seulement une chose : des dix transferts effectués, seul Kawashima est titulaire à part entière. Ça, c’est indiscutablement un problème. Cela veut dire que personne ne s’est encore imposé. La faute à qui ? Ce n’est pas à moi de le dire. Mais l’équipe est très jeune, elle manque de leaders et d’expérience. Notre ligne d’attaque, par exemple, est composée de gamins.

Le Standard encaisse surtout beaucoup trop de buts, non ?

Il encaisse beaucoup et ne marque pas assez, c’est un tout. Pointer les seuls défenseurs ou le gardien du doigt serait une erreur. La défense, dans une équipe, c’est l’affaire de tous dès qu’on perd le ballon et même lorsqu’on le possède. Quand je dis que nous manquons d’expérience, c’est peut-être dans ces moments-là que c’est le plus flagrant.

Avant cela, il y avait eu une victoire contre Anderlecht, dans les circonstances que l’on connaît. N’était-ce pas l’arbre qui cachait la forêt ?

C’était une victoire disons… artificielle. Mais nous aurions dû en profiter pour repartir de l’avant, comme nous l’avions fait lors des play-offs il y a deux ans lorsque nous nous étions imposés à Bruxelles.

Que voyiez-vous de la tribune ?

Je n’ai vu que deux matches de championnat, c’est difficile de se faire une opinion. Mais j’ai surtout constaté un manque de maturité.

William Vainqueur a déclaré à Sport/Foot Magazine que ce groupe était plus solidaire que celui de la saison dernière. D’accord avec lui ?

Dans l’absolu, oui. Nous sommes tous des amis mais quand on ne gagne pas, c’est difficile de former un groupe. Je trouve aussi que certains joueurs ne parviennent pas encore suffisamment à faire leur autocritique. On a trop facilement tendance à trouver des excuses, à rejeter la faute sur un autre. L’an dernier, le groupe était solidaire aussi… au début. Après, ça s’est effiloché au fil du temps, parce que les intérêts des uns et des autres étaient trop divergents… Et je fais mon mea culpa à ce niveau-là. J’ai eu ma dose de problèmes qui ont fini par prendre le dessus sur le foot.

Qu’est-ce qui va changer dans les prochaines semaines ?

Le secret du succès réside dans l’attitude. Le Standard doit redevenir conquérant, travailler pour aller de l’avant. Depuis que je suis arrivé en Belgique, j’ai constaté qu’on travaillait beaucoup tactiquement mais trop peu d’un point de vue technique. Or, les répétitions de phases sont essentielles dans notre situation. Et puis, nous devons nous révolter. Beira Mar était un club bien plus modeste que le Standard mais je peux vous assurer que la mentalité qui y régnait était bien plus conquérante. Deux défaites d’affilée, c’était inadmissible, nous faisions tout pour que ça n’arrive plus. Ici, on ne se dispute pas assez à l’entraînement. Nous pouvons toujours nous dire que nous donnons le meilleur de nous-mêmes mais ce n’est pas vrai. C’est trop peu. Nous devons nous battre davantage, faire plus de fautes, demander des comptes. Le Standard a besoin de quelqu’un qui mette de l’ordre. Si les joueurs ne peuvent pas le faire eux-mêmes, c’est à l’entraîneur de le faire. Et peut-être qu’à ce niveau-là, Jans a trop fait confiance, peut-être qu’il a manqué d’agressivité.

 » Agressif mais loyal « 

A propos d’agressivité, on ne doute pas que vous allez en apporter. Mais vous devrez sans doute vous surveiller car les arbitres ne vous passeront plus rien.

Je n’ai pas peur car je suis loyal. Agressif mais loyal. Et je ne vais pas changer car je ne suis pas méchant. La carte rouge que j’ai prise l’an dernier, elle est due au fait que j’ai pété les plombs par rapport à ma situation, cela n’avait rien à voir avec le jeu.

Quelle est la meilleure paire en défense centrale pour le Standard ?

Encore une fois, ce n’est pas à moi d’effectuer ce genre de choix. Mais une chose est sûre : je veux être dedans et je ferai tout pour cela.

Kanu – Tavares, c’est complémentaire ?

Evidemment ! Nous l’avons suffisamment prouvé à Beira Mar. Yohann est un très bon joueur.

Mais il ne s’est pas encore imposé…

Il est arrivé blessé puis il s’est reblessé ici. ll faut lui laisser du temps. Vous n’avez pas encore vu le vrai Tavares, celui que j’ai connu au Portugal.

Et Kanu – Van Damme ? On a longtemps reproché à Jans d’avoir fait jouer le capitaine en défense centrale mais il n’a jamais joué à vos côtés. Et si c’était la solution ?

(après un moment d’hésitation)Non, je le garde devant moi. C’est un leader, nous avons besoin de lui plus haut.

Après le match contre Mons, Laurent Ciman a dit que le Standard allait tout droit vers la D2. Vous partagez son avis ?

Absolument pas. Et je suis sûr que lui-même n’y pense pas un seul instant. Ce sont des choses qu’on balance dans la chaleur du match. Mais nous allons souffrir, c’est sûr. Nous devons nous y préparer mentalement.

Où va terminer le Standard, alors ?

Dans les play-offs I.

Euh… sûr et certain ?

Absolument. Après 12 matches, une confusion terrible et un changement d’entraîneur, nous n’étions tout de même qu’à une poignée de points de la 6e place et guère plus éloigné des leaders. Qu’est-ce que cela représente ? Vous vous rappelez quand je suis arrivé, en janvier 2011 ? On m’avait demandé quantième le Standard serait et j’ai dit : champion. Tout le monde a rigolé car l’écart avec le premier était de seize points ou quelque chose comme ça. Mais nous avons perdu le titre pour un demi-point et nous avons gagné la Coupe.

Le club comptait beaucoup sur votre retour pour rendre de la stabilité à la défense. Etes-vous à 100 % ?

Oui, je me sens parfaitement bien, je dois juste retrouver du rythme car l’arrêt a été long : cinq mois, c’est énorme. A la fin du match contre Anderlecht, j’avais envie de chialer comme un gosse, tellement l’émotion était forte. J’ai fait tellement d’efforts pour revenir. Des entraînements tout seul, le samedi, le dimanche… Le simple fait d’être sur le banc était une victoire. Quand l’entraîneur m’a fait entrer au jeu, c’en était une autre. Et après, nous avons gagné dans cette ambiance indescriptible…

De quelle mystérieuse blessure avez-vous souffert ?

Le cartilage de mon genou était usé, les médecins m’ont dit que je soumettais mon corps à trop d’efforts violents. Ils m’ont injecté du cartilage artificiel mais ce qui a pris du temps, c’est le traitement pour renforcer la musculature car, pendant mes vacances au Brésil, je n’ai rien pu faire et ma jambe avait fondu.

Avez-vous été mal soigné ?

Non, au contraire : le staff du Standard a tout fait pour m’éviter une opération qui m’aurait tenu éloigné des terrains pendant six mois. Je suis allé voir un spécialiste au Portugal qui m’a conforté dans cette impression.

Un transfert en janvier ?

Cette blessure a fait capoter votre transfert à l’Olympiacos ?

Non, pas tout à fait. Ce qui a fait échouer le transfert, ce n’est pas le genou mais le fait que ma musculature de la jambe droite avait disparu. Au moment des tests médicaux, quand j’ai enlevé mon pantalon, j’ai vu que le médecin du club grec faisait la grimace. J’ai toujours eu moins de muscles à droite qu’à gauche mais là, c’était trop flagrant. J’avais perdu 4 cm de tour de cuisse et j’en ai encore perdu deux par la suite. Le club avait besoin d’un joueur disponible immédiatement et j’en avais au moins pour un mois. Malgré cela, le club grec était prêt à attendre, on me proposait de rester encore une semaine pour voir comment ma situation allait évoluer et le Standard était d’accord mais je n’ai pas voulu prendre ce risque : j’ai préféré revenir à Sclessin et me soigner convenablement.

Quand vous êtes revenus, les supporters avaient perdu confiance en vous. Alors que, par le passé, ils vous adoraient.

J’ai bien senti que quelque chose s’était cassé entre eux et moi mais c’était déjà le cas avant ce transfert. En fin de saison dernière, je n’ai pas joué beaucoup. Il y a eu le décès de mon père, les soucis de mon épouse qui ne s’adaptait pas en Belgique et les gros ennuis de santé de ma mère. En plus, nous avons été éliminés de ma faute en Coupe de Belgique et j’ai marqué contre mon camp en Coupe d’Europe. J’ai bien senti qu’ils doutaient de moi mais pourtant, je peux vous assurer que je suis revenu avec le seul but de me remettre le plus rapidement possible au service du Standard.

Et un départ à la trêve vers l’Olympiakos est toujours possible ?

Je n’en sais rien. Le club aura-t-il besoin d’un défenseur central à ce moment-là ? Comptera-t-il encore sur moi ? L’équipe a pris un départ fantastique avec sept victoires en sept matches. Tout ce que je peux dire, c’est que l’entraîneur, qui est celui que j’avais eu à Beira Mar, Leonardo Jardim, m’a envoyé un message après le match contre Anderlecht pour me dire qu’il était heureux que j’aie rejoué.

Quels objectifs vous fixez-vous à court et à moyen termes ?

D’ici Noël, je veux avoir retrouvé ma forme, mon foot. Pour le moment, c’est encore un peu limite. Heureusement, je n’ai généralement pas besoin de beaucoup de matches pour atteindre mon meilleur niveau. Et j’ai encore mûri. Pour le mois de mai, j’espère avoir retrouvé le plaisir de jouer parce que pour le moment, ce n’est pas le cas.

Vous avez encore des contacts avec Felipe et Mangala ?

Oui, nous nous parlons régulièrement sur Facebook. Je suis heureux pour Felipe, le genre de joueur qui nous manque beaucoup. Quant à Mangala, je lui conseille souvent d’être patient. S’imposer à Porto n’est pas facile car il y a énormément de concurrence : Otamendi et Maicon sont internationaux dans leur pays et même Rolando ne joue pas. Mais dans un an, Eliaquim sera titulaire.

La Belgique caresse le rêve d’aller au Brésil. Si c’est le cas, le groupe de Marc Wilmots prendra ses quartiers à Salvador de Bahia, votre ville. Le bon choix ?

Oui, sans aucun doute. Les gens sont gentils, il y a toujours du soleil. Bahia et Rio sont les meilleurs choix. Entre parenthèses, je suis sûr que la Belgique va y aller, à la Coupe du Monde. Moi, je suis fan d’Axel Witsel, comme tous les Brésiliens qui jouent ici, d’ailleurs. Il aurait sa place dans n’importe quelle équipe du Brésil. C’est déjà quelque chose que nous disions quand il était au Standard et depuis, il a encore pris une autre dimension.

PAR PATRICE SINTZEN

 » Jans a trop fait confiance, peut-être qu’il a manqué d’agressivité. « 

 » Je suis fan d’Axel Witsel, il aurait sa place dans n’importe quelle équipe du Brésil. « 

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