» ON NE RÉUSSIT PAS TOUT SEUL « 

C’est l’histoire de trois potes d’enfance, de trois frères du bitume bruxellois aux trajectoires compliquées. Rencontre sur les bords de la Méditerranée.

Andrea Mutombo (25 ans) continue son petit tour d’Europe. Sans faire grand bruit, l’ex-joueur du Standard a signé début août pour le club écossais de Inverness après avoir déjà goûté à un passage britannique du côté de Portsmouth ou s’être quelque peu perdu en Croatie à Rijeka puis à Istra.

Il y a quelques semaines, nous l’avions retrouvé en bord de Méditerranée, sur les hauteurs de Nice, où il partageait une colocation avec Julien Vercauteren (22 ans et joueur du Gym depuis une saison) et se refaisait une santé en National (D3) à Fréjus-Saint-Raphaël.

Un parcours compliqué pour celui qui fut pressenti un temps comme une promesse de notre football, faisant notamment plier Anderlecht sous le maillot de Zulte Waregem. Pour Vercauteren, la trajectoire est moins originale mais peu anodine.

Alors qu’il peine à faire son trou du côté lierrois, ce numéro 10 signe l’été dernier un contrat de quatre ans avec l’OGC Nice. Si les débuts sont prometteurs, la suite de la saison va l’envoyer sur le banc, en tribune ou côtoyer la CFA.

Dans une pizzeria niçoise que l’on ne conseillera à personne (  » on est pourtant à côté de l’Italie mais je n’ai jamais mangé une bonne pizza « , assure Julien), on retrouve ces deux amis de 10 ans. Une décennie qui ressemble, à les entendre, à une éternité.

 » Mes grands-parents habitaient dans le même immeuble qu’Andrea à Berchem « , introduit Julien. Andrea :  » Je l’ai connu très petit, c’est pas pour autant que je traînais avec lui, vu notre différence d’âge, mais je le connaissais. C’est vers 2004 qu’on a commencé à sympathiser et on ne s’est plus lâché.

Je le croisais en bas du bloc mais c’est surtout au parc Eléphant (ndlr, réputé pour avoir vu défiler de nombreux joueurs de la capitale) que les liens se sont renforcés. Je me suis très vite rendu compte qu’il était hyper talentueux. Il était très motivé et très à l’écoute. J’avais un rôle de grand frère auprès de lui.  »

SNACK À QUATRE

Michy Batshuayi va également rejoindre le duo, suivi très peu de temps après par le petit frère Aaron Leya Iseka. Pour illustrer leur amitié, Andrea sort sont smartphone et nous montre une photo d’eux gamins se partageant un snack à quatre. Julien :  » On était tellement passionné. Les journées foot pour nous, c’était de 10 h à 1 h du matin.  »

ANDREA :  » On a joué dans les métros, on dribblait les passants. On passait de parc en parc. Je me rappelle que la concurrence était incroyable, il y avait une émulation entre joueurs des quartiers. Je pourrais m’absenter dix ans, en revenant je pourrais te dire qui a côtoyé les quartiers de la capitale et qui n’en a pas fait partie.

Il y a une touche bruxelloise faite d’un mélange des freestylers hollandais, dont on s’inspirait petits, et le futsal, qui est tellement populaire chez nous, qui fait partie de notre patrimoine. C’est la même chose pour les Brésiliens par exemple. Ça explique aussi cette touche de folie que les Français ont moins par exemple.

JULIEN :  » Le petit plus, c’était le parc. Avec le temps, on se rend compte que les gestes de freestyle, ça sert pas à grand-chose sur un terrain mais on garde toujours cette touche de créativité. Et je pense que ceux qui arrivent à faire la différence au haut niveau, ce sont ceux qui ont cette touche si spéciale.  »

Un homme va être déterminant dans leur évolution : Seth Nkandu (aujourd’hui à la tête d’une académie de foot au coeur de Bruxelles).  » J’ai joué à Anderlecht jusqu’en -11 et puis j’ai arrêté le foot pendant 4 ans  » dit Andrea.  » Mais comme mon grand frère avait peur que je déraille comme beaucoup de jeunes du quartier, il m’ a envoyé chez Seth.  »

JULIEN :  » J’ai connu Seth à Anderlecht, il entraînait alors les -9. Et vu qu’on venait du même quartier, le courant est très vite passé. Il m’a expliqué le petit pont, a insisté sur le développement technique. Avec Seth, c’était tous les jours football.  »

ANDREA :  » Ce n’est pas notre gourou mais il a été très important, on lui doit beaucoup. J’ai des amis qui ont écopé de lourdes peines de prison. Entre 14 et 17 ans, il, est crucial de pouvoir compter sur quelqu’un comme lui. Il pouvait être très sévère. On avait même peur de le croiser dans le tram.  »

JULIEN :  » Pour moi ou Michy, ça se passait pas très bien à l’école. On avait donc Seth sur le dos. Il me faisait venir à 7 h du matin, je repartais à minuit ; on avait étudié, on avait joué au foot.  »

ANDREA :  » On acceptait presque tout car il avait un discours qui nous portait, il avait une telle force de persuasion. Il est très fort dans le dépassement de soi.  »

Julien :  » Aujourd’hui, on est tous devenus pros. C’est quand même remarquable.  »

UN MONDE DU FOOT VICIEUX

 » Si, aujourd’hui, je remonte la pente, c’est parce que mon encadrement est beaucoup plus sain qu’avant « , explique Andrea.  » Personne ne m’a montré le chemin quand j’étais petit, je n’avais pas d’exemple. Evidemment qu’il y avait Anthony (VandenBorre) mais quand j’avais 13 ans, il est déjà parti dans un autre monde, celui de la gloire de l’étranger.

Alors que Michy, Julien, Aaron, ils ont tous vécu mes matches avec moi. Soit au stade ou par vidéo quand j’évoluais à Portsmouth. Ils ont vécu l’histoire avec moi. Aaron, il a même vécu mon histoire mais aussi celle de Michy. C’est une richesse énorme pour lui.  »

Les coups d’éclat à Zulte Waregem ne vont pas durer. Andrea Mutombo va multiplier les clubs (Standard, Saint-Trond, le Cercle Bruges, la Croatie, etc).  » Je n’ai sûrement pas eu la bonne attitude, notamment envers le coach  » souligne-t-il.  » J’ai toujours eu du mal à accepter l’autorité, même à l’école. C’est une des explications à ma trajectoire sinueuse. Mais il n’est jamais trop tard pour changer. Je suis persuadé aussi que si tu veux réussir, il faut être très bien conseillé sportivement, être entouré de gens intelligents, influents aussi.  »

Pour Julien Vercauteren, le déménagement vers la Riviera avait des allures de conte de fées au début. La suite sera moins rose.

JULIEN :  » J’ai vécu le changement difficilement. Nice, c’est pas la Russie mais c’est la première fois de ma vie que je me retrouvais seul. J’ai signé quatre ans ici, le coach m’a dit que cette première saison servait d’écolage. Mais bon, c’est difficile de ne pas jouer. J’aimerais enfin connaître une saison chez les pros où je suis titulaire.  »

ANDREA :  » Le monde du foot n’est pas facile. Il est encore plus méchant, plus dur, plus violent, que la vie au quartier. Et surtout plus vicieux.

JULIEN :  » Quand on espérait petit devenir footballeur pro, jamais on n’aurait pensé pénétrer dans un tel milieu.  »

ANDREA :  » Ceux qui m’ont le plus dégoûté ce sont d’abord les footballeurs. Mon meilleur ami dans le foot, c’est Dedryck Boyata. Mais c’est le seul que j’ai rencontré grâce au foot.  »

JULIEN :  » Quand j’ai marqué mon premier but en pro, tout le monde voulait être pote avec moi. Mais quand t’es dans le trou, personne ne te calcule. Depuis que je suis arrivé à Nice, jamais je n’ai été boire un verre avec un équipier. Personne ne t’invite à aller manger. Et vu que je suis plutôt d’un naturel fermé, mon intégration n’a pas été parfaite. Ici, c’est du chacun pour soi et il n’y a pas de pitié. Mais c’est un bon écolage pour le futur « .

DANS LE PARTAGE

Aujourd’hui, celui pour qui ça rigole davantage c’est Michy Batshuayi.

ANDREA :  » C’est vrai mais je l’ai aussi connu en plein doute comme la saison dernière à Marseille. Faut pas croire : lui aussi a connu des périodes compliquées où il pensait même être prêté dans des petits clubs. Et quand moi, j’étais dans le trou, j’ai pu compter sur mes  » frères  » qui m’ont aidé. On ne réussit pas tout seul.

Le flow de Michy, on le vit avec lui. On est dans le partage. Si demain son sponsor, Adidas, lui propose trois paires de baskets, il va nous sonner et nous demander laquelle on veut. On a commencé à partager un snack, on continue à partager.

La percée de Michy est éclatante, notamment grâce à un encadrement parfait. Ce n’est plus le même homme que du temps du Standard. Tout n’est pas uniquement une question de talent car je ne mettrais même pas Michy parmi les 5 joueurs les plus talentueux de notre groupe.

Jeune, Pelé (Mboyo) était l’incontestable numéro un. Potentiellement, quelqu’un comme Geoffrey (Mujangi Bia) a le niveau de jeu pour jouer à Dortmund. Mais malheureusement vous n’avez jamais vu Geoffrey évoluer au maximum de son potentiel. Et je ne l’explique pas.

On a quelque chose de spécial mais on n’a rien à voir avec la sphère des génies comme EdenHazard ou Neymar. Ils sont peut-être 40 sur terre à appartenir à cette catégorie de génies. Après, il y a une masse de gens talentueux qui doivent batailler pour se faire une place et c’est là que l’entourage prend une grande importance. « 

PAR THOMAS BRICMONT À NIC – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Depuis que je suis arrivé à Nice, jamais je n’ai été boire un verre avec un équipier.  » – JULIEN VERCAUTEREN

 » Le monde du foot est encore plus méchant, plus dur, plus violent, que la vie au quartier.  » – ANDREA MUTOMBO

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