« ON NE PEUT PAS TOMBER PLUS BAS »

Les gars de passage et ceux qui ne mettent pas le pied, ça l’énerve. Lui, il est à Bruges depuis 2004 et il mord. Ch’ti Jo balance.

Faut pas l’énerver ! Sur un terrain de foot ou dans la vie, Jonathan Blondel sait ce qu’il veut. Se laisser faire ? Pas son style. On le provoque ? Il réplique. Au pire, il mordra en premier. Il déroule une analyse sans tabou de la crise brugeoise.

Notre enquête dans les supporters conclut que pour eux, tu es un symbole du Club, le clubman. C’est juste ?

Jonathan Blondel : Il va y avoir neuf ans que je suis ici, j’ai toujours tout donné. Ça plaît aux supporters. Ils se retrouvent en moi : je ne lâche rien, je vais au duel, jusqu’au bout.

On n’a pas l’impression que tous les joueurs le fassent cette saison ! Si c’était le cas, Bruges ne serait pas aussi mal.

C’est clair que nos résultats seraient différents si l’engagement était à la hauteur. Certains joueurs ne donnent plus tout depuis quelque temps. J’ai du mal à l’expliquer. C’est encore plus dommage parce que nous avons assez de bons joueurs pour être proches de la tête du classement. Si ça ne tourne pas, c’est d’abord parce que la mentalité n’est pas bonne.

Cette mauvaise mentalité, c’est un truc que tu as senti arriver progressivement ou il y a eu un événement déclencheur ?

C’est venu progressivement, mais la cause, je ne la connais pas. Il faut que ça change vite, parce que là, on n’est pas bien !

 » C’était bien parti, puis on a tout foutu en l’air en trois semaines  »

Tu n’as pas pensé en début de saison que vous aviez tout pour réussir quelque chose de beau ?

Certainement. Quand on voit nos trois premiers mois… Je me suis dit : -Ça y est, c’est parti. Puis on a tout foutu en l’air en trois ou quatre semaines, tout s’est écroulé.

Tu es le plus ancien du noyau : on t’écoute ?

En dix ans, les mentalités ont fort changé. Avant, quand un joueur plus âgé te disait de faire quelque chose, tu le faisais. Je me souviens du respect qu’on avait pour Gert Verheyen, Gaëtan Englebert ou Timmy Simons. On écoutait, on travaillait, on n’avait rien à dire. Maintenant, le jeune ne fait plus ce qu’un ancien lui demande ou il répond carrément. Parfois, quand je dis quelque chose à un jeune, c’est tout juste si je ne me fais pas engueuler. Dans le foot actuel, ce n’est même plus nécessaire d’avoir prouvé quelque chose pour commencer à l’ouvrir. C’est décevant mais ça ne se passe pas qu’à Bruges. En tout cas, avec l’état d’esprit d’il y a dix ans, le Club serait autre part.

Tu aimais plus le milieu du foot quand tu as commencé ta carrière ?

Alors là, y’a pas à chercher… Je préférais de très loin ce temps-là, il y avait le respect des anciens, de la hiérarchie. J’ai vu le milieu se transformer, année après année.

 » J’ai vu passer trop de nouveaux joueurs  »

Tu as connu l’époque où pas mal de joueurs faisaient encore un long bout de chemin à Bruges. Entre-temps, tu es devenu une exception. Le va-et-vient est continu, ça ressemble à un hall de gare. Ça ne complique pas encore un peu plus l’ambiance ?

Voilà encore un truc qui m’énerve ! J’ai vu passer trop de joueurs, et il y en a encore beaucoup qui passeront. Ils viennent pour une ou deux saisons, pour se montrer. Ils n’en ont pas grand-chose à faire du Club et du maillot.

Dans le groupe, tu es le seul qui a été champion et qui a gagné la Coupe avec le Club. Le palmarès de presque tous les autres est blanc. Il n’y a pas un manque de culture de la gagne ?

J’en reviens encore à la mentalité. Quand nous avons été champions en 2005, nous n’avions pas l’équipe la plus technique mais l’état d’esprit était là. Tout le monde se battait pour le gars d’à côté, c’est plus important que les qualités purement techniques ou le palmarès. Si tu n’as pas envie d’aider tes coéquipiers, ça ne sert à rien de faire du foot.

Tu vois des équipes où la mentalité est meilleure et explique des bons résultats ?

Je ne vais pas parler des autres clubs, on a déjà assez de soucis ici…

Qu’est-ce que tu ressens chez les supporters ? De l’impatience ? De la colère ? De la frustration ?

Un peu de tout. Je comprends leurs réactions, ils ont tout à fait le droit de se manifester. Ils disent ce qu’ils ont à dire et font ce qu’ils ont à faire… C’est aux joueurs qu’ils doivent s’en prendre.

 » Si ça commence à aller mal dans le vestiaire, on va dans le mur  »

Ton dernier trophée, c’était la Coupe en 2007. Tu te dis, année après année, que ça devient long ? Insupportable ?

Bien sûr. Mais je me dis surtout que ça devient interminable pour les supporters et pour les dirigeants qui sont au Club depuis longtemps. Ils ont connu les belles années, et maintenant, plus rien.

Si ta carrière s’arrêtait demain, tu garderais un goût de trop peu ? Ou surtout de la satisfaction ?

De la satisfaction. Ce n’est pas donné à tout le monde de jouer près de 10 ans à Bruges. Et j’ai gagné deux Coupes et un titre.

C’est possible de conserver un vestiaire calme quand les résultats sont aussi mauvais ?

Pas facile. On essaie d’y arriver quand même. Pas le choix. On se voit tous les jours : ça ne se passe pas bien sur le terrain, alors si ça commence à aller mal aussi dans le vestiaire, tout deviendra encore plus compliqué, on ira vraiment dans le mur.

Comment tu définirais l’ambiance ? Calme ? Chahutée ?

Ça dépend des jours. Il y a parfois des tensions à l’entraînement mais c’est la même chose partout : quand les résultats sont bons, tout va bien ; quand l’équipe est en dessous, ça tourne un peu mal. Dès que ça dérape, on essaie de tourner le bouton directement.

 » Je m’énerve vite comme Gattuso  »

Au niveau de l’approche humaine, Juan Carlos Garrido est entre un tyran comme Christoph Daum et un bon papa comme Georges Leekens ?

Daum et Leekens, c’étaient les deux pôles opposés, c’est vrai. Eh oui, on peut dire que Garrido est entre les deux. Il faut que ça travaille dur à l’entraînement et pendant les matches, mais en dehors, il est assez proche de nous.

Tu as besoin de travailler avec un entraîneur plutôt chaleureux, non ?

Bah, je ne suis pas du genre à avoir des problèmes avec les gens… Je viens, je fais ce qu’on me dit de faire.

Entre Leekens et toi, ça passait très bien !

Directement, il m’a montré qu’il me faisait confiance. Mais ça collait entre lui et tous les joueurs. Pour ce groupe relativement jeune, il avait l’approche qu’il fallait. Malheureusement, ça a mal tourné.

Pourquoi, finalement ? Problème physique ? Mental ? Ou autre chose ?

Plein de choses. Je ne sais pas. Difficile à expliquer…

Stéphane Pauwels m’a dit :  » Si tu aimes Steven Defour, tu aimes Jonathan Blondel « . Pourquoi tu es – ou tu n’es pas – un clone de Defour ?

Je laisse dire, ce n’est pas mon job de faire la comparaison.

Thomas Meunier te compare à Gennaro Gattuso, c’est encore mieux !

Il est comme moi, il veut tout gagner. Même à l’entraînement, je m’énerve directement si mon équipe perd un petit match.

Tu ne préférerais pas avoir une étiquette de poète, d’artiste ou de buteur ?

Non. J’ai ma façon de jouer. C’est gai de marquer, mais mon boulot, c’est d’abord courir pour les autres, récupérer des ballons puis les donner.

Tu n’as jamais eu envie d’offrir de l’élégance, un peu d’art aux spectateurs ?

Non. Et apparemment, on aime mon style à Bruges…

Avec tes qualités, ton abattage, ta mentalité, tu penses que tu es typé Club Bruges ?

Je ne sais pas.

Tu aurais pu faire le même parcours par exemple à Anderlecht, où on demande autre chose ?

On est ici pour parler de Bruges…

 » Le Club ne fait plus peur. A personne. C’est choquant.  »

Votre élimination en Coupe contre un Cercle en crise n’a même plus choqué : ce n’est pas ça, le plus grave ?

On est bien d’accord. Le Club ne fait plus peur. A personne. C’est choquant. Mais bon, tu en arrives là quand tu perds contre le Lierse, Louvain, le Cercle,…

Des résultats catastrophiques, un changement d’entraîneur, une dispute publique entre un gardien et son préparateur, la grogne des supporters : on a l’impression que Bruges ne pourrait pas tomber plus bas !

Excellent résumé. On ne pourrait pas être plus bas que maintenant.

Après la claque à Anderlecht, tu as dit que tu vivais ta période la plus difficile avec le Club.

Tout à fait. C’était le pire match du Club depuis que je suis ici. Et la pire période, carrément.

On sent de la résignation chez vos supporters, aussi dans le grand public, comme si cette saison devait être pourrie jusqu’au bout. Les joueurs raisonnent comme ça ?

J’espère pas ! Celui qui est résigné, autant qu’il arrête directement et ne rejoue que l’été prochain. Moi, je ne serai jamais résigné. Je veux qu’on prenne le maximum de points avant fin décembre, puis on fera le point.

Si je te dis que trois joueurs seulement réussissent leur saison… Il y a Carlos Bacca, Maxime Lestienne et toi. A côté de ça, il y a plein d’échecs individuels : Björn Vleminckx, Thomas Meunier, Lior Refaelov, Jesper Jorgensen, Mémé Tchité, Victor Vazquez, Vadis Odjidja,…

C’est vrai que si on compare au deuxième tour de la saison dernière et aux play-offs, beaucoup de joueurs ne sont plus au même niveau. C’est bien que nos derniers blessés reviennent. Un peu plus de concurrence ne fait pas de tort quand trop de gars sont sûrs de leur place et ne donnent plus le maximum.

S’être battu pendant une saison complète pour aller en Coupe d’Europe et faire un parcours pareil en Europa League, ce n’est pas désolant ?

On n’a pas à rougir. Quand tu tires Bordeaux et Newcastle, tu sais que tu vas jouer contre plus fort. Ça s’est vérifié.

C’est un discours à la Leekens…

Tu as vu les matches ? Il ne faut pas chercher plus loin. Les deux favoris nous ont dominés, tant pis pour nous. On ne pouvait pas faire mieux.

Vous auriez même pu aller en Ligue des Champions via les tours préliminaires. Qu’est-ce que ce Club-ci aurait fait contre le Zenit, Milan ou Malaga ?… Quand on voit qu’Anderlecht a terminé dernier de son groupe !

On parle de Bruges, pas d’Anderlecht.

Sachant que vous êtes très loin d’Anderlecht en championnat…

(Irrité). On aurait pris du 10-0 ou du 15-0, c’est ça que tu veux dire ? OK, on le dit, alors.

Vincent Mannaert a dit récemment que le Club avait un noyau pour être champion et l’a toujours : tu es d’accord ?

On a peut-être le groupe pour viser le titre mais on ne le montre pas pour le moment. Ce noyau vaut en tout cas beaucoup mieux que le classement actuel. Mais ce n’est pas fini. Le Standard et Genk ont déjà renversé des situations compromises dans les play-offs, on pourrait le faire aussi.

 » La Fédération m’en veut. Tant pis, j’y vais franco.  »

Tu t’es un peu calmé mais il t’arrive encore de déraper dans les duels. Cette saison, c’est Thomas Buffel qui a payé !

Je l’ai déjà dit plein de fois : c’est mon jeu, mon style, je ne changerai jamais.

Mais c’est moins fréquent qu’avant…

Ouais…

Donc, tu as changé…

Pas du tout. J’essaie juste de le faire plus intelligemment qu’avant. Si ça ne plaît pas à certaines personnes, tant pis, je m’en fous complètement.

Plus intelligemment, ça veut dire dans le dos de l’arbitre ?

Ah non, ce n’est pas mon style. Simplement, je ne me jette plus comme un fou. Je sais que ça reste un peu brusque par moments mais j’estime que je ne dépasse pas les limites.

Parce que le foot n’est pas un sport pour fillettes ?

Voilà !

Tu as pris quatre matches de suspension pour ta faute sur Buffel : logique ou exagéré ?

Exagéré. Mais l’Union Belge m’en veut depuis quelques années. Si je n’ai plus rien à voir avec ces gens-là, c’est mieux, c’est tout ce que je demande. Quand je vois que Dieumerci Mbokani n’a pris que trois matches pour son agression sur Killian Overmeire et qu’on voulait m’en mettre six…

Mbokani n’a pas été trop puni parce qu’il n’est pas récidiviste et parce qu’on a sans doute estimé qu’il prenait des coups sans arrêt.

Hé, tout le monde pense que j’en donne, mais j’en reçois aussi, hein !

Ceux que tu donnes sont sans doute plus spectaculaires ?

On va dire ça comme ça, oui.

L’arbitre n’avait rien vu et tu as été condamné sur la base des images. Ça ne se fait pas dans tous les pays : c’est un bon système ?

(Ironique). On peut parler de ça comme on peut parler des play-offs : la Belgique les a lancés quand tout le monde les avait abandonnés…

Des joueurs de Bruges m’ont dit qu’à l’entraînement aussi, tu mettais le pied. Pour eux, c’est même malheureux parce qu’ils estiment que tu n’as pas besoin de jouer comme ça pour être bon.

Si tu ne mets pas le pied à l’entraînement, tu ne le mettras pas en match. Il faudrait que certains joueurs de Bruges le comprennent, qu’ils soient un peu plus durs en semaine. Il faut se rentrer dedans. Moi, j’y vais franco : aux entraînements et le jour du match.

Tu veux dire qu’il faudrait cinq ou six Blondel dans l’équipe ?

Voilà. Un peu plus d’agressivité et de mentalité.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » Si ça ne tourne pas, c’est d’abord parce que la mentalité n’est pas bonne.  »

 » Je suis peut-être un peu brusque par moments mais j’estime ne pas dépasser les limites.  »

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