« On ne nous respecte pas »

Pierre Bilic

L’Excelsior se bat afin d’obtenir le droit acquis sur les terrains de football : jouer en D2.

C’est un terroir pas comme les autres avec ses forêts, ses traditions, son micro climat. Et puis Torgny, magnifique village garni de vignes. Dans la Provence belge, on dit qu’on entend des cigales au coeur de l’été. Une légende, probablement, mais Marius aurait aimé s’y reposer à l’ombre d’un chêne.

Il y a quelques années, tout le monde aurait cru que José Allard se prenait pour Tartarin de Tarascon s’il avait parlé de la D2. Jamais un club de la « belle province » n’avait eu ce privilège. Virton l’a acquis de haute lutte. « Mais on dérange et il y a longtemps que nous le savons », lance Jean Naisse, secrétaire du club. « C’est le bout du monde pour certains, le cul de sac de la Belgique… »

En Gaume, on n’en fait pas tout un fromage mais il y a des signes qui ne trompent pas. D’abord, les équipes de jeunes du nord du pays déclaraient souvent forfait quand elles devaient se rendre dans le sud du pays. L’Excelsior a alors retiré ses équipes des séries nationales (et fut remplacé par Verviers) afin de ne les aligner qu’au niveau régional. Et puis il y a le fonds de solidarité, alimenté par les clubs de D3, afin de soulager les frais de déplacements. Vu les distances, Virton percevait forcément un peu plus que les autres et en a été exclu suite aux pressions de pas mal de clubs néerlandophones… Enfin, Virton envoie régulièrement ses émissaires à Bruxelles. En hiver, pas évident de traverser le massif verglacé des Ardennes. D’autres ne viennent pas quand il y a un millimètre de neige sur le ring de Bruxelles!

« On ne nous respecte pas et j’ai même le sentiment que nous n’existons pas pour d’aucuns », raconte Jean Naisse. Est-ce un souvenir de l’histoire?

En 1840, dix ans après l’indépendance de la Belgique, Virton hissa le drapeau français sur les bâtiments officiels de la Ville. « On n’a jamais oublié cette fronde à Bruxelles », disent les vieux Gaumais. Robert Collignon, président du Parlement wallon, a rompu une lance en faveur de Virton. En Gaume, on se dit que la Région Wallonne se termine autour du sillon Sambre et Meuse car les investissements publics en faveur du sport sont limités en Ardenne et en Gaume. La grande aventure de Virton va peut-être changer le cours des choses. Robert Collignon doit maintenant joindre le geste à la parole.

A l’Excelsior, on attend la suite des événements : des dossiers ont été introduits, notamment pour la prolongation d’une tribune. Montant qui est prévu à cet effet: cinq bons millions. La Ville s’est engagée à moderniser le stade en phases successives. Elle a déjà dépensé cinq millions pour bien drainer le terrain : la pelouse est impeccable. Le but est d’accueillir à terme 5.000 spectateurs au petit stade Yvan Georges en 2004. Mais les moyens de la Ville sont limités. Il faut aider tout le monde. Virton a déjà une bonne équipe de tennis de table qui joue en D1, mais de là à ne donner qu’un subside de 45.000 francs par an au club de foot, c’est peu et cela devrait changer.

Une belle enceinte serait un magnifigique outil de travail car, pour le moment, tout y est très rustique avec une tribune de télévision faite de quelques planches.

Le Ton coule pas bien loin d’une des cages après avoir été rejoint par la Vire. C’est chouette pour les nuttons et la légende mais il faut avancer. La Ville a pris ses responsabilités et s’engage à être à la hauteur des espoirs de toute la Gaume. « Lors de la visite d’Eupen, il y a eu un peu plus de quatre mille spectateurs au stade: c’était exceptionnel mais il ne faut pas oublier que notre équipe produit un football de qualité », affirme Jean Naisse. Gaumais de naissance et de coeur, il a porté le maillot de ce club avant de militer à Halanzy, d’obtenir un diplôme d’entraîneur à l’Union Belge, de se retirer du foot durant quelques années pour retaper le moulin familial et répondre à l’appel de José Allard.

« Le club était endetté mais l’ambition était de retrouver la D3 au plus vite », rappelle Jean Naisse. « José Allard voulait rendre le sourire au club mais autrement : plus en faisant appel à l’un ou l’autre grand nom mais en plantant d’abord ses racines dans la région, en Gaume, à travers toute la province de Luxembourg et en France… car on a quinze kilomètres de frontière avec ce pays. Sedan n’est pas très loin. Son projet me plaisait : je suis revenu pour lui. On a découvert pas mal de cadavres et au lieu de remonter en D3, notre beau rêve, nous nous sommes retrouvés en Provinciale. L’essentiel était d’abord de remettre de l’ordre dans notre comptabilité. Aujourd’hui, Virton n’a pas un centime de dettes ».

Le visage économique de toute la Gaume a changé. Adossée à la Lorraine belge, elle a longtemps vécu au rythme de la sidérurgie d’Athus. Quand la crise emporta cette activité économique, toute la région tenta de se restructurer et grâce, notamment, au Gouverneur Planchard, des investisseurs sont venus du monde entier. Les centres décisionnels sont cependant situés à l’étranger: la Cellulose des Ardennes fait partie d’un grand groupe italien, Valvert puise son eau près de Virton mais a son siège en Suisse, chez Nestlé, etc.

Quand l’Excelsior de Virton aura acquis la certitude de pouvoir jouer en D2, ces grosses boîtes bougeront peut-être mais, en attendant, l’Excelsior vit au rythme des PME de la région, dont celle de José Allard, grossiste en articles de sports. Au moment de notre entretien, il revenait à peine de Chine où il avait assisté à une foire commerciale à Canton. Virton serait-il plus connu en Asie qu’à Bruxelles?

Jean Naisse insiste beaucoup sur ce climat de confiance qui règne dans le club. Un joueur nous l’a confirmé de vive voix : la parole suffit à Virton, c’est sacré. Etonnant dans le football actuel.

« Il y a tout simplement harmonie entre les joueurs, l’entraîneur, les dirigeants et le public », certifie Jean Naisse. « Si les pouvoirs politiques et le monde économique suivent, alors nous irons loin ».

La France est à portée de regard et c’est là que José Allard a été chercher Michel Le Flochmoan. Il avait déjà dépanné le Lorrain Arlon. Le président de Virton a toujours su recruter des joueurs en fin de contrat afin de ne pas payer de transferts, mais la France est un cas à part. Les centres de formation lancent des jeunes joueurs à la pelle. Ils ne peuvent pas tous trouver chaussure à leur pied dans des clubs professionnels et ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver dans des séries amateurs où ils ne perçoivent pas un franc.

En jouant en Belgique, ils relèvent un défi et mettent un peu de beurre dans les épinards. Vu la bonne campagne de Virton (prime de 10.000 francs par succès à l’extérieur), c’est assez appréciable. C’est pour eux et le coach bleu blanc rouge que le fidèle public a pris l’habitude de lancer une vibrante Marseillaise avant chaque rencontre.

« Ce n’est pas l’hymne du club », souligne Jean Naisse. « C’est né spontanément. Le refrain est très dynamique et cela donne du coeur au ventre ».

Virton s’est targué d’être un club amateur. Pas un franc n’est payé au noir. L’Excelsior se dit prêt à débarquer en D2 à une époque où tout le football belge se lance dans des restructurations en profondeur. Beucoup de clubs ont vécu avec le couteau sur la gorge et expriment des promesses. Quid s’ils ne respectent pas tous leurs engagements?

En février, l’Excelsior a envoyé son dossier de demande de licence. Virton avait émis deux réserves : le club ne savait pas si la Ville moderniserait le stade qui lui appartient et ignorait si quinze de ses joueurs accepteraient le statut non-amateur. Février, c’est loin et Virton ignorait que son aventure lui rapporterait le titre. Le succès venant, la direction de Virton demanda avant l’examen de la demande qu’on retire les deux remarques. Les Gaumais se demandent si les responsables de la commission les ont comprises car, un peu plus tard, Virton recevait un refus basé sur les deux éléments qu’ils avaient exigés de retirer du dossier. Stupeur!

En y regardant d’un peu plus près, ils relevèrent qu’un seul des six membres de la commission (deux pour les clubs pros, quatre pour les autres séries) était du rôle francophone. A-t-on compris la demande de Virton?

Enfin, un des six est dirigeant de Tongres… qui espère rejouer un match à Virton car la rencontre avait été dirigée par un arbitre grand-ducal désigné par la CCA. On imagine que ce dirigeant n’aura pas fait grand-chose pour défendre la cause de Virton. Ce club a déjà neuf joueurs sous contrat avec statut non-amateur. Il en faut quinze avant fin août et cela ne posera pas de problème.

Certains joueurs actuels hésitent. Ils ont tous un métier et le cumul n’est pas intéressant fiscalement. Le Grand-Duché de Luxembourg offre des conditions plus intéressantes : un club et un boulot dans une banque, cela ne se refuse pas. En changeant de statut, Virton devra évidemment revoir son budget à la hausse.

« S’il le faut, il le faut et c’est pour ça que j’avais dit récemment qu’on nous obligeait à faire des dettes pour jouer en D2 », répète José Allard.

Les Gaumais tournaient avec un budget de dix millions cette saison. Il sera doublé si l’Excelsior reçoit le visa de D2. Tout le monde est mis devant ses ambitions et ses responsabilités. Après la fête, il y a les nouvelles réalités financières. José Allard avait réveillé tout le monde en annonçant sa démission. Ce fut un coup de tonnerre…

« Mais il faut que tout le monde fasse corps autour du club », rappelle le président de l’Excelsior. « Il faut savoir que plus de 60% de notre budget annuel sont assurés par les recettes spectateurs. Le sponsoring se réduit à peu de choses par rapport à d’autres clubs que nous avons visités en D3. Je sais que cela étonne mais c’est une spécificité de notre club. Pour tenir le coup, nous avons lancé une opération fidélité, ouvert un compte en banque afin de vendre mille abonnenments. La Ville en achètera, la Province et la région aussi mais nous demandons surtout au public d’exprimer leur fidélité et de nous aider. Nous ouvrons également notre conseil d’administration à ceux qui ont des idées, des projets, de l’enthousiasme à revendre ».

Jusqu’à présent, plus de quatre cents abonnements ont été vendus. Si l’Excelsior n’obtient pas le droit de jouer en D2, les souscripteurs seront remboursés. Le Comité d’Appel se penchera sur le cas de Virton, et d’autres clubs, le lundi 14 mai. Un moment décisif mais avant d’éventuellement trancher, le Comité d’Appel devra d’abord s’estimer compétent ou pas en la matière. On le voit, ce n’est pas évident pour l’Excelsior.

« Moi, je demande qu’on examine sereinement le dossier », dit José Allard. « Il est solide et nous méritons une place en D2. Sportivement, on l’a prouvé et toutes les autres conditions sont remplies. Nous prouverons notre savoir-faire et notre volonté si on nous permet d’accéder à la D2 ».

La province de Luxembourg n’a jamais délégué d’équipe à ce niveau du football belge. Il y eu les belles années de Bastogne, les aventures de la Jeunesse d’Arlon mais c’est surtout individuellement que cette province a fait preuve d’ardeur. Elle fut représentée en D1 (et parfois même en équipe nationale), par le regretté Claude Bissot, Michel Renquin, Tony Englebert, Etienne Delangre, Philippe Albert, Thierry Rasquin ou Roch Gérard pour ne citer qu’eux. Il y a d’autres talents dans les Ardennes, en Gaume, en Lorraine.

« Tout à fait et notre club a mis en application les recommandations de l’Union Belge qui incita ses clubs à aligner le plus de joueurs de moins de 23 ans », argumente Jean Naisse. « Nous trouvons des jeunes dans de petits clubs et ils ont même étonné Michel Leflochmoan. Nous disposerons la saison prochaine de quatre terrains et de nouveaux vestiaires pour les soixante jeunes de l’Ecole de Gaume qui fonctionnera dans de bonnes conditions au Congo, un lieu-dit de Virton. La Ville a repris le bail, c’est bien ».

Virton espère y former ses étoiles de demain. Un club de D2 susciterait des vocations. Les Luxembourgeois ont de la suite dans les idées. Marcel Javaux en sait quelque chose. Ardennais, il a signé sa première carte d’affiliation le 6 août 1968 à Libin. Javaux arbitra son premier match en 3e provinciale : Maissin-Jehonville…

Pierre Bilic

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