» ON NE NAÎT PAS CHAMPION, on le devient »

Alors qu’Alex Miskirtchian a déjà la tête à Macao, où il boxera pour le titre mondial le 31 mai prochain, Ryad Merhy grimpe les échelons quatre à quatre. A deux, ils incarnent le présent et le futur du noble art belge. Rencontre exclusive dans le coeur de Dinant.

Dinant, un matin d’avril. L’ombre du Rocher Bayard caresse les flots d’une Meuse tranquille. Le soleil berce une cité encore endormie dont AlexMiskirtchian est devenu l’égérie sportive. A la première prononciation, le nom de famille du plus célèbre boxeur belge en activité n’est pas un exercice facile mais voilà qu’au fil des combats, la Belgique a pleinement adopté ce petit bout d’homme venu soulever des montagnes loin de sa terre natale.

Face à lui, RyadMerhy est pour sa part né d’un métissage enivrant, libanais par son papa et ivoirien par sa maman. C’est à Abidjan qu’il a vu le jour avant de rallier Bruxelles dès sa plus tendre enfance. Une fois encore, comme pour l’exceptionnelle génération des Diables Rouges qui se rendront au Brésil, notre Royaume puise ses succès dans la mixité.

Alex Miskirtchian va d’ailleurs boxer pour le championnat du monde, honneur qui n’est revenu que deux fois à la Belgique d’après-Guerre, à savoir en 1976 quand JeanPierreCoopman tomba devant l’immense MohamedAli puis en 1989 quand JeanMarcRenard dut s’incliner face au Vénézuélien AntonioEsparragoza. Macao sera le théâtre de l’affrontement du Dinantais face au Russe EvgenyRadovich, triple champion du monde en titre.

Pour beaucoup de gens, la boxe ne se résume qu’aux frasques cinématographiques de SylvesterStallone alors qu’assister à un entraînement des artistes suscite le respect et l’admiration. Pénétrer dans l’antre d’Alex Miskirtchian, qui a débarqué quelques minutes plus tôt au volant d’une voiture customisée en  » Batmobile « , est déjà un saut dans l’univers unique de la boxe suppliciée.

Posters au mur, affiches d’anciens combats mythiques, coupures de presse rappelant ses premiers faits d’armes quand il n’était qu’un gamin prometteur, il a aussi décoré son repère de nombreux drapeaux.

 » Je donne cours à de jeunes boxeurs et pour qu’ils se sentent chez eux dans la salle, je leur ai proposé d’apporter l’étendard qui les tenait à coeur. Et cela a bien fonctionné comme vous le voyez « , commence-t-il dans un grand éclat de rire. Effectivement, le drapeau brésilien côtoie le StarSpangledBanner, l’UnionJack. Alex a le sourire. L’homme est en confiance et les prochains mois seront cruciaux dans sa vie d’homme comme de boxeur.

 » Au début du mois de juin, mon épouse donnera naissance à notre deuxième fils et vous imaginez bien que je suis tellement impatient d’être là.  » Reste qu’avant cela, une autre échéance importantissime l’attend :  » Le championnat du monde ! L’accomplissement d’un rêve d’enfant. Le fruit d’heures et d’heures passées dans la sueur et les efforts.  »

L’entourage, la clé du succès

Ryad Merhy, moins connu mais ô combien talentueux lui aussi, écoute. A 21 ans, le Bruxellois est lui aussi promis à un grand avenir dans la boxe. Dans une catégorie où la concurrence fait moins rage, il se discerne du contingent d’athlètes frappant dans des sacs par un physique à damner un saint. Une gueule de mannequin, un torse dessiné au fuseau et une propension à attirer à lui la lumière. L’homme est pourtant d’une profonde humilité.

 » Je sais que jusqu’à présent, tout a été très vite pour moi dans ma jeune carrière mais cela ne m’empêche pas de rester les pieds sur terre. J’ai une marge de progression mais je sais que je ne suis encore qu’au pied de la colline.  » Et pour cause, quand il dit que ses débuts ont été fulgurants : ses huit combats professionnels se sont soldés par autant de victoires convaincantes et expéditives (sept par K.-O.).

 » Personnellement, j’ai attendu quatre ans avant de disputer mon premier championnat de Belgique « , narre Miskirtchian, comme un conseil adressé à son ami.  » Ryad a beaucoup de talent, il a un très beau physique et je suis convaincu qu’il est sur la bonne voie. La seule chose que je peux lui souffler, c’est de ne pas brûler les étapes. Il est jeune, je crois en lui mais il faut qu’il apprenne au fur et à mesure et je suis sûr qu’il ira loin. D’autant qu’il est bien entouré.  »

L’entourage, c’est aussi l’une des clés du succès d’Alex Miskirtchian. Débarqué en Belgique en tant que réfugié politique en novembre 2000 à l’âge de 14 ans, il a ensuite mené sa barque avec brio tout en poursuivant dans la voie qu’il s’était déjà esquissée en Arménie : la boxe. Art qu’il débuta à dix ans.

 » Avec le recul, je me dis que j’ai fait le travail comme tout le monde. Je me suis inscrit à l’école, j’ai appris le français, je me suis adapté à vie belge et j’ai commencé à travailler à l’âge de 18 ans. Jusqu’à l’année dernière, je bossais encore dans une clinique à Namur « , rappelle-t-il. Puis les épreuves franchies une à une, les titres s’amassant, il a plongé dans le grand bain pour devenir 100 % professionnel.

 » C’est sûr que les étapes de ma vie m’ont forgé un caractère et m’ont renforcé. Je suis plus dur que je ne l’aurais été si j’avais eu la vie de Monsieur-Tout-le-monde et je sais que l’on a rien sans rien.  »

L’histoire d’amour entre Ryad et la boxe est moins calculée. Disons qu’il est tombé dedans un peu par hasard :  » Plus jeune, je jouais essentiellement au football avec les copains de mon quartier. Ma mère me trouvait trop énergique et disait que j’avais du mal à me canaliser. Elle m’a donc incité à faire d’autres sports. J’ai testé le judo mais sans plus… Un jour, j’ai eu l’occasion d’aller dans une salle de boxe et j’ai eu une révélation. C’était cela et rien d’autre.  »

Macao, le Las Vegas oriental

Le garçon a pourtant bien failli tout lâcher, conscient que la vie de boxeur exige plus de sacrifices qu’elle n’autorise les excès.  » A l’époque, j’étais parti bosser avec ma fiancée à Saint-Barthélémy et j’avais vraiment mis la boxe entre parenthèses. Pendant les six mois passés sur place, j’ai fait un saut à Miami où je suis allé dans une salle et où des gens m’ont encouragé à reprendre. J’ai suivi leurs conseils, je suis revenu quelques semaines plus tard et j’ai repris la confiance en même temps que le goût. Et c’était reparti.  »

A chaque boxeur son leitmotiv, sa source de motivation, son credo. Et si Ryad Merhy s’est tatoué  » Chaque obstacle renforce ma détermination « , Alex répond par  » On ne naît pas champion, on le devient.  » Dans le langage codé du noble art, tout se cache derrière la souffrance et les stigmates qu’impose la réussite. Cette réussite, c’est en Chine et plus particulièrement à Macao, où l’on parle encore portugais, que Miskirtchian va aller la chercher. Dans moins de deux mois, il affrontera un  » kaiser  » de sa catégorie dans un coin du monde considéré comme le dernier comptoir européen d’Asie, réputé pour ses casinos, sa vie nocturne et ses délires. Le Las Vegas oriental.

 » C’est la première fois de ma vie que je m’en irai boxer aussi loin de chez moi mais dans la mesure où je suis challenger, j’ai dû accepter. Tout, dans ma carrière, s’est fait progressivement et je ne m’attends pas à être avantagé sur place mais par contre, j’ai un mental d’acier. J’ai faim de victoires et de conquêtes. Avant mes combats précédents, il m’arrivait de partir en Californie pour me préparer avec AbelSanchez, mais cette fois, j’ai opté pour un entraînement intensif chez moi, près des miens. J’ai retrouvé mes points forts, je me sens bien et je sais que dans quelques semaines, je pourrais décrocher ce que j’attends depuis vingt ans. C’est la chance de ma vie.  »

Loin de tout, Alex ne se sentira pourtant pas dépaysé et il ne s’inquiète pas du changement d’horizon. Il faut dire qu’il a déjà tout connu durant son adolescence et qu’à côté, ce qui l’attend s’apparente à une partie de plaisir :  » On partira une semaine plus tôt pour s’acclimater mais pas davantage. Je serai prêt pour le jour J. Et dès que le combat sera fini, je reprendrai le premier avion pour revenir en Belgique et être au chevet de mon épouse.  »

Et si le Dinantais est proche du firmament, Ryad Merhy ne peut que le toucher du regard :  » Si un jour je pouvais marcher sur les traces d’Alex, ce serait tout bonnement exceptionnel mais j’en suis loin. En ce qui me concerne, j’apprécie la rage qu’Alex a quand il monte sur un ring. Je suis un peu plus dilettante « , glisse-t-il en souriant.  » Je me souviens de notre première rencontre. J’avais disputé l’un de mes premiers combats pro à Andenne et il était dans la salle en famille. Il m’avait dit quelques mots très encourageants et ça m’avait flatté.  »

Pas d’analyse de l’adversaire

Alex reprend :  » J’ai mon style, ma façon de boxer. Pour moi, les deux premiers rounds d’un combat, c’est la guerre. Je dois imposer ma technique et obliger mon rival à s’adapter à moi. C’est pour ça que je n’analyse jamais le combat de quelqu’un que je vais affronter. Mon manager et mon coach le font, moi j’écoute leurs conseils mais cela ne dépasse pas ce stade-là. Idem pour Radovich. Ce qui compte, c’est de ramener un titre mondial, pour moi, mes proches, mes amis et mon pays.  »

Quand il a vaincu le Français SofianeTakoucht en janvier dernier à Liège, Alex s’est offert le droit de boxer pour la ceinture mondiale. Son fils, présent dans la salle, en avait plein les yeux :  » Pour lui, je suis déjà le champion. Il dit que son papa est le meilleur et il me ressemble. Il kiffe la boxe et il est un peu fou-fou. Je ne peux pas le décevoir, ni lui ni personne d’autre d’ailleurs.  »

Ryad Merhy devra pour sa part attendre encore quelques mois avant d’avoir un premier titre significatif :  » Je remonterai sur le ring le même jour qu’Alex, mais en Belgique, pour un neuvième combat pro. C’est la première fois que je boxerai en huit rounds. Si tout va bien, je pourrai briguer le titre de champion de Belgique en fin d’année voire début 2015.  »

Et quand on demande aux deux hommes de nous sortir un combat qui les a particulièrement marqués dans leur carrière, Alex est le premier à répondre :  » J’évoquerais le combat que j’ai remporté au Danemark il y a un peu plus d’un an. Je défendais mon titre à l’étranger et j’ai gagné au bout des douze rounds. C’était une victoire très significative pour moi.  » Ryad prend ensuite la parole :  » Je citerais la victoire remportée contre ToniVisic en décembre. Il était chiant mais je l’ai quand même envoyé au tapis.  »

PAR JEAN LAMBINON – PHOTOS: BELGAIMAGE/ANTHONY DEHEZ

 » J’apprécie la rage d’Alex quand il monte sur un ring. Moi, je suis plus dilettante.  » Ryad Merhy

 » Pour moi, les deux premiers rounds d’un combat, c’est la guerre.  » Alex Miskirtchian

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