« On ne m’écoute pas »

Le directeur général de la Fédération répond sur tous les sujets qui (le) fâchent.

Depuis qu’il est devenu directeur général de l’Union Belge en septembre 2007, Jean-Marie Philips (63 ans) a surtout marqué le public par une déclaration forte et étonnante. C’était le jour où le comité exécutif a prolongé le contrat de René Vandereycken. Le numéro 1 de la fédé, qui n’avait pas caché son envie de tenter le coup avec un autre coach, signala qu’il n’avait rien eu à dire dans la prise de décision et qu’il ne pouvait qu’en prendre acte !

Je ne sais pas trop comment je dois vous appeler : Greffier ou Patron ?

Jean-Marie Philips : Je vois où vous voulez en venir. Je suis le patron pour tout ce qui concerne l’administratif. Mais je ne suis que le greffier au niveau politique. Je ne peux qu’exécuter les décisions du pouvoir politique de l’Union Belge, je suis seulement un conseiller, je n’ai pas de droit de vote. Je n’ai rien à dire dans l’aspect sportif. Je n’ai aucune autorité sur René Vandereycken, par exemple.

Vous regrettez de ne pas avoir plus à dire ?

Bien sûr. Pour le grand public, la face visible de l’iceberg de la Fédération, c’est le sport. Et j’entends : -Philips ne fait rien. Cela me fait mal. Je ne suis pas diplômé en sciences du foot, donc je ne peux pas être déçu de ne pas être un décideur sur ce plan-là, d’autant que je connaissais les règles. Par contre, je suis déçu de ne pas être entendu. J’ai des difficultés quand on continue à discuter avec un Frankie Vercauteren dont les prétentions n’entrent pas dans le cadre budgétaire que nous avons fixé. Cela me fait mal quand je lis dans les journaux : -Pauvre Fédération qui doit demander l’aide de RTL pour que Vercauteren puisse toucher un salaire correct. Ce sont des contre-vérités. C’est encore par les journaux que j’ai appris la signature du contrat de consultant de Vercauteren sur RTL. Vous trouvez normal qu’il s’engage là-bas pendant ses négociations avec nous ? A la demande de Vandereycken, nous avions décidé d’engager un adjoint exclusif, pas un homme qui travaille en même temps pour la télé. Vercauteren le savait. Est-ce Vandereycken qui a changé d’avis et lui a donné l’autorisation d’être consultant ?

Vercauteren reste quand même en lice ?

Notre trésorier continue à étudier les scénarios possibles. Mais ce contrat avec RTL complique les choses. Michel Preud’homme avait instauré le professionnalisme autour de l’équipe nationale, notamment un adjoint à temps plein. Si on repart sur les bases d’un temps partiel, on fait un pas en arrière.

En voyant les résultats des Diables : est-ce vraiment nécessaire d’avoir un adjoint à temps plein ?

Pour nous, c’était une façon de progresser sur la voie de la professionnalisation. Ce qui peut nous sauver, ce n’est pas un T2 à mi-temps mais un adjoint qui fait plus qu’un temps plein.

 » Après Wilmots et Vercauteren, à qui le tour ? »

Vandereycken+Vercauteren : on aurait deux démolisseurs pour le prix d’un !

Je répète que j’ai parfois du mal quand je constate que je ne suis pas entendu… Attention, ce sont deux éminents sportifs qui ont des cartes de visite somptueuses. On aime ou on n’aime pas Vercauteren, mais c’est une sommité. Je me demande même si ce Monsieur – je ne choisis pas ce terme par hasard – n’est pas surdiplômé pour devenir adjoint de l’équipe nationale. Je ne dis pas qu’il considérerait la Fédération comme un hall de transit où il s’installerait en visant autre chose, mais on ne peut pas l’exclure non plus. A côté de l’aspect palmarès, il y a le côté ouverture et relations extérieures. Quand ça va mal, on n’a pas le droit de dire que ça va bien. Vandereycken a vu du positif dans le match Belgique-Maroc. Moi aussi : l’éclairage est revenu à la mi-temps ! Marc Wilmots a déclaré que s’il était devenu l’adjoint de Vandereycken, il ne se serait pas privé de mettre le doigt sur ce qui n’allait pas. C’était sans doute trop en opposition avec la conception du coach principal. Ou alors, Wilmots aurait été bridé par le T1 et on serait allé directement au clash. Après s’être désisté, Wilmots a dit qu’il n’avait jamais discuté de l’aspect sportif avec Vandereycken : j’ai du mal à comprendre… J’ai aussi des difficultés par rapport à la manière dont Vandereycken s’y prend pour nous proposer des adjoints. Après Wilmots, après Vercauteren, à qui le tour ? Nous lui avions pourtant demandé de nous donner plusieurs noms en une fois, et pas l’un puis l’autre.

Vous avez certainement vu l’émission de la RTBF consacrée aux maux du football belge et au fonctionnement de la Fédération : quelle claque !

C’était très dur mais j’ai de sérieuses réserves au niveau de la déontologie. Ce reportage a été tourné en tenant compte des réalités du mois d’octobre et diffusé en janvier. Entre-temps, pas mal de choses avaient changé. Nous avions procédé à une refonte de la cellule commerciale et du département communication. La RTBF n’avait pas le droit de dire : -La communication de Vandereycken est mauvaise. Elle devait dire : -La communication de Vandereycken était mauvaise en octobre. Car entre-temps, il avait été écrit noir sur blanc dans son nouveau contrat qu’il devait s’améliorer sur ce plan. Cela n’apparaissait pas dans ce reportage, qui n’était pas le reflet de la situation au moment de sa diffusion. Et plus affligeant : comme l’audience n’avait pas été bonne – à cause de la retransmission d’un match de Coupe de Belgique -, la RTBF l’a rediffusé trois semaines plus tard. A ce moment-là, le décalage était de trois mois et trois semaines ! Et quand on fait une longue interview mais qu’on n’en ressort que les trois phrases qui vous discréditent et vous ridiculisent, j’appelle cela de la désinformation et de la manipulation.

Vous avez l’impression que la communication de Vandereycken s’est améliorée ? Il a de nouveau fait fort dans la mauvaise foi après Belgique-Maroc…

Sur le fond de son message, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Nous n’avons pas le droit de lui mettre un doigt dans le derrière et de jouer au ventriloque… Il reste seul responsable du contenu de ses déclarations et doit les assumer. Dès la fin de Belgique-Maroc, je me doutais de ce qu’il allait dire : c’était bon, les joueurs étaient fatigués, le terrain était mauvais, etc. Par contre, il est désormais plus disponible, avec les sponsors notamment.

Et quand il dit après ce match qu’il s’est volontairement privé d’une partie de sa meilleure équipe au coup d’envoi…

Cela me heurte. On est quand même en pleine phase préparatoire des Jeux Olympiques et des qualifications pour la Coupe du Monde. Le résultat était important, d’autant plus que nous recevions des nouveaux sponsors auxquels nous voulions montrer que l’équipe belge n’allait pas tomber encore plus bas. Je sais que Vandereycken va râler en lisant cette interview et dira que je n’ai pas le droit de m’exprimer comme cela, que je ne peux pas raisonner comme un supporter. Tant pis : un dirigeant est aussi un supporter et doit être critique.

 » Vandereycken se plaint du programme de l’été ? Mais il dit qu’il a 40 bons joueurs ! « 

Qui sera le patron de l’équipe à Pékin : Jean-François de Sart ou René Vandereycken ?

Jean-François de Sart. Vandereycken ira à Pékin seulement parce que le premier match éliminatoire des Diables est programmé début septembre. Il y a donc une préparation rationnelle à mettre sur pied.

On imagine mal qu’il aille à Pékin pour ne rien avoir à dire !

Il sera dans la tribune, pas sur le banc. Cela lui a été précisé. Il évaluera la prestation des Espoirs en concertation avec de Sart, il pourra par exemple proposer de laisser souffler des joueurs fatigués dont il aura besoin chez les Diables. Mais la décision finale appartiendra toujours à de Sart.

On vous a senti irrité quand le comité exécutif a prolongé Vandereycken…

Il a été prolongé d’une voix… Dans la maison, certaines personnes m’ont reproché d’être l’ennemi de Vandereycken. Non, j’avais seulement dit -Doit-on absolument prendre un entraîneur belge pour les Diables Rouges ? Ce n’est pas nécessairement la meilleure solution car chaque entraîneur belge porte une étiquette : ami d’un tel club, ennemi d’un tel joueur, etc. Il aurait peut-être été utile de mettre fin à cette ambiance.

Le contrat d’entraîneur de Vandereycken a été prolongé. Pas son contrat de délégué commercial…

C’est fini, il n’a plus qu’un seul contrat. Je n’avais pas de problèmes avec sa double casquette : le seul souci, c’est qu’on n’avait pas dévoilé qu’il avait aussi un contrat commercial. Or, avec ses introductions, il était bien placé pour attirer des sponsors. Pas de problème, aussi longtemps qu’il ne sélectionne pas le fils du patron de Hamburg-Mannheimer… Il faut aussi savoir ceci : ce n’est pas parce que Vandereycken nous a amené un sponsor que son contrat d’entraîneur a été prolongé.

Vandereycken n’est pas heureux que la Fédération ait accepté un match amical en Allemagne au mois d’août et il vous vise.

Quand les Allemands nous ont fait cette proposition, ils nous ont donné une semaine pour répondre. Ils avaient d’autres candidats. Tout pays du foot qui se respecte ne refuse pas une invitation de l’Allemagne. A ce moment-là, on ne savait pas si Vandereycken serait ou non prolongé. Il nous reproche de ne pas l’avoir consulté mais nous n’avions pas de raison de lui demander son avis. Il dit que c’est impossible de combiner Jeux, match en Allemagne et préparation de la première rencontre éliminatoire pour la Coupe du Monde. Mais il a suffisamment déclaré qu’il avait un groupe de 40 joueurs valables ! Où est le problème ? Nous ne pouvons de toute façon en envoyer que 22 en Chine : 18 dans le village, et les quatre autres ne risquent d’être mobilisés que s’il y a une défection dans le noyau des 22. Ce ne sont donc pas les forces vives qui manquent pour réaliser toutes les missions de l’été.

 » Il faudrait un manager à l’anglaise pour guider les votants qui ne s’y connaissent pas en foot « 

L’équipe belge est 48e au dernier ranking FIFA : vous êtes un directeur général heureux et fier lors de vos déplacements à l’étranger ?

Cela ne me fait pas plaisir de me présenter dans les dîners officiels en tant que CEO d’une fédération dont l’équipe A est 48e mondiale. Mais attention : l’Union Belge est beaucoup mieux classée en terme d’organisation par exemple.

Cela nous fait une belle jambe ! La vitrine, c’est quand même l’équipe A !

Bien sûr. Mais une vitrine, ça se diversifie. Si votre fiancée va voir la vitrine d’un magasin de robes pour mariées, elle fera vite demi-tour si elle n’y voit qu’une seule robe, pas belle et jaunie. Par contre, elle entrera s’il y a à côté des modèles qui valent le coup. Ces autres robes, chez nous, ce sont les -15 et les -17 qui sont qualifiés pour des phases finales de Championnat d’Europe, les -21, l’équipe féminine, etc. En mai, nos filles vont recevoir l’Allemagne, championne du monde en titre.

Que faut-il faire pour que le coach fédéral ne soit plus désigné par des gens qui n’ont jamais joué ?

La solution, c’est d’avoir un vrai manager sportif à la Fédération. Un homme compétent, capable d’avoir une bonne politique sportive claire à long terme. Une espèce de manager à l’anglaise. Il y a des personnes qui répondent à ce profil en Belgique, mais il faut pouvoir les faire entrer à l’Union Belge, les payer et leur donner confiance. Cette personne exposerait ses idées aux membres du comité exécutif, qui les accepteraient ou les refuseraient. Si les votants n’y connaissent rien, au moins ils seraient éclairés.

Le président François De Keersmaecker a le charisme d’un enfant de primaire. On est loin de la personnalité d’un Michel D’Hooghe !

J’ai une anecdote récente et révélatrice. C’était pendant le match Westerlo-Anderlecht sur Belgacom TV. Une caméra a fait un gros plan sur Herman Wijnants et François De Keersmaecker. Benoît Thans, qui était aux commentaires, a dit : -On voit Herman Wijnants, et l’autre à côté, je crois que c’est le président de l’Union Belge. François De Keersmaecker ou quelque chose comme ça. C’était méchant…

La Fédération n’a-t-elle pas raté un virage historique en rejetant le ticket Preud’homme – Roger Vanden Stock ?

On a raté quelque chose. Nous avions envisagé un bon scénario : Vanden Stock président, Preud’homme manager sportif, et moi manager administratif et juridique. Mais aux yeux des clubs amateurs, il y avait quelque chose de diabolique dans cette construction.

 » Nous avons les meilleurs avocats du monde dès qu’il s’agit de faire traîner une affaire « 

La justice belge est réputée pour sa lenteur. La justice de l’Union Belge est encore bien plus lente. Comment réagissez-vous en tant que juriste ?

Nous avons les meilleurs avocats du monde dès qu’il s’agit de faire traîner une affaire : ils n’ont pas eu le temps de lire certaines parties du dossier, ils mettent le doigt sur une page qui n’a pas été traduite, etc. Ils demandent des remises pour des détails. C’est vrai que ça traîne. Mais vous ne trouvez pas que ça traîne tout autant du côté de la juge Verstreken dans l’affaire des matches truqués ?

Si je vous offre des vacances avec Luc Misson, vous les prenez ? Deux juristes, ça pourrait être sympa.

Aucun problème. Nous nous apprécions même s’il est clair qu’il y a des sujets sur lesquels nous ne serons jamais d’accord. Quand il dit qu’un footballeur est un travailleur ordinaire, je ne le suis pas. Je ne l’approuve pas non plus quand il multiplie les man£uvres procédurières.

Avouez qu’à la Fédération, vous attrapez des boutons dès que vous le voyez débouler sur votre parking.

On en attrapait… Mais c’est fini. Je n’ai pas peur de Maître Misson. Son argument fondamental, c’est : -Vous n’avez pas les compétences pour sanctionner. Moi, je dis que nous avons ces compétences car tous les clubs affiliés à l’Union Belge en connaissent les règles avant d’y entrer. Ils ne doivent pas essayer de les remettre en cause par après. Et les membres de toutes les commissions, s’ils font bien partie d’un club et peuvent donc être taxés de juge et partie, ont quand même été nommés par les clubs. C’est la méthode la plus démocratique. Si après cela, dans un conflit, un club dit qu’il a été traité de façon partiale, je dis qu’il tape en dessous de la ceinture. Et je ne l’accepte pas. Je préfère qu’on me tape un bon coup sur la tête en me traitant de con. Des clubs se plaignent de notre monopole, ils disent qu’ils sont venus chez nous parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Mais il y a aussi le championnat de la fédération chrétienne, l’ABSSA, etc.

Parlons de la réforme : la D1 a crié victoire avant d’avoir l’accord de la D2. Tout cela fait un peu amateur.

C’était périlleux de crier qu’on avait gagné alors que la D2 n’avait pas donné son aval. On ne pouvait pas décider du sort des clubs de D2 avant de leur avoir parlé.

Comment voyez-vous l’évolution ?

Je ne suis pas convaincu qu’une réduction du nombre de clubs de D1 serait bénéfique. On parle de la multiplication des affiches, mais trop d’événements tuent l’événement.

En attendant, les chaînes de télé doivent remettre leurs offres sans savoir ce qu’elles risquent d’acheter.

Tout à fait. Mais je n’exclus pas que la situation se débloque d’ici le 8 mai, date pour laquelle les chaînes devront nous remettre leurs offres.

Quelles sommes peuvent espérer les clubs de D1 ?

Ils ne doivent pas être présomptueux. Il y a trois ans, les clubs ont profité à fond du désir de Belgacom de s’installer sur le marché de la télévision. Ce serait bien de toucher encore plus que 36 millions par saison, mais je ne mettrais pas ma main au feu.

par pierre danvoye – photos : reporters/ hamers

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