« On n’est pas des extra-terrestres »

Entretien exclusif avec le directeur sportif du Real Madrid avant la double confrontation face à l’AC Milan.

Le Real Madrid est entré dans une nouvelle ère galactique. Florentino Perez, élu à la présidence cet été, a réactivé sa politique de recrutement des plus grandes stars de la planète. Il a aussi rappelé celui qui fut déjà son bras droit lors de son premier mandat, au début du siècle : l’Argentin Jorge Valdano, qui a succédé à Predrag Mijatovic au poste de directeur sportif. Nous l’avons rencontré dans la capitale espagnole.

Comment se porte le nouveau Real Madrid ? Etes-vous satisfait, des résultats mais aussi de la manière ?

JorgeValdano : Des résultats, oui. En ce qui concerne la manière, il faudra être patient. Il y a beaucoup de nouveaux joueurs, mais nous avons deux avantages : 1° L’équipe est en de bonnes mains, car l’entraîneur a déjà démontré ses compétences. 2° C’est un groupe très sérieux et très professionnel, très facile à diriger. Nos vedettes ne rechignent pas au travail. Cela va faciliter le chemin à suivre. Pour l’instant, les résultats sont bons. L’équipe est déjà bien en place en attaque et en défense, mais il manque encore un peu de fluidité dans l’entrejeu. Etant donné les caractéristiques des joueurs qui la composent, cette équipe est faite pour pratiquer un jeu direct. Elle est plus à l’aise lorsqu’elle peut accélérer le jeu que lorsqu’elle doit tourner autour de la défense adverse à l’image d’une équipe de handball. Et c’est ce que notre public demande. Il n’aime pas un jeu trop élaboré, avec de longues constructions.

C’est donc une autre manière de jouer que le FC Barcelone ?

De toute manière, le Real Madrid n’a jamais imité personne.

En raison de son prestige, le club est dans l’obligation de bien jouer…

C’est clair. Mais je suis convaincu qu’on y arrivera. Si le Real Madrid possède de bons joueurs, il ne forme pas encore une véritable équipe pour l’instant. C’est une question de temps et de travail, mais je suis confiant.

La Liga : meilleur championnat d’Europe

Cet été, vous avez transféré Cristiano Ronaldo – sans doute le meilleur joueur de Premier League -, Kaká – sans doute le meilleur joueur de Serie A – et Karim Benzema – sans doute le meilleur joueur de Ligue 1. Cela indique-t-il que la Liga est le meilleur championnat d’Europe ?

A mon avis, oui. Pas uniquement pour les joueurs qui y évoluent, mais également pour le jeu qui y est développé. Je crois que les investissements réalisés par le Real Madrid cet été peuvent profiter à toute la Ligue, car l’attention d’une bonne partie des médias et des investisseurs se reporte de nouveau sur l’Espagne. Au niveau européen, les clubs concernés par nos investissements – Manchester United, l’AC Milan et Lyon – n’ont pas encore réinvesti entièrement l’argent récolté. Dans l’avenir, lorsque ce sera le cas, ils deviendront des rivaux redoutables.

En attendant, Milan – que vous rencontrez à deux reprises successivement en Ligue des Champions – souffre depuis le départ du Brésilien ?

Ce n’est pas facile d’être privé d’un joueur d’une telle qualité, d’un tel charisme. J’ai l’impression que l’AC Milan souffre également au niveau collectif, mais il y a de très bons joueurs dans son effectif et je suis sûr qu’il retrouvera son niveau d’antan. On abordera cette double confrontation face aux Rossoneri avec le même respect qu’autrefois.

Peut-on comparer l’équipe actuelle du Real avec la période des Galactiques initiée par Perez lors de son premier mandat, ou est-ce totalement différent ?

C’est totalement différent. A l’époque, il y avait de grands joueurs. Aujourd’hui, il y a une équipe. La recherche d’équilibre a été plus importante cette année dans le recrutement.

Mais le public du stade Santiago Bernabeu est friand de stars ? Simplement gagner, avec des joueurs  » normaux « , cela ne suffit pas ?

En premier lieu, je crois qu’il devient de plus en plus difficile de gagner avec des joueurs  » normaux « . Ensuite, j’ajoute que le Real Madrid a toujours compté les meilleurs joueurs d’Europe, voire du monde, en ses rangs. C’était déjà le cas il y a 50 ans, avec Alfredo Di Stefano par exemple. Le jour où le Real Madrid ne posséderait plus les meilleurs joueurs, il cesserait d’être le Real Madrid.

A-t-on déjà trouvé un autre surnom pour les néo-Galactiques d’aujourd’hui ?

D’abord, ce surnom de Galactiques ne nous a jamais enchantés, mais on ne peut pas lutter contre la vox populi. On participe à des compétitions terrestres, pas intergalactiques. On verra bien sous quel surnom l’équipe actuelle entrera dans l’histoire, mais ce n’est pas ma préoccupation première.

Pellegrini, Raul et les Néerlandais

Sans Ronaldo, le Real Madrid a été battu au FC Séville. Existe-t-il déjà une  » Cristiano dépendance  » ?

Cristiano est déjà déterminant dans le jeu du Real, comme il l’était à Manchester United. On a la chance de pouvoir profiter aujourd’hui de ses services, mais cela ne signifie pas que l’équipe soit dépendante de lui.

Quelle est l’importance de Xabi Alonso dans cette équipe, en référence au manque de fluidité dans l’entrejeu que vous évoquiez ?

Xabi remplira lui aussi un rôle déterminant au sein de cette équipe. Grâce à son intelligence, à sa maturité, à l’influence qu’il exerce sur ses partenaires, à ses caractéristiques footballistiques. Ce sera un joueur qui, à un moment donné, dictera le rythme à l’équipe. De là à dire qu’il sera plus important que Cristiano Ronaldo ? Les deux joueurs sont différents. Cristiano a ce pouvoir de modifier le résultat d’un match. Xabi a surtout une influence sur le jeu.

Les joueurs néerlandais ont été priés de quitter le club. Arjen Robben, Klaas-Jan Huntelaar et Wesley Sneijder sont partis. D’autres, comme Ruud van Nistelrooy, Rafael van der Vaart et Royston Drenthe se sont accrochés.

Chaque cas est différent. Huntelaar a été victime de l’arrivée de Benzema. Compte tenu du fait que Raul et van Nistelrooy étaient toujours là, il a fallu lui signifier que son rôle serait très secondaire. On a essayé de lui trouver un club de son niveau, ce qui, je pense, est le cas avec l’AC Milan. Sneijder a eu des options pour rester, surtout à un moment où l’entrejeu n’était pas encore très étoffé, mais les arrivées d’Esteban Granero et de Xabi Alonso, ainsi que l’option d’aligner quatre attaquants plutôt que trois milieux de terrain, choisie par l’entraîneur dans de nombreux matches de préparation, ont un peu bouché son horizon. Je crois qu’il était préférable pour Wesley de chercher son bonheur sous d’autres cieux. Avec l’Inter, il a atterri dans un autre club du top. Robben ne souhaitait pas remplir de rôle de second plan. Durant la période de préparation, il a bénéficié d’un temps de jeu important et a atteint un bon rendement, qui le satisfaisait, mais quelques jours avant la clôture du marché des transferts, son père a débarqué au club en disant qu’Arjen souhaitait un rôle plus en vue et n’était pas satisfait du statut qui était le sien. D’où son transfert au Bayern Munich.

Lors du dernier match de Ligue des Champions, contre Marseille, Raul n’était pas titulaire. Est-ce le début de la fin pour ce joueur emblématique ?

La saison sera longue et il faut gérer l’effectif. On aura besoin de tout le monde. Il faudra faire en sorte que tout le monde se sente impliqué d’un bout à l’autre. Il est naturel que, chaque semaine, un titulaire potentiel doive s’installer sur le banc. Contre Marseille, c’était le cas de Raul. Les grands joueurs débordent d’ambition et veulent toujours être présents. Cela ne fait plaisir à personne de devoir passer son tour. Mais c’est une mesure à accepter. Et, pour autant que je sache, les joueurs l’acceptent. Chaque absence de Raul suscite davantage la polémique dans les médias que dans le chef du joueur lui-même.

L’engagement de Manuel Pellegrini comme entraîneur a engendré un certain scepticisme. A priori, il n’avait pas l’aura d’un Arsène Wenger, d’un José Mourinho ou d’autres entraîneurs emblématiques. Pouvez-vous expliquer les raisons de ce choix ?

Pellegrini est arrivé à un stade de maturité professionnelle. Il s’est forgé une expérience dans différents pays, il entraîne déjà en Espagne depuis de longues années et a également acquis une expérience dans les compétitions européennes. A nos yeux, il avait donc suffisamment de qualités pour diriger une équipe comme le Real Madrid. En outre, il prône toujours un football offensif, un élément auquel le club est attaché. Pellegrini a le profil requis.

Le déséquilibre semble de plus en plus grand entre le Real et Barcelone d’une part, et les autres équipes de la Liga d’autre part. Est-ce inquiétant ?

Dans tous les pays, on trouve un groupe d’équipes plus fortes que la moyenne. C’est lié à la puissance financière, tout simplement. En Angleterre, on parle du BigFour. Au Portugal, il y a Benfica, le FC Porto et le Sporting. En Belgique, Anderlecht, le Standard et le Club Bruges. En Espagne, on parle surtout de deux équipes. C’est déjà mieux que la saison dernière, car à l’époque il n’y en avait qu’une ! ( Ilrit) Mais ces deux équipes peuvent être battues par au moins une dizaine d’autres équipes. On doit toujours être sur le qui-vive et montrer son meilleur visage.

Etes-vous déjà intéressé par certains joueurs dans l’optique de l’avenir ?

Ce n’est pas le moment de parler de cela. L’équipe actuelle est définie et elle va défendre le prestige du Real Madrid jusqu’au terme de l’actuelle saison au moins. Acheter d’autres joueurs, cela se fera en temps voulu et on ne dévoilera aucune piste.

Comment se répartissent les tâches entre Perez et vous ?

On est en contact permanent, et le comité de direction se réunit hebdomadairement. Perez est le président, c’est donc logiquement lui qui tranche en dernier ressort pour les questions les plus importantes, mais il sait aussi déléguer pour certaines matières. Et il n’y a pas encore eu de véritables divergences de vues sur la politique suivie. Choisir un joueur pour le Real Madrid, c’est en réalité très facile. Il faut des joueurs susceptibles de plaire au public et aux médias, c’est tout.

La finale de la LC n’est pas une obligation

Le Real est le club de votre vie. Est-il difficile de travailler pour le club le plus critiqué du monde ?

Je me sens très à l’aise lorsqu’il s’agit de défendre un projet auquel je crois. Le Real Madrid est une association sans but lucratif, qui a l’obligation de dépenser en fonction des rentrées présumées. Cela requiert un grand effort d’un groupe de professionnels qualifiés, héritiers du passé du club et mis sous pression par l’obligation d’être leader.

Ressentez-vous l’obligation de tout gagner cette saison : le championnat, la Coupe du Roi et la Ligue des Champions, comme l’a fait Barcelone la saison dernière ?

Non. On a simplement l’obligation d’être chaque jour un peu meilleur. Lorsqu’on est bon, généralement les résultats suivent.

Sachant que la finale de la Ligue des Champions se jouera au stade Bernabeu, serait-ce une déception si le Real n’était pas à l’affiche ?

Bien sûr, que ce serait une déception. Mais pas un drame. On ne peut pas transformer ce souhait d’être finaliste en obligation. Il faut compter avec les lois du sport. Je tiens à rappeler qu’au siècle passé, le Real était resté 32 ans sans remporter la Coupe des Champions, ce qui ne l’avait pas empêché d’être élu meilleur club du XXe siècle. Dans la situation actuelle, qui est celle de la reconstruction d’une nouvelle équipe, il faut être patient si le succès n’est pas tout de suite au rendez-vous.

Comment réagiraient les supporters et les médias en cas d’échec ?

Le Real a toujours joué sous une pression intense. Ce n’est pas nouveau. Les commentaires passent souvent d’un extrême à l’autre, en fonction du dernier résultat. Avec les investissements consentis, Perez a placé la barre très haut. L’attente est grande, il le sait, mais on ne peut pas contrôler les réactions. Pour moi, on ne peut réellement parler d’échec que lorsqu’on n’a pas tout fait pour atteindre l’objectif que l’on s’était fixé.

Vous donnez l’impression de beaucoup apprécier Pep Guardiola. Est-ce la vérité ou n’est-ce qu’une impression ?

Vous savez que j’ai exercé différentes fonctions en rapport avec le football. J’ai aussi été consultant pour des organes de presse. Actuellement, je travaille pour le Real Madrid et je me concentre sur ce club. Lorsqu’on me demandait mon avis en ma qualité de consultant, je n’ai jamais hésité à dire du bien du FC Barcelone, parce qu’il le méritait. En ce qui concerne Guardiola, c’est vrai que je me suis montré élogieux à son égard, depuis le début. Je n’ai pas changé d’avis, mais ce n’est plus de mon ressort de prendre position.

Jouer à 15 h pour la Chine ?

On parle beaucoup du  » fair-play financier  » que veut instaurer la FIFA. Qu’en pensez-vous, au moment où le Real a dépensé des centaines de millions alors qu’il a toujours des dettes énormes ?

Le Real Madrid soutiendra toujours de telles initiatives. Pour l’instant, la FIFA se focalise beaucoup sur la masse salariale. Elle souhaite qu’elle ne dépasse jamais les 70 % du budget d’un club. Je suis fier d’annoncer qu’au Real Madrid, la masse salariale est inférieure à 50 % du budget. On ne craint donc pas du tout une quelconque menace de la FIFA à ce niveau.

La FIFA essaie aussi de limiter les transferts de très jeunes joueurs, et a récemment sanctionné Chelsea. Le Real Madrid pourrait-il, lui aussi, être sanctionné ?

Il faut éviter les dérives, je suis d’accord. On transfère des joueurs de plus en plus jeunes, surtout des économies pauvres vers des économies riches. Il faut absolument établir un système de contrôle. Il y a eu des cas heureux, comme le transfert de Lionel Messi à 14 ans, mais tous les gamins ne réalisent pas leur rêve de la même manière. Parfois, cela se termine mal : les jeunes sont abandonnés à leur sort. Les règles strictes que veut appliquer la FIFA me semblent logiques.

En parlant d’économie : le Real parle de jouer le dimanche à 15 h 00, pour que les matches puissent être diffusés à une heure de grande audience en Chine…

Florentino Perez a évoqué cette perspective lors d’une interview, mais cette réflexion n’était pas le fruit d’une réunion entre membres du conseil d’administration. Affirmer que c’est déjà à l’agenda, c’est aller vite en besogne.

par daniel devos

Le jour où le Real Madrid ne possédera plus les meilleurs joueurs, il cessera d’êtrele Real Madrid.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire