» On n’a pas viré d’entraîneur depuis 1999 « 

Dans ce club, Monsieur, on ne renvoie pas les coaches, on garde des joueurs jusqu’à la fin de leur contrat quitte à ne pas toucher de sommes de transfert, et on partage le stade avec le concours Eurovision de la chanson, Mike Tyson ou des courses automobiles…

Eoliennes à perte de vue dans la mer ; amour du design dans tous les lieux de la ville, à commencer par l’hôtel SAS dont la première chambre, décorée par son créateur Arne Jacobsen, est restée en l’état ; qualité de vie représentée par un nombre impressionnant de vélos ou de pères promenant leur enfant ; présence de parcs, de canaux et de bras de mer à tous les coins de rue. Copenhague répond parfaitement aux clichés modernes et écologiques qui collent aux cités scandinaves.

Par contre, elle met à mal le hygge local, cette notion d’atmosphère danoise qui veut que chaque endroit soit cosy, convivial et calme. Pas ce soir-là, en tout cas. Dans Nyhavn, petite rue portuaire colorée, rassemblement de restaurants et de bars, l’ambiance est plutôt chahutée. Les supporters de la Norvège et du Danemark fraternisent autour de grandes bières locales ou d’aquavit. Prélude au grand affrontement entre ces deux pays, derby enfiévré, avec pour enjeu la première place du groupe H de ces éliminatoires pour l’Euro 2012. On est ici bien loin de heurts violents qui accompagnent généralement la rencontre des noyaux durs d’autres pays.

Tout se passe dans une liesse générale, chacun essayant de convaincre son voisin que son pays est le plus fort. Question de suprématie locale. Deux heures plus tard, tout un pays fait la fête à Copenhague : grâce à deux buts de Nicklas Bendtner, le Danemark revient à hauteur de son adversaire du jour, nanti d’une rencontre supplémentaire, et du Portugal, autre cador du groupe.

Le lendemain, pas de gueule de bois, pas de trace de la veille. Seul le stade du Parken garde les stigmates de ce qui s’est apparenté à une fête nationale. Sur les murs de ce complexe ultramoderne, situé au c£ur d’un parc, à quelques minutes du centre-ville, des affiches géantes des légendes danoises comme Preben Elkjaer Larsen, Morten Olsen, les frères Laudrup, Allan Simonsen, Peter Schmeichel ou Dennis Rommedahl ornent la façade. Le drapeau de la fédération danoise de football flotte encore quelques heures sur l’enceinte. Avant d’être remisé dans les caisses qu’on ira rechercher lors des prochaines rencontres de la sélection danoise.

Don O, l’homme à la base de la transformation du club

Car, la Fédération n’est pas ici chez elle. Elle loue le stade à son propriétaire, la société ParkenSport and Entertainment qui chapeaute notamment le club devenu depuis quelques années le plus populaire de la ville, le FC Copenhague. Idée simple mais idée de génie, à la base du succès du club.

 » C’est la première chose qu’a faite Flemming Ostergaard lorsqu’il a intégré le conseil d’administration du club en 1996 « , explique Thomas Pyndt, journaliste à l’hebdomadaire sportif, Tipsbladet.

Ostergaard est un homme de caractère. Président du club de Lyngby, il n’hésita pas à lâcher son poste face à la colère des supporters déçus de la vente d’un joueur, pour rejoindre le club de la capitale. Il n’aura fallu que deux ans à Don O, surnom dont la presse l’affubla, tant pour ses racines espagnoles que pour son caractère très émotionnel et latin, pour devenir l’homme fort du FCK et parvenir à ses fins. Coût du rachat : 25 millions d’euros.

Une paille pour celui qui visait des perspectives juteuses, bâtissant tout le développement du FC Copenhague autour de ce bâtiment. Comment ? En en faisant un lieu d’événement mais également le siège de multiples entreprises, et en mettant sur pied une société qui gérerait les événements dans divers secteurs. Ainsi est né la Parken Sport and Entertainment qui en plus de posséder le club de Copenhague, gère des concerts comme celui de David Bowie mais également des courses automobiles ayant lieu dans le stade, un centre de fitness, qui a également investi une partie du stade, un centre de conférence, la location de bureaux à des entreprises locales, un parc de loisirs et de vacances et organise chaque été une tournée de concerts dans les principales villes danoises.  » C’est la clé du succès du FCK car le club n’est qu’un maillon de cette société cotée en Bourse « , ajoute Pyndt.  » Ostergaard avait compris que le club devait diversifier ses recettes pour grandir « . Et voilà comment on a pu voir le concours Eurovision de la chanson ou un combat de Mike Tyson au Parken !

Pendant des années, le FC Copenhague détint un record financier : celui du seul club de foot coté en Bourse à voir son action grimper d’année en année. Entre 2005 et 2007, la valeur de l’action a même quadruplé.  » Tout simplement parce que Don O avait compris que les résultats sportifs très fluctuants d’une équipe de foot ne cadraient pas avec une action boursière. La seule façon de diminuer cet effet fluctuant était d’inscrire le club comme un des secteurs d’activité parmi d’autres de la société « , reconnaît l’attaché de presse du FCK, Charles Maskelyne, présent au club depuis le début de l’aventure en 1992.

Nouveau stade national cherche club

Le FC Copenhague ne vient en effet que de quitter l’adolescence. 19 ans d’existence à peine. En 1992, suite à la construction du Parken, la Fédération danoise a cherché à héberger un club. A l’époque, Brondby, club de la banlieue de Copenhague, véritable référence du football danois, venait d’acheter son stade et n’était pas demandeur. La capitale se partageait entre deux glorieuses entités : le B1903 et le KB. D’un côté la base populaire, de l’autre le plus vieux club du pays et une histoire riche de 15 titres. Trait commun : manque d’argent. A tel point que le KB vivotait en deuxième division. C’est alors que l’idée de fusion émergea.

 » Quand l’idée du FC Copenhague est née, on a repris l’histoire de ces deux clubs mais il a fallu aussi créer la nôtre et tout recommencer à zéro « , se souvient Maskelyne.  » Il a fallu choisir la couleur du maillot, sans froisser aucune des deux entités, trouver un blason et un logo. On a voulu choisir un animal comme symbole et naturellement, on s’est tourné vers le plus fort : le lion. Mais surtout, il a fallu convaincre les supporters des deux clubs. Certains ont cru au projet, d’autres l’ont boycotté mais les résultats et le confort du stade ont peu à peu fédéré. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, nous avons une moyenne de 14.000 supporters et dans le derby contre Brondby, on atteint parfois le chiffre de 25.000. « 

Bénie des dieux, cette fusion marcha rapidement droit avec un premier titre d’entrée de jeu, en 1992. La machine était lancée. Pourtant, il fallut attendre le nouveau millénaire et l’an 2000 pour renouer avec le succès. Alors que sur le plan financier, le projet de Don O prenait corps, le sportif allait décoller grâce à un homme : Roy Hodgson.  » Il n’est resté qu’un an mais il est à la base d’une révolution au sein du club « , relate son ancien adjoint, aujourd’hui directeur sportif, Carsten V. Jensen.  » A chaque entraînement, il amenait sa philosophie. Depuis lors, chaque entraîneur suit cette voie. Avant lui, les joueurs allaient à l’entraînement et se vidaient la tête une fois la journée terminée. Hodgson leur a demandé de se focaliser toute la journée sur le football afin d’être prêt le dimanche. Sur le plan tactique, il a construit un schéma dans lequel chacun sait exactement quel rôle il doit remplir. Chaque joueur est éduqué mentalement.  »

Cette révolution porta rapidement ses fruits lors d’un final digne d’un film à suspense. Le FC Copenhague remporta le deuxième titre de son histoire en 2001, face au grand rival de Brondby, sur une bicyclette de l’attaquant sud-africain Sibusiso Zuma. Ce match marqua un tournant dans la rivalité entre les deux clubs. Depuis, Brondby a perdu son rôle de locomotive du foot danois, remplacé par les Lions et le derby est chaque année de plus en plus enflammé, à tel point qu’on lui a donné le nom de New Firm, en référence à l’ Old Firm, surnom donné au derby de Glasgow.

Mais cette saison-là a également marqué un virage important dans l’histoire du FC Copenhague. Chaque successeur de Hodgson a dû s’inscrire dans la même veine que celle de l’entraîneur anglais. Dans cette optique, le profil de chaque nouvel entraîneur est épluché davantage que celui des nouveaux joueurs. Avec succès puisque depuis 1999, le FC Copenhague n’a jamais viré d’entraîneur !

 » Ils sont tous partis d’eux-mêmes « , s’enorgueillit Jensen, devenu DT en 2006 et garant de la continuité de la culture sportive.  » Entre 2000 et 2011, les entraîneurs ont été choisis pour leur façon de jouer. Ici, il n’est pas question d’avoir des entraîneurs qui imposent une culture différente. Chacun apporte son caractère mais doit se plier à notre philosophie. Nous avons une vision à long terme. Exemple : on a pris Roland Nilsson parce que son équipe, Malmö, jouait comme la nôtre.  »

Solbakken, digne héritier d’Hodgson

Le Suédois Hans Backe, aujourd’hui entraîneur des New York Red Bull, est le premier à marcher dans les pas de Roy Hodgson, conférant à son équipe une dimension nationale en remportant trois titres en quatre ans.  » On peut dire que sous Backe, la culture s’est mise en place avec un 4-4-2 immuable et une défense solide « , explique Jensen.

Puis est arrivé l’extraordinaire entraîneur norvégien Stale Solbakken, qui réussit à inscrire le nom du FC Copenhague sur la scène européenne. Personne d’autre que lui ne symbolisa aussi fortement l’histoire et le caractère des Lions. Attiré en 2000 par Hodgson comme joueur, il dut mettre fin à sa carrière après une crise cardiaque. Prononcé cliniquement mort dans l’ambulance le conduisant à l’hôpital, Solbakken revint à lui sept minutes plus tard. De retour comme entraîneur en 2006, il offrit cinq titres en six exercices mais il se distingua surtout lors de certaines rencontres européennes.

Pour sa première participation aux poules de la Ligue des Champions, Copenhague termina dernier mais engrangea sept points, glanant des victoires de prestige à domicile contre Manchester United et le Celtic, le tout après avoir déjà bouté l’Ajax hors de la compétition en tour préliminaire. Rebelote la saison dernière. Lors du tour préliminaire, le FC Copenhague élimina Rosenborg dans un match que les médias locaux qualifièrent de finale de la Scandinavie, avant de parvenir à décrocher la deuxième place d’un groupe qui comprenait Barcelone, le Rubin Kazan et le Panathinaikos. A leur brevet d’invincibilité à domicile, les Lions rajoutèrent trois points acquis en Grèce.  » A l’arrivée de Solbakken, on a commencé à jouer de plus en plus en Europe et cela nous a apporté de l’expérience « , rappelle Jensen,  » et cela fait trois ans que l’on passe l’hiver puisque les deux années précédentes, on avait échoué en huitièmes de l’Europa League contre Manchester City et Marseille. « 

Solbakken a également montré que le petit Copenhague avait du caractère, n’hésitant pas à se fritter avec Manchester City disant de ce club  » qu’il détruisait le football « , et avec Pep Guardiola, fâché d’avoir vu Barcelone le priver d’un but, son attaquant s’étant arrêté suite à un coup de sifflet du gardien de Barcelone, José Manuel Pinto. Mais comment expliquer cette ascension sportive, réalisée sans grandes stars ?  » Parce que nous avons £uvré sur le long terme « , continue Jensen.  » Nous avons d’abord bâti une défense solide et nous avons conservé cette assise. C’est obligatoire pour une équipe comme Copenhague pour réussir des résultats sur la scène européenne. Puis, comme on devenait de plus en plus l’équipe à battre au Danemark, on a dû produire du jeu. Aujourd’hui, on peut dire qu’on a deux styles : un pour l’Europe, l’autre pour la compétition danoise mais on sait que quand on est dans un jour sans, on pourra toujours compter sur notre défense.  »

Coup d’arrêt financier et sportif

Tout cela fait rêver mais Copenhague connaît pourtant son premier coup d’arrêt de la décennie. En 2008, à force de se diversifier, le FC s’est endetté et a subi de plein fouet la crise. Don O a été poussé à la démission et remplacé par un board d’hommes d’affaires fin 2009. Malgré la chute de l’action, les remous financiers n’ont pas atteint le domaine sportif et la saison passée, les hommes de Solbakken ont remporté le championnat avec une avance record de 26 points sur le second. Pourtant, là aussi, le cycle s’est terminé.

Solbakken est parti à Cologne, remplacé par l’ancien défenseur de Sheffield Wednesday, le Suédois Roland Nilsson, et de nombreux joueurs en fin de contrat ont arrêté ( Jesper Gronkjaer) ou sont partis monnayer leur talent à l’étranger. Mikael Antonsson a filé à Bologne, le Tchèque Zdenek Pospech à Mainz, Oscar Wendt au Borussia Mönchengladbach, William Kvist à Stuttgart. Seul ce dernier a rapporté quatre millions au club.  » La philosophie du club est de ne pas vendre un joueur tant qu’on n’a pas de bonnes raisons et les dirigeants acceptent de ne pas retirer d’argent de la vente des joueurs. Al Ahli était prêt à mettre 7 à 10 millions sur la table pour le Sénégalais Dame N’doye « , explique Pyndt.  » On savait que l’année passée constituait le pic de cette équipe car on avait pris de la patience pour la construire « , conclut Jensen.  » J’avais décidé de conserver les joueurs auxquels il ne restait qu’un an de contrat. On a pris nos responsabilités et au bout du compte, on a réalisé l’un des meilleurs résultats du foot danois. On aurait pu vendre deux ou trois joueurs. On ne l’a pas fait et on a atteint les huitièmes de finale de la Ligue des Champions, ce qui a rapporté énormément d’argent. Je dois convaincre le board de l’utilité de cette politique qu’il juge risquée mais je le fais en présentant un bon bilan : cette politique nous a ramené huit titres de champion et qualifié pour les poules de l’Europa League ou de la Ligue des Champions à six reprises. Ce n’est pas en vendant chaque année des joueurs qu’on construit un club de foot et le board l’a compris. Certes, on ne peut pas vivre pendant cinq ans sans Ligue des Champions mais l’élimination face au Viktoria Plzen cette année n’a pas modifié notre politique. On nous demande de ne pas perdre d’argent. Moi, je montre que sur les cinq dernières années, on a réalisé des bénéfices. Dans chaque entreprise, il y a des moments où on perd de l’argent et c’est à ce moment-là qu’il faut prendre de bonnes décisions.  »

Carsten V sait que son équipe débute un nouveau cycle.  » On ne réalisera pas les mêmes prouesses. Les joueurs qu’on a transférés ne sont pas de même niveau. Pour avoir des éléments comparables, il aurait fallu piocher dans des équipes de Bundesliga mais on n’a pas les moyens de le faire. Il faudra être patient avec les nouveaux mais le but est de les amener au même niveau que la génération précédente.  » Manifestement, au Danemark, cela fonctionne puisque les champions en titre comptent déjà neuf points d’avance après neuf journées…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » Ce n’est pas en vendant ses joueurs chaque saison qu’on construit une équipe. « 

(le DT Carsten V. Jensen)  » Roy Hodgson. Il n’est resté qu’un an mais il est à la base d’une révolution au sein du club.  » (le DT Carsten V. Jensen)

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